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Billet de blog 4 septembre 2014

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Comment Airbnb a changé le script de mon quartier

Hier, je me suis réveillé dans le JvS Truman Show en direct du 10e arrondissement, comme d’habitude, avec mon petit café, mon petit vomi et mon aller-retour à la boulangerie. Mais ce matin-là n’était pas comme les autres.

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Hier, je me suis réveillé dans le JvS Truman Show en direct du 10e arrondissement, comme d’habitude, avec mon petit café, mon petit vomi et mon aller-retour à la boulangerie. Mais ce matin-là n’était pas comme les autres.

Pas de pères fatigués aux cheveux en bataille courant déposer leurs enfants à l’école; aucune trace de leurs épouses armées de pétitions anti-OGM ou anti Tafta à signer absolument et pas l’ombre d’un ado désœuvré renvoyé dès sa première heure de cours qui se réconforte en fumant un gros joint. 

Je ne croisais que des familles de grands Suédois très sains, portant dans le dos des enfants blonds dans des porte-bébés colorés, des hipsters barcelonais de retour d’after, des vieux Anglais chaussés de tennis blanches roulant leurs valises depuis la gare du Nord l’air totalement perdu et devant moi à la boulangerie, un couple d’Américains coiffés de bérets assortis qui souriaient béatement devant les tartes aux fraises: “ Oh, My God!”

C’est là que je me suis rendu compte qu’il y avait eu des changements dans le casting. 

Au contraire de Truman qui jusqu’a la fin ignore qu’il vit dans un show télé, j’ai toujours été très lucide sur ma condition.

Le JvS Truman Show en direct du 10 e arrondissement est une série qui rencontre un joli succès depuis dix ans et j’en suis la star.

Je sais aussi que ce changement de casting est l’œuvre de la société de production Airbnb qui, depuis deux ou trois ans maintenant, est habilement parvenue à modifier de facon subtile la distribution à travers le monde durant les mois de juillet/août, transformant ainsi des sitcoms usés et déprimants en show divertissants et frais.

La recette est assez simple en réalité: on remplace une star par un inconnu exotique, on l’introduit dans le quartier comme un poisson hors de l’eau et on observe la folie qui en découle. Ce qu’on espère, c’est que le personnage est assez intéressant pour tenir les téléspectateurs en haleine pendant la saison morte, au moins jusqu’au retour de la star.

Mais cette année, les producteurs semblent encore plus agressifs. Peut-etre une volonté d’intimidation en réaction au mouvement des intermittents, je ne sais pas, mais j’ai l’impression qu’il ne s’agit pas de changements momentanés. Si vous venez à peine de découvrir le JvS Truman Show en direct du 10e arrondissement, vous ne remarquerez sans doute pas de changements notables. Les décors sont à peu près les mêmes et je suis toujours aussi fringant. Mais pour un fidèle du show, alors les changements sont palpables. D’abord, tout le monde semble se lever plus tard, ce qui me rend mieux disposé. On assiste à davantage de scènes d’apéros en extérieur – même en semaine. J’y ai pris part avec enthousiasme et cela a contribué à considérablement améliorer mon humeur.

Dans les rues, l’ambiance est plus calme. Par exemple, il y a moins d’enfants qui crient (c’est une catégorie d’intermittents qui part généralement fin juin pour participer à un autre show intitulé Les Vacances chez Mamie); et il y a beaucoup moins de voitures, remplacées par des bicyclettes équipées à l’avant de caisses en bois géantes (importées par les parents suédois et un sponsor je crois). La lumière est elle aussi différente et apporte au décor une touche estivale. Un peu comme si le JvS Truman Show en direst du 10e arrondissement se prenait pour Plus Belle la Vie.

Le but, c’est que tous ces changements me rendent plus convivial, plus enclin aux rapports de bon voisinage, plus engagé et détendu; qu’en m’entourant de Danois souriants, d’Américains naifs et de moins de tentations dévoyées, l’ancien John va réapparaître. L’idee est intéressante, je l’admets, et à contre emploi de mon rôle habituel “d’expatrié loufoque atterri dans le quartier pour se planquer, habitué à échapper par une pirouette aux difficultés qu’il ne comprend pas tout en les ayant lui-même créées par inadvertance”. Pour être franc, ce personnage commençait à vieillir de toute façon.

Je me suis surpris à déambuler au grand jour pour la première fois depuis longtemps. Je me suis même arrêté au café pour bavarder avec mes nouveaux voisins qui avaient l’air un peu perdus sur le plateau.

“Vous êtes nouveaux dans le quartier ?” leur ai-je demandé en lancant un coup d’œil à la camera avec un sourire.

“Oui,” ont-ils répondu.

“Vous avez une pétition à me faire signer ?”

“Une pétition?” ont-ils répondu sans comprendre. “Non, pourquoi ?”

“Parfait. Vous verrez, le quartier est très agréable.” Et je les ai emmenés faire un tour en leur présentant tous les commercants locaux.

Les commerçants semblaient accueillir ce changement de distribution avec un sentiment mitigé. D’un côté, voilà de nouveaux clients enthousiastes, prêts à tout acheter et tout goûter, mais de l’autre, toutes ces questions en anglais sur la différence entre l’andouille et l’andouillette leur portaient un peu sur les nerfs. Cela dit, les scènes ont un vrai potentiel comique alors les commerçants ont été priés de jouer le jeu.

Ma grande inquiétude, c’est ce qui va se passer quand je vais partir en août, comment le public réagira-t-il au nouveau John qui me remplace? La rumeur prétend qu’il est chez Airbnb  lui aussi – un certain Gonzalo, plutôt beau gosse. Les spectateurs vont-ils le trouver gentil et poli, éloquent et séduisant ? Et si c’est le cas, QU’EST-CE QUE JE DEVIENS, MOI, PUTAIN ? 

Pendant ce temps, on m’a proposé de tourner un pilote intitule John von Sothen lâché à travers le Portugal et l’Espagne, sur le même principe selon les producteurs; John parcourt l’Espagne et le Portugal dans son personnage “d’expatrié loufoque atterri dans le coin pour se planquer, habitué à échapper par une pirouette aux difficultés qu’il ne comprend pas tout en les ayant lui-même créées par inadvertance”. Une production Airbnb, comme le show parisien.

Bien que je n’ai pas encore lu le scenario, je sais que je jouerai avec un voisin lisboète que je croiserai tous les jours sur le palier. Le voisin partira alors au travail et racontera à ses amis qu’il ne sait pas si je suis francais ou américain; sans doute américain parce que je parle trop fort pour un francais. Il se plaindra auprès d’eux que je l’ai déjà réveillé deux fois la nuit en sonnant à son interphone parce que j’avais perdu les clés. Le public adore ce genre de scènes.

Dans un des scripts, j’ai lu qu’après l’habituelle semaine d’acclimatation venait une période de détente, suivie d’une invitation à l’apéro chez lui. Une certaine intimité s’installera et mon voisin lisboète finira par se sentir suffisamment proche de moi pour m’emmener dans un endroit à l’abri des caméras oà il m’expliquera, dans le plus grand secret, que le précédent voisin s’est fait virer du show parce qu’il ne participait pas assez à la vie du quartier, qu’il ne signait pas les pétitions et qu’il avait même cessé de boire un café le matin avec les autres parents de l’école. Il me raconterait ensuite qu’après plusieurs avertissements sans effets, les producteurs avaient décidé de le remplacer par un crétin américain. En l’occurrence, moi. 

Je le remercierai pour ses mises en garde et je regagnerai mon appartement de Lisbonne avec des sueurs froides, prenant soudain conscience qu’il allait me falloir améliorer mon comportement de retour à Paris si je ne voulais pas que le JvS Truman Show en direct du 10 e arrondissement soit déprogrammé.

Les producteurs chez Airbnb m’ont clairement fait entendre que personne n’est irremplaçable; qu’ils sont fatigués des revendications constantes, des allergies et des mines d’enterrement; et qu’ils en ont marre de devoir lancer la pub parce que le héros fait encore une fois semblant d’être au téléphone pour ne pas avoir à saluer les gens du quartier.

Selon eux, l’enjeu c’est la relance, ils veulent retrouver le John d’avant la crise, le John plein d’espoir, au sourire permanent et au charme républicain. Sinon, mon personnage peut aisément être remplace et le show rebaptisé: Gonzalo, en direct du 10 e arrondissement - le Spanish remix.

Moteur, ça tourne, Action! Et n’oubliez pas les 507 heures où vous avez besoin de John, les amis. 

C’est une production Airbnb…et c’est arrivé près de chez vous !

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