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Billet de blog 22 janvier 2024

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Un débat agité à Vienne sur le conflit israélo-palestinien

Pourquoi l'Union européenne n'est-elle pas plus fermement intervenue en faveur d'un cessez-le-feu à Gaza ? Le 21 janvier à Vienne un débat animé a eu lieu où le ministre des affaires étrangères, jusqu'alors soutien sans faille d'Israël, a voulu justifier la position de l'Autriche.

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La présence de policiers en uniforme laissait prévoir que ce débat sur le conflit israélo-palestinien serait agité. Sur les marches du Burgtheater (équivalent de la Comédie Française ou de l'Odéon à Paris), dimanche 21 janvier, des militants palestiniens déployaient leur drapeau. Dans la salle, plusieurs d'entre eux ont sans cesse affirmé à haute voix leur refus de la position officielle de l'Autriche, qui dès les massacres du 7 octobre s'est posée en allié indéfectible d'Israël, pendant qu'une partie importante du public, surtout des jeunes parfois arborant le keffieh, applaudissait toutes les interventions en faveur de la Palestine.

"Vous avez du sang sur votre tête!", "Les vies palestiniennes comptent" et "Honte à vous!" criaient en anglais les protestataires. C'était un débat organisé par le quotidien Der Standard sur un sujet brûlant, le conflit israélo-palestinien, à la veille d'une réunion des 27 membres de l'Union européenne à Bruxelles pour discuter des bombardements sur Gaza. 

Parmi les participants le ministre des affaires étrangères, Alexander Schallenberg, qui aurait pu se dérober mais ne l'a pas fait malgré sa position d'accusé, a défendu comme une question de principe ("raison d'Etat") le soutien sans faille à Israël de l'Autriche - seul pays de l'Union européenne (avec la République tchèque) à voter contre une résolution des Nations unies appelant à un cessez-le-feu à Gaza. Ce n'était pas contre le cessez-le-feu en soi, a-t-il voulu expliquer, mais parce que le texte ne condamnait pas clairement le Hamas.

Pourtant, quels que soient les crimes qu'il a commis le 7 octobre, c'est bien parce que le Hamas a mené cette action qu'il y aura peut-être un jour une solution à ce conflit, a souligné l'analyste juive israélienne Dahlia Scheindlin. Tandis qu'une autre invitée à Vienne, la Palestinienne Roula Hardal, chercheuse à l'Institut Shalom Hartman d'Israël après avoir enseigné à l'Université américano-arabe de Ramallah, rappelait que cette histoire a commencé des décennies auparavant et qualifiait de "faute morale" la position pro-israélienne de l'Autriche.

Ces deux femmes issues de la gauche libérale d'Israël, ou ce qu'il en reste, et également hostiles à Nétanyahou, ont occupé le coeur de la discussion, exprimant malgré les déluges de sang et de bombes un espoir: celui d'un Etat où "tout le monde serait égal", a dit Dahlia Scheindlin. Elle regrette que ces dernières semaines presque plus personne en Israël ne parle de l'occupation des territoires palestiniens. La vraie ligne de partage, a-t-elle encore souligné, n'est pas entre Juifs ashkénazes ou séfarades, mais entre ceux qui se définissent comme religieux et les autres.

Pour sa part Houla Hardal (qui ne porte pas le foulard, ce qui indique qu'elle n'est pas non plus très "religieuse"), a rappelé que le terme "terroriste" était souvent appliqué à l'OLP - en particulier par Washington à partir de 1987 - avant que cette organisation, que la droite israélienne a tout fait pour décrédibiliser au profit du Hamas, ne devienne un interlocuteur acceptable.

Le chancelier autrichien Bruno Kreisky fit sensation en étant le premier dirigeant occidental à recevoir officiellement Yasser Arafat, en juillet 1979 à Vienne, en compagnie de celui qui était alors président de l'Internationale socialiste, l'Allemand Willy Brandt. Et nombre de ses compatriotes ont été persuadés à tort que la révélation du passé nazi de Kurt Waldheim, en 1986, était une "vengeance" juive parce que celui-ci avait invité le chef de l'OLP, en 1974 à l'Assemblée générale des Nations unies - dont il était alors le secrétaire général. 

Le récent virage pro-israélien de Vienne a été d'autant plus remarqué qu'il y a ce passé-là, qui n'est pas si lointain. Le correspondant de la radio-télévision publique au Caire, Karim El-Ghouari, faisait part récemment de l'incompréhension de ses interlocuteurs arabes: "Qu'est-ce qui se passe avec l'Autriche?" s'est-il plusieurs fois entendu demander. Et si la voix de l'Union européenne a été jusqu'alors si faible pour demander un cessez-le-feu à Gaza - sauf durant les premiers jours après le 7 octobre, quand la présidente de la Commission Ursula von Leyen s'est rendue en Israël pour manifester sa solidarité -, c'est aussi parce que l'Autriche, au-delà des lourdeurs bureaucratiques à Bruxelles, a contribué à sa paralysie.

Houla Hardal a invité à "sortir d'une pensée binaire" - ce qui vaut pour les deux camps - tandis que le journaliste britannique Misha Glenny, qui dirige aujourd'hui l'institut viennois de recherches en sciences humaines IWM après avoir notamment couvert pour la BBC et le Guardian les guerres de Yougoslavie, a mentionné le conflit en Irlande du Nord.

Là aussi il semblait inextricable, marqué par une situation coloniale, des torrents de haine réciproque, des affrontements armés, les attentats terroristes de l'IRA.

Et pourtant on en est sorti.

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