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Billet de blog 21 août 2024

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L'extrême droite slovaque provoque l'indignation des milieux culturels

La ministre slovaque de la culture, qui assume des idées offensivement d'extrême droite, a suscité une levée de boucliers. Ses décisions sont d'autant moins anecdotiques que des élections auront bientôt lieu en Allemagne comme en Autriche. Bratislava est désormais sur la ligne pro-Kremlin de Budapest.

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Elle a un visage connu, au moins dans son pays : c’est une ancienne présentatrice de télévision. Mais en menant une politique agressivement nationaliste la ministre de la culture de Bratislava, Martina Simkovicova, a réussi à faire parler d’elle au-delà des frontières de la Slovaquie, désormais favorable à la Russie dans le conflit ukrainien. Comme sa voisine la Hongrie, qui se trouve sur la même ligne envers Moscou, la Slovaquie donne une idée de ce que ferait une extrême droite décomplexée si elle parvenait au pouvoir. Au sein de l’Union européenne.

Ces deux pays où la main d'oeuvre est à la fois qualifiée et moins chère sont très utiles à l’économie allemande, en particulier à son industrie automobile en voie d'électrification. Ils ont donc bénéficié de la bienveillance des conservateurs germaniques mais aussi de la mollesse de leurs collègues sociaux-démocrates. Bratislava, à l'instar de Budapest, est aussi un sujet d'inquiétude en raison des atteintes aux droits fondamentaux, et pas seulement de sa politique pro-Kremlin. 

La destitution de deux personnalités majeures du secteur culturel   

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été la récente décision de Simkovicova de destituer le directeur du Théâtre national de Slovaquie Matej Drlicka – le TNS de Bratislava, dont était natif le communiste réformateur Alexander Dubcek, fut un pilier de la « révolution de velours » en 1989 avant que la Slovaquie ne se sépare de la République tchèque, toutes deux membres de l'UE et de l'OTAN.

Le jour d’après ce fut le tour de la directrice de la Galerie nationale Alexandra Kusa, au motif que ces deux personnalités libérales du secteur culturel donnaient trop de place aux « artistes étrangers ».

Dès sa nomination, les plus grandes craintes du côté des intellectuels et artistes avaient en effet accueilli cette raciste décomplexée, dont un proche collaborateur au ministère de la culture de Bratislava doute que la Terre soit ronde et souhaite en tout cas que les « platistes » puissent exprimer leurs opinions sur les ondes publiques. On se croirait dans une nouvelle de la Prix Nobel de littérature Alice Munro (celle où un professeur de sciences finit par se suicider plutôt que de céder au créationnisme). Sauf qu’on n’est pas au fond de la province canadienne, ni dans l’Amérique trumpiste.

Contre la "propagande LGBT" et le "déclin de l'Occident"

Complotiste, homophobe, ayant des vues antédiluviennes sur les rapports hommes-femmes, préoccupée avant tout de la « propagande LGBT » et du « déclin de l’Occident », tel est le paysage mental de la ministre. Comment s’est-elle retrouvée à un tel poste ? Grâce à l’opportunisme du premier ministre qui l’y a nommée. Elle était la figure la plus visible du petit parti d’extrême droite SNS, sur lequel il s’appuie.

Résumé pour ceux qui ne se seraient intéressés que de loin à la Slovaquie, petit État d’Europe centrale : le populiste Robert Fico ("Fitso"), jadis réputé de gauche mais qui a démontré amplement sa plasticité, est redevenu premier ministre après les législatives d’octobre 2023 - pour la troisième fois depuis 2006. En faisant alliance comme en 2012 avec le SNS, qui a franchi de justesse la barre des 5%, ainsi qu’avec le Hlas, qui se revendique « social-démocrate ». Comme le SMER de Fico, cette formation a fini par être suspendue par le Parti socialiste européen.       

Mardi 20 août les députés de la coalition au pouvoir, en boycottant le Parlement, sont parvenus à éviter une motion de censure de l’opposition. Lors d’une session extraordinaire celle-ci espérait faire tomber la ministre de la culture ainsi que son collègue de la justice Boris Susko, du SMER. Car le projet de réforme du code pénal, destiné à alléger les peines punissant les délits économiques, alarmait beaucoup de monde : Susko a déjà fait libérer un procureur condamné à 8 ans pour corruption. En 2018 l’assassinat du journaliste Jan Cuciak, qui enquêtait sur ce thème explosif, avait contraint Fico à démissionner.

Mais celui-ci, tel un diable dans sa boîte, a resurgi de plus belle. Avec quelques années de plus et le même cynisme. Un attentat par balles contre lui, en mai 2024, l’a envoyé grièvement blessé à l’hôpital en améliorant son aura, tel Trump manqué de peu lors d’un meeting - c’était avant le coup de théâtre Kamala Harris.

Fico, champion de l'opportunisme

L’opposition slovaque ne décolère pas et la politique du gouvernement, si elle ne peut se comparer à celle de Washington, n'est pas une simple anecdote. Quelque 180 000 personnes ont signé une pétition de protestation, des manifestants ont poursuivi Simkovicova jusque dans sa maison de Kittsee, du côté autrichien de la frontière. Elles sont d’autant plus remontées qu’en juin dernier les députés de la coalition de gouvernement avaient voté la dissolution de la chaîne d’information publique RTVS : pour virer son directeur, protégé par son contrat, et mettre la rédaction au pas, il était plus simple de dissoudre carrément l’organisme et d’en créer un nouveau. RSF a protesté, en vain.

Le service secret SIS aurait aussi établi pour les ministres de l’éducation et de la culture une liste d’auteurs « à haut risque », où l’on trouve pêle-mêle Adolf Hitler, mais aussi le philosophe slovène Slavoj Zizek ou le romancier britannique Frederick Forsythe…

Dans les pays voisins, on suit de près les événements. Le directeur des Wiener Festwochen (Festival de Vienne), Milo Rau, a écrit une lettre ouverte à Fico, transformée depuis en pétition signée entre autres par les écrivains Elfriede Jelinek et Edouard Louis, pour se solidariser de son collègue du Théâtre national slovaque et dénoncer la « brutalité et la soif de pouvoir » de la ministre.  

« Ce qui se passe à une heure de voiture de Vienne, affirme Rau, c’est-à-dire la déconstruction totale des institutions libérales démocratiques sous prétexte de sauver la nation, montre ce qui pourrait se produire après une victoire électorale du FPÖ », le parti d’extrême droite en Autriche, où le scrutin parlementaire est prévu le 29 septembre – le FPÖ est crédité de 27% à 28%, il a atteint la première place lors des élections européennes.

Le Suisse est d’autant plus sensible à cette problématique qu’il est interdit de séjour à Moscou après y avoir organisé des « procès ». Il s’est lié en revanche avec des célébrités de la contestation russe, comme les activistes féministes Pussy Riots ou le metteur en scène et cinéaste Kirill Serebrennikov.

Mercredi 21 août le FPÖ a publié son programme, long de 114 pages. Sous le titre Festung Österreich, Festung Freiheit (Forteresse Autriche, forteresse liberté), il demande notamment que soit inscrit dans la Constitution qu'il y a deux sexes: homme et femme. C'est tout. Mais il a besoin pour cela d'une majorité des deux tiers, donc de l'aide des chrétiens conservateurs de l'ÖVP.

"Orbanisation" de la Slovaquie ?

Auparavant des élections doivent avoir lieu dans trois Länder de l’est de l’Allemagne qui ont valeur de test national même si, dans ces terres de l’ex-RDA, les options radicales ont toujours eu la cote : l’AfD (Alternative pour l’Allemagne, extrême droite) comme le Parti de Sahra Wagenknecht, une scission de Die Linke (extrême gauche), y sont favoris. Leur point commun est d’être opposés à une aide accrue à l’Ukraine.

Les récents événements à Bratislava ont aussi trouvé un écho en Italie, gouvernée par la post-fasciste Georgia Meloni, assez maligne pour rester dans la ligne de Bruxelles bien que des membres de son gouvernement traînent en justice des intellectuels de gauche.

)Or la ministre slovaque de la culture ne se contente pas d’une vision conservatrice. Cette poupée Barbie est une radicale. Martina Simkovicova s’était fait licencier par la télévision privée Markiza pour avoir professé à l’antenne des opinions hostiles aux migrants. L’une de ses saillies, souvent citée par ses adversaires : « on a besoin de gars solides et virils », capables « d’attaquer le mammouth à la machette et de le rapporter à leur femme » !

Certains parlent d’une « orbanisation » de la Slovaquie. À côté Viktor Orban paraîtrait presque modéré malgré sa campagne forcenée contre le milliardaire libéral étatsunien George Soros, accusé de tous les maux alors qu’il avait jadis financé la formation à Londres du jeune politicien hongrois. Surtout Orban est entouré de juristes et sait, depuis plus de quatorze ans qu’il est retourné au pouvoir, comment naviguer dans les eaux bruxelloises : il tient aux subventions européennes, tout en prenant à contrepied la Commission et le Parlement.

Dans ce contexte Fico pourra-t-il longtemps soutenir des gens aussi exposés que sa ministre de la culture ou son ministre de la justice qui a des bontés pour les corrompus ? Leurs décisions sont en tout cas inséparables des débats qui traversent l'Europe. 

Sur les poursuites engagées contre des intellectuels italiens (la justice penche jusqu'alors de leur côté):

https://blogs.mediapart.fr/joelle-stolz/blog/260424/en-italie-le-gouvernement-neo-fasciste-poursuit-des-intellectuels-en-justice

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