La police autrichienne a annoncé ce 21 mars qu’elle avait effectué une « razzia » dans sept Länder du pays et arrêté quinze personnes (dont trois jeunes filles) de 14 à 26 ans pour « crimes de haine » contre des homosexuels. Au cours de ses perquisitions elle a saisi des armes ainsi que des symboles nazis, qui tombent en Autriche sous le coup de la loi.
Sous prétexte de démasquer des « pédophiles » (ce qu’aucune des victimes n’était, a précisé la police), ce réseau imité d'exemples russe et biélorusse piégeait depuis l'an dernier ses proies avec de faux comptes sur les réseaux sociaux afin de les attirer vers des rencontres physiques qui s’avéraient de véritables guet-apens : l’homosexuel se trouvait confronté à plusieurs, parfois jusqu'à huit, agresseurs masqués qui le volaient, l'humiliaient, le filmaient, le frappaient. Une victime a porté plainte pour tentative de meurtre. Dix-sept cas d'agression ont été identifiés, il y en a eu peut-être davantage. Les policiers ont appelé d’éventuelles autres victimes à les contacter.
L’enquête dira si ces agresseurs avaient des liens, non seulement avec les milieux néo-nazis, ce qui semble établi au moins pour certains d’entre eux, mais avec la frange la plus radicale du Parti de la liberté, le FPÖ, la principale force d’extrême droite.
Car ce parti, arrivé en première position (avec plus de de 28,8% des suffrages) lors des dernières législatives fin septembre 2024, et qui fut à deux doigts de décrocher la chancellerie en coalition avec les conservateurs si ces derniers n’étaient pas retournés in extremis, pour former un gouvernement, vers les sociaux-démocrates et les libéraux, traîne une mauvaise réputation : celle de laisser prospérer une idéologie masculiniste, voire nostalgique du Troisième Reich.
Les récentes péripéties autour du chef de cabinet (lié aux milieux néo-nazis) du président du Parlement Walter Rosenkranz, membre éminent du FPÖ et d'une des confréries étudiantes « combattantes », les Burschenschaften, qui ont souvent été le vivier de cadres du parti, l’ont mis une fois encore en lumière. Jusqu'à ce que cela fasse scandale, Rosenkranz affichait d'ailleurs dans son bureau un vaste tableau dont le sujet (les armoiries des localités en Autriche) était anodin, mais dont l’auteur ne l’était pas, puisqu'il s’agissait d’un peintre ouvertement nazi "recyclé" après 1945.
L'humour spécial d'un roi autrichien de l'escalade
Ces accusations, en tout cas ces soupçons, ont ressurgi à intervalles réguliers à cause de l’amitié sportive entre le guide de montagne Thomas Behm et le chef du FPÖ Herbert Kickl, lequel aurait pu devenir « chancelier du peuple » (« Volkskanzler » : un terme revendiqué par Kickl, après Hitler). Quand il ne s’occupe pas de politique, cet hyperactif est un pratiquant assidu d'activités extrêmes, en particulier celles qui enchaînent des kilomètres de natation, de vélo puis de course à pied. L’escalade à flanc de montagne est l'une de ses favorites.
Né en 1971, Behm a « ouvert » plus de mille voies d'escalade, surtout en Autriche. S’il a plusieurs fois attiré l’attention sur lui, ce n’est pas en raison de sa passion de planter des pitons dans des parois rectilignes, mais à cause des noms « humoristiques » qu’il a donnés à ces voies nouvelles - règle non écrite mais privilège accordé partout à ceux qui sont les premiers.
Il avait ainsi choisi « Grosser Brauner » et « Kleiner Schwarzer », « Grand brun » et « Petit noir », des termes qui peuvent s’appliquer à des sortes de café mais avoir aussi une connotation raciste. Ainsi que d’autres noms tirés de la gastronomie traditionnelle et désormais bannis des menus : « Negerbrot » (« Pain nègre »), « Negerkuss » (« Baiser de nègre »), « Mohr im Hemd » (« Nègre en chemise », « Mohrenbraü » (une marque de bière) ou encore « Zigeunerschnitzel » (« escalope tzigane »).
Comme le remarque le quotidien viennois Der Standard, il voulait sans doute se moquer de la tendance "politiquement correcte". Interprétation renforcée par le fait qu’il a pris pour cible une icône du courant écologiste en baptisant tout d’abord une voie « Greta Dummberg » (« dumm » signifie « stupide » en allemand).
Malgré les efforts de Behm, qui a clairement désavoué le nazisme et modifié les noms les plus offensants, l’impression demeure que les milieux de l’escalade ont été longtemps imprégnés par une idéologie viriliste qui s'accordait avec celle du Troisième Reich.
Des voies baptisées "Zyklon B" ou "Mur du trou du con"
En 2010 le forum bergsteigen.at, où se retrouvent les fans en Autriche, avait exhumé des noms de voies qui étaient une allusion directe à cette période : « Walkürenritt » (Chevauchée des Walkyries), « Riefenstahl » (la cinéaste préférée de Goebbels), « Kristalltag » (« Jour de Cristal », allusion à la « Nuit de Cristal » destinée à terroriser les Juifs dans le Troisième Reich), « Swatiskaar » ou « Ewiges Reich » (Reich éternel).
De nos jours encore, beaucoup d'amateurs de montagne ne trouvent pas drôle que certaines voies s'appellent "Wirtschaftsflüchtling" (Réfugié économique) ou "Sonnenrad" (Roue solaire, mot codé pour "croix gammée"). En 2021 les "Amis de la Nature" en Autriche ont réprouvé dans un communiqué l'"idéologie de droite" qui imprègne encore trop souvent le milieu de l'escalade.
Il faut dire que dans ce pays l'Association alpine, le Alpenverein, revient de loin : elle fut l’une des premières à adopter un paragraphe (« Arierparagraph ») excluant les Juifs – enfin, tous ceux qui n’avaient pas d’ancêtres « nordiques ». Dès 1920, en Carinthie.
Longtemps avant que les lois raciales n’interdisent aux « non-aryens » le port de tenues inspirées de celles de la paysannerie (les Dirndl et autres culottes de cuir), l’amour des cimes était réservé à ceux qui avaient un « sang pur ». Il a fallu des décennies pour déraciner cette idéologie völkisch, dont les traces se sont longtemps cachées dans les voies d’escalade. Et c'est seulement ce 21 mars 2025 que l'Alpenverein a décidé, à l'unanimité, de débaptiser enfin un refuge de montagne de la région de Salzbourg qui portait toujours le nom de Heinrich Hackl, un antisémite acharné à exclure les Juifs un siècle plus tôt!
L’Autriche n'est pas seule à se débattre dans ce bourbier malodorant, et quand certains noms de voies d'escalade – inventés, faut-il le préciser, par une très grande majorité d’hommes - ne témoignent pas d’une fascination morbide pour le nazisme, ils expriment parfois une vision franchement sexiste. Le quotidien de gauche berlinois Tageszeitung (TAZ) avait identifié quelque deux mille chemins de montagne aux appellations encore problématiques en plein 21ème siècle, depuis le « Bimboland » bavarois jusqu’au tour de randonnée norvégien « Zyklon B » (le gaz utilisé pour tuer à Auschwitz!), en passant par la voie « Rape and carnage » (Viol et massacre) dans le sud de l’Australie. Sans oublier le « Futlochwand » (Mur du trou du con, en allemand).
Kickl, dont les moindres gestes sont scrutés par les médias et par ses adversaires (comme en son temps ceux de Jörg Haider, qui avait aussi donné une preuve de sa "virilité" en sautant à l’élastique d’un pont puis en faisant l’ascension du Grossglockner, en Carinthie), se garde évidemment de tels excès.
Début novembre 2024, sur les réseaux sociaux, il disait sa satisfaction d’avoir renoué avec les joies de l’escalade en montagne (« Toujours plus haut, comme en politique ! »). Mais une voie qu’il avait « ouverte » vient d’être vandalisée, les pitons arrachés pour la rendre impraticable, par des militants de gauche qui ont revendiqué leur acte.
Décidément, même grimper au sommet n’est pas une garantie de tranquillité.
Un précédent billet:
https://blogs.mediapart.fr/joelle-stolz/blog/060125/lextreme-droite-autrichienne-aux-portes-du-pouvoir