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Billet de blog 31 octobre 2024

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In Glock We Trust

L'élection présidentielle américaine peut-elle déboucher sur des affrontements armés, comme le craignent certains démocrates ? En attendant l'Autrichien Glock a imposé partout, même aux USA, son pistolet avec des pièces en plastique.

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Ceux qui ont regardé la série télévisée Succession, inspirée par les péripéties autour de l’empire multimédias d’un Rupert Murdoch vieillissant, ne seront pas dépaysés. Mort en 2023, l’Autrichien Gaston Glock était certes encore moins enclin à se confier à des journalistes que le patriarche Roy Logan, personnage de fiction.

Mais comme lui il a joué la carte de l’extrême droite – avec des dons financiers au FPÖ de son ami Jörg Haider, le ministre FPÖ Norbert Hofer, qui faillit en 2016 devenir président de la république, lui renvoyant ensuite l'ascenseur. Il a divorcé en 2011 (même s'il l'a fait beaucoup moins souvent que Murdoch qui en est à la cinquième épouse) de Helga avec qui il était marié depuis 1958, mère de leurs trois enfants - une fille et deux fils, comme les héritiers en concurrence dans Succession, pour convoler avec une femme qui avait un bon demi-siècle de moins que lui et fut son infirmière.

"Succession", made in Austria

À la différence de Wendy Deng, censée avoir séduit Murdoch en lui affirmant que sa stratégie de développement en Chine était nulle, mais qui n'a pu influencer durablement son empire, la blonde Kathrin Tschikof a été nommée dans la foulée de ce mariage retentissant au conseil d’administration de Glock dont elle est aujourd'hui la présidente. La clé du pouvoir au sein d’une entreprise. Végane, elle s’occupe de chevaux de compétition et du bien-être animal tout en veillant à la bonne marche de Glock GmbH (société à responsabilité limitée).

Il y a quand même beaucoup d’argent dans cette histoire, bien que le capital soit moins étendu que chez Murdoch, dont la fortune personnelle est estimée à au moins 17 milliards de dollars.  

Car Gaston Glock, qui s’est lancé sur le tard dans la production d’armement, alors dominée dans son pays par Steyr, en ayant le flair d’embaucher deux ingénieurs familiers des polymères, s’est fait un nom que tout le monde connaît aujourd'hui: il a inventé un pistolet semi-automatique plus léger que d'autres, puisque certaines pièces sont en plastique, réputé pour sa maniabilité autant que pour sa qualité. Made in Austria.

Au début en équipant l’armée autrichienne puis les forces britanniques. À la fin des années 1990, après la première apparition du Glock 17 dans un James Bond, avant d’autres films de la franchise et des jeux vidéo, celui-ci devient internationalement célèbre. Mais dès le milieu de la décennie précédente il avait retenu l'attention des polices américaines, alors confrontées dans les grandes villes à une explosion de la criminalité.

Les pistolets Glock ont été adoptés par le FBI et les trois quarts des policiers aux Etats-Unis, ainsi que par l’armée française, qui a commandé l’ultime génération du Glock 17 (ainsi appelé parce qu'il a dix-sept cartouches). Il y a eu une certaine émotion lorsque Washington a décidé de distribuer par dizaines de milliers des Glock 19 aux policiers et militaires irakiens, après l’invasion de 2003 et la chute du régime de Saddam Hussein. Car beaucoup de ces armes de poing ont ensuite atterri sur le marché noir.

In Glock We Trust clament en tout cas de plus en plus de gens dans le monde, en allusion à la formule In God We Trust (Nous avons confiance en Dieu).

Un scénario de guerre civile

Si populaires qu’ils soient aujourd’hui, les Glock ne représentent pas le plus grand danger si jamais l’élection présidentielle américaine devait déboucher sur des affrontements. Un scénario qui semble délirant vu d’Europe, et de manière générale depuis les nombreux pays où l’État limite beaucoup le nombre d’armes à feu qui circulent dans la population civile.

La situation est très différente aux USA, en vertu du fameux 2ème Amendement de la Constitution ("Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé"). On estime qu'un adulte états-unien sur trois (dans un pays de plus de 330 millions d’habitants) en possède au moins une. Beaucoup en ont plusieurs. Voire une quantité impressionnante. Comme cet ingénieur que la police a arrêté en Arizona et dont elle pense qu'il préparait un "massacre de masse" contre les démocrates avant une élection cruciale: les agents ont trouvé à son domicile un arsenal de 120 armes et 250.000 cartouches, dans sa voiture une mitrailleuse. Tout ça acquis très légalement.

Quelles que soient les précautions des adultes pour les tenir hors de portée des enfants, les incidents mortels sont presque quotidiens. L’un des derniers en date: un garçon de 13 ans est soupçonné d’avoir abattu deux membres plus jeunes de sa fratrie, car, selon sa sœur qui a réussi à fuir par une fenêtre, il était seul à connaître le code du boîtier où leur père gardait l’arme sous clé. Une majorité d’Américains (61%) trouve que c’est trop facile de se procurer une arme à feu. Mais 34% seulement de ceux qui votent républicain sont de cet avis.  

Comme l’avortement, le sujet divise fortement l’opinion. Surtout depuis que des mass shootings (tueries faisant plusieurs victimes, par exemple dans des écoles) font la une des médias. Les démocrates ont tenté de resserrer la vis. Certaines armes de très gros calibre ne peuvent plus être achetées, il faut désormais prouver son identité et qu’on ne souffre pas de troubles psychiatriques. Mais ils se heurtent à l’opposition farouche du camp rival, appuyé par le lobby de la NRA (National Rifle Association of America). Comme l'a dit un jour un dirigeant de cette organisation: "La seule chose qui puisse arrêter un méchant avec une arme, c'est un gentil avec une arme". 

Le droit de chaque citoyen à s'armer

Le thème est si sensible que Kamala Harris a jugé bon de préciser qu’elle respecterait le 2ème Amendement et que des intellectuels de gauche avouent – telle l’écrivaine Amy Holmes dans les colonnes de Mediapart -, qu’ils ont cédé au réflexe de s’armer. Tellement ancré dans l'inconscient collectif qu'est impensable aux USA la décision des autorités australiennes, qui ont modifié drastiquement en 1996, quinze jours après le "massacre de Port-Arthur", leurs lois sur les armes permises aux civils, elles aussi fort nombreuses dans ce vaste pays, offrant de les racheter et jugeant qu'elles étaient davantage un risque qu'une protection.  

Or les enquêtes menées depuis 2017 par le Pew Research Center, un institut privé aux États-Unis dont les statistiques sont vues comme sérieuses, montrent que là-bas il s’agit à 72% de se protéger contre d’éventuels assaillants, nettement plus que de pouvoir chasser (32%). Sans compter qu'à l'époque des Pères de la Constitution américaine, c'est-à-dire à la fin du 18ème siècle quand le 2ème amendement a été rédigé, les armes étaient beaucoup moins létales qu'aujourd'hui.

Un attachement viscéral au 2ème Amendement

Mais aucun argument rationnel ne peut convaincre ceux qui sont viscéralement attachés au droit de se défendre et le pourcentage des foyers armés est assez stable depuis 50 ans: autour de 40%. Peu leur importe que dans le Canada voisin le nombre d'homicides par arme à feu soit proportionnellement très inférieur. Chaque tuerie entraîne une orgie d'achats, les "consommateurs" redoutant des restrictions.

La répartition des gens qui possèdent un armement individuel n'est pas une surprise: 45% s’identifient au camp républicain, 20% aux démocrates; 40% sont des hommes, 25% des femmes (22% selon les chiffres fédéraux). J’invite tous ceux qui ne l’ont pas vu à regarder le documentaire de Frederick Wiseman, Monrovia, Indiana, sur une localité rurale du Middle West dont une écrasante majorité a voté pour Trump en 2016. Ils en apprendront beaucoup sur le fonctionnement de la démocratie américaine. Scène marquante: celle du magasin d'armes où une habitante fait ses emplettes.

Il y a selon le Pew Research Center, dans le camp Pro-Weapon, 38% de Blancs, 24% de Noirs, 20% de Latinos, 10% d’Asiatiques.

Ce qui est inquiétant est que 47% des non-possesseurs actuels d’armes envisagent de sauter le pas. Et même, parmi eux, 56% des Noirs. Cela donne de la consistance à un scénario qui nous paraît, vu d’Europe, très improbable, même si le cinéaste Alex Garland lui a consacré cette année le film dystopique Civil War.

Le rôle des vétérans

Une hypothèse hélas à considérer depuis l’assaut spectaculaire donné au Capitole le 6 janvier 2021 par une bande d’énergumènes prêts à tout casser, bien que les forces de sécurité semblent beaucoup mieux préparées qu'alors à de tels dérapages. Car les partisans de Trump se recrutent entre autres parmi les vétérans, les ex-militaires: les armes de guerre, ils savent comment les manier, ils n’ont pas besoin de le découvrir dans un club de tir.

Beaucoup de choses sont donc possibles à partir du 5 novembre.

L’épisode de Succession où la très droitière chaîne de télévision fondée par Roy Logan décide d’accorder la victoire sur le fil à un dangereux démagogue (on aura reconnu Fox News et le Trump de 2016), pendant que des bureaux de vote sont incendiés – donc les bulletins qui pourraient infirmer ce résultat -, est instructif.

Il faut quand même saluer le travail de Jason Kander, auteur de Invisible Storms (Tourmentes invisibles), qui a renoncé à une carrière politique à cause d’un syndrome traumatique dû à son engagement en Afghanistan et anime au Missouri une association d’anciens combattants. Il est la preuve que tous les démocrates, loin de là, ne ressemblent pas aux élites urbaines détestées par le camp MAGA.

Espérons que cette guerre civile au moins restera un pur produit de l'imagination des scénaristes hollywoodiens.

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