Le 70e anniversaire du Débarquement qu’on célèbre en ce moment me rappelle sans cesse les mots de mon père, qui a combattu pendant la deuxième guerre mondiale. Il disait toujours que ceux qui avaient participé à la bataille de Normandie étaient « le meilleur de ce que l’Amérique avait à offrir ».
Malheureusement, j’ai découvert que les Américains fraîchement débarqués à Paris ne sont pas le meilleur de ce que l’Amérique a à offrir. Les Français ont le droit de penser le contraire mais moi, je suis bien placé pour le savoir.
Et je ne parle pas des touristes qui visitent le « Louvreu ». Je parle de ceux qui habitent la Capitale. Parce que, si on vit ici et qu’on est américain, il est fort probable qu’on se soit planté aux Etats-Unis. Une faillite, un divorce ou un échec à l’examen du barreau. Peu importe, mais c’est rare de rencontrer un type qui dise : « Ma carrière démarrait en flèche et on m’a envoyé à Paris ! »
Et si par un miracle quelconque on a du succès ici, c’est sans doute parce que les Français sont loin d’être des experts. Ils sont beaucoup plus regardants entre eux que vis-à-vis des Américains. On peut être violeur en série aux Etats-Unis, si on dit qu’on est célèbre, les Français sont enchantés et nous croient sur parole. Ils se réjouissent même d’être pote avec une célébrité.
Alors imaginez leur déception quand ils me chantent les louanges de je ne sais quel écrivain, chanteur ou actrice qu’ils adorent et que je leur réponds que je n’en ai jamais entendu parler.
« John, tu le connais sûrement, Jérôme Charyn est un grand auteur newyorkais.
- Désolé, je le connais pas.
- Bah, tu connais sûrement Jim Harrison alors.
- Jim Morrison ? »
Ce n’est pas comme quand David Hasselhoff devient une énorme rock star en Allemagne ou quand Emanuel Lewis, l’enfant acteur de Webster, fait un succès monstre en rappant au Japon, parce que tous les deux étaient célèbres aux Etats-Unis avant de faire carrière ailleurs. Ces personnalités dont parlent les Français n’apparaissent même pas sur IMDB.
« John, tu ne vas pas me dire que tu ne connais pas Jeane Manson ?
- Charles Manson ?
- Et Jango Edwards ?
- Arrête, tu te fous de moi, là ? »
En général, je finis par m’excuser parce que je m’aperçois que mon interlocuteur est au bord des larmes et j’enchaîne en disant… « Mais je suis certain que c’est une grande chanteuse » ou bien, « Je suis pas une référence, ça fait dix ans que j’ai pas mis les pieds aux Etats-Unis. »
Et dix ans, c’est long. Enfin, je le croyais encore récemment, avant qu’une autre Américaine à Paris ne me fasse penser le contraire.
« Tu viens à peine d’arriver ! », m’a-t-elle lancé, ce qui m’a un peu déprimé parce que, d’abord et d’une, on aurait dit un dialogue de taulards et ensuite, parce que mon interlocutrice était vieille et je n’aime pas m’imaginer vieux.
Les Américains à Paris sont différents de la plupart des Américains qui deviennent obèses et meurent prématurément. Ils vieillissent lentement, comme le fromage. Et bizarrement, ils se fondent rarement à la vie parisienne telle qu’on se l’imagine. On les croise d’habitude dans des lieux touristiques, sifflant une bière sur les traces rebattues d’Hemingway ou dans un café qui vit jadis chanter Joséphine Baker, coincés dans une époque qu’ils n’ont même pas connue mais à laquelle ils se sentent devoir appartenir parce qu’ils sont « Américains à Paris ».
Ils sont rarement chics, ce que je trouve étrange. La plupart arborent une barbe grise et un catogan et se baladent sur les quais de Seine en Birckenstocks, trimballant avec eux un sac à dos miteux.
Des Birckenstocks. Vous allez dire que je chipote, mais on pourrait penser qu’au bout de trente ans passer dans la capitale mondiale de la mode, le naturel s’effacerait un peu. Ben non. Ils sont satisfaits d’eux-mêmes – comme s’ils n’avaient pas bougé depuis l’époque où ils parcouraient l’Europe d’auberge de jeunesse en auberge de jeunesse.
Et pourtant, les Français sont convaincus que j’ai envie d’être amis avec ces gens-là.
Souvent, ils m’invitent à dîner en m’expliquant qu’un autre Américain sera présent, brandissant un prometteur « Tu vas l’adorer ». Je souris, persuadé que ce ne sera pas le cas, simplement parce que ça me rappelle bien trop mes parents quand ils me traînaient à dîner chez leurs amis en me disant « Ils ont même un fils de ton âge ! ».
Et quand on rencontre enfin cet Américain, on se retrouve tous les deux réduits au rôle d'amuseur public, censé divertir nos hôtes en discutant en américain des américanismes que nous autres Américains avons en commun.
« Où est-ce que tu habitais à New York ? Tes enfants sont bilingues ? Où est-ce que tu achètes ta dinde pour Thanksgiving ? », ce qui serait tout à fait supportable si j’avais vingt ans et que je voulais coucher avec cette personne, mais comme ce n’est pas le cas, c’est simplement pénible. Pas autant pourtant que de rencontrer ces Américains qui, par effet de mitose, se sont débrouillés pour opérer ce remarquable dédoublement en vivant entre les deux pays.
« Je vis entre New York et Paris, » se vantent-ils avec nonchalance.
« Entre New York et Paris ? » dis-je. « Vous voulez dire que vous vivez sur l’île de Man ? »
Ils ne saisissent que rarement la blague. Trop occupés à pérorer sur leur boulot créatif qui leur permet de voyager, la difficulté de posséder deux appartements ou l’impossible quête d’un bon bagel à Paris ou d’un croque monsieur à Brooklyn.
Et bien sûr, ils finissent par poser la question la plus prétentieuse de toutes, « Tu as oublié l’anglais ? » à laquelle je ne sais jamais quoi répondre. Faut-il dire « Ben, on discute en anglais là, donc je suppose que non », ou alors faire du second degré et dire, « Pardon, mais, tu as eu une attaque cérébrale récemment ? »
Mais je leur répond plutôt un vague, « Ouais, parfois, » sans doute dans l’espoir de mettre un terme à la conversation. Ce qui échoue. Ils continuent leur assommant babillage d’enfant de six ans, « Oh, j’ai découvert un traitement miracle contre le décalage horaire ! » ou « Les Français sauront-ils un jour faire des brunchs corrects ? ».
J’esquisse un sourire douloureux en opinant du chef et je fais le type sympa, conscient que le pire des Américains à Paris est celui qui snobe tous les autres. Et c’est pendant ces échanges que les autres convives, Français, nous couvent d’un regard attendri comme des parents regardant leurs enfants jouer sur le tapis.
« Ils sont drôles, hein ? » ils disent. « Oui. Ils sont tellement américains ! » rigolent-ils en se demandant si l’un de nous deux ne connaitrait pas personnellement Jeane Manson.
Traduit de l'américain par Adèle Carasso