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Billet de blog 8 juillet 2014

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Vide-greniers: la France déballe son linge sale

Je déteste les vide-greniers. Non, mais vraiment. Je sais que ce n’est pas « politiquement correct » de le dire ; et je sais que les vide-greniers occupent une place chère dans le cœur de la plupart des Français.

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Je déteste les vide-greniers. Non, mais vraiment. Je sais que ce n’est pas « politiquement correct » de le dire ; et je sais que les vide-greniers occupent une place chère dans le cœur de la plupart des Français. Je sais aussi qu’ils font partie des réjouissances traditionnelles avec les vendanges, les Fêtes de Voisins (sujet auquel je ne manquerai pas de consacrer une chronique, comptez sur moi) et autres kermesses – terribles manifestations qu’il est interdit de critiquer. Mais vous savez quoi ? Aujourd’hui, je m’en fiche. J’ai pas le souvenir qu’un vide-greniers ait jamais soutenu John, alors pourquoi devrais-je me sentir redevable ? A l’heure où il semble qu’une majorité de Français a décidé de faire ses vieux fonds de tiroirs politiques – déballant son linge sale aux yeux du monde entier aux dernières élections européennes – ma haine se concentre tout entière sur l’institution elle-même.

Cette haine m’est apparue l’autre jour alors que je quittais un vide-grenier, bien entendu, en espérant que ce soit le dernier. Je ne vous dirai pas lequel parce que ça n’a pas d’importance et parce que, honnêtement, ça pourrait être n’importe où. C’est la magie des vide-greniers. Aussi nuls les uns que les autres. Dans la Drôme, à Créteil ou en Basse-Normandie, ce sont tous les mêmes. Peu importe l’endroit, ce qu’on y trouve est similaire, ce qui ne fait que confirmer brutalement l’homogénéité de la médiocrité à laquelle nous sommes tous réduits et à quel point nos vies sont encombrées de conneries.

Se promener dans un vide-greniers, c’est un peu comme une montée d’adrénaline qui retombe brusquement. On arrive en pensant qu’on va dégotter un vieux cheval à bascule ou un dessin au fusain oublié ou encore un vison à 20 euros, pour s’apercevoir qu’on se berçait d’illusions. Pourquoi ? Parce que les vide-greniers couvrent en général une période de vingt ans ; génial si on était dans les années 1970 et qu’on choisissait parmi des articles des années 50, 60, mais aujourd’hui, ça signifie qu’on se retrouve devant ce qui a été produit de 1994 à nos jours. Et il faut voir le beau patrimoine que nous lèguent ces deux décennies : des jeux de Xbox cassés, des piles de vieux T-shirts H&M et des baignoires en plastic pour bébé remplies de dvd. Rien de tel que de parcourir une collection de dvd entreposée dans une baignoire en plastique. On y trouve la saison 1 des Télétubbies, des films hautement oubliables avec Will Smith sur la jaquette, d’immondes comédies romantiques du genre Comment se faire larguer en 10 leçons ou pire que tout, Coursier, avec Michaël Youn.

Viennent ensuite les piles de vêtements. Oui, des piles. On pourrait penser qu’une personne tenant réellement à vendre un vêtement ferait l’effort de le présenter sur un cintre ou joliment plié sur une table ; parce que, honnêtement, il est très difficile de rassembler l’énergie nécessaire à l’exploration d’une pile de fringues dégueu. Un nombre incalculable de fois, je me suis trouvé devant un « stand » qui ressemblait davantage à une scène d’incendie parisien où le contenu d’un appartement détruit a été jeté sur le trottoir.

Souvent, quand je suis dans un Carrefour ou un Centre Leclerc, je me demande, « Qui achète tous ces trucs ? ». Qui achète des néons anti-moustiques, des bavoirs Florent Pagny, des pantoufles Cars ? Les gens des vide-greniers, voilà qui les achète ! Et ce qui est génial avec les vide-greniers, c’est qu’on rencontre enfin ces gens en chair et en os. Ce qui me fascine ce n’est pas ce qu’ils vendent mais le fait qu’ils aient choisi de passer la journée entière en plein soleil pour les vendre. J’imagine même la conversation qui a précédé un mois plus tôt :

-       « Chéri, qu’est-ce qu’on fait pour la Pentecôte ?
-       Oh, j’ai une idée. Si on vendait nos sous-vêtements et nos vieux biberons.
-       Mais, tu crois vraiment qu’ils vont se vendre ?
-       Chérie, les caleçons et les biberons, ça se vend toujours. »

Ce sont les mêmes qui sourient en disant, « Vous voyez quelque chose qui vous plaît ? » quand on passe devant leur étalage.

Que répondre ?

« Oui, votre soutien-gorge est magnifique. Pas celui que vous portez, bien sûr. »

Le vide-greniers créé en moi un conflit. D’un côté, je me rend compte que beaucoup y participent parce qu’ils ont besoin d’argent, ou qu’ils ne veulent pas se résoudre à jeter leurs affaires ou les deux, et je le respecte. De l’autre, je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi ces vieux vêtements ne sont pas donnés à une église ou à une œuvre de charité au lieu de m’être vendus à moi, le connard qui devrait faire son propre vide-grenier ? Ces gens gagnent-ils assez d’argent pour justifier la journée perdue au soleil ? Ne ferait-on pas mieux de donner tous ces trucs en échange d’une réduction d’impôts par exemple et d’aller à la piscine?

Une fois, j’ai fait une offre à un « vendeur » : 5 euros pour sa petite pile de fringues et 5 euros supplémentaires s’il m’aidait à les transporter jusqu’à l’église, cent mètres plus loin. Il l’a mal pris parce que ma proposition montrait clairement que je ne voulais pas de sa merde. Il a sans doute compris que je comptais m’en débarrasser moi aussi, ce qui était le cas, mais d’une façon utile. Il a donc préféré m’affirmer qu’il pouvait en obtenir plus, ce sur quoi il se trompait, évidemment. Quand je suis parti, des heures plus tard, ses caleçons cuisaient toujours au soleil.

Une autre chose qui me surprend toujours, ce sont tous ces gens qui vendent leurs affaires allongés par terre. Je sais bien qu’aucune règle ne les en empêche, mais si j’entrais dans un magasin je trouverais étrange de tomber sur des vendeurs allongés. C’est pour ça que les vide-greniers me donnent toujours l’impression d’être chez quelqu’un et de fouiller dans ses affaires pendant qu’il regarde la télé. En même temps, je les comprends, moi aussi j’ai envie de me coucher par terre. Les vide-greniers sont fatigants. Les vide-greniers et les musées sont les deux choses les plus épuisantes dans la vie.

Il y a les vide-greniers et puis il y a les vide-greniers apocalyptiques, ceux que je repère dans mon quartier où on vend des yaourts périmés, du dentifrice, des piles usagés ou des vieux Nokia cassés ; et j'ai l'impression d'avoir été téléporté en 1929, juste avant la Grande Dépression ou à Bucarest dans les années 1970. Je m'imagine devant un documentaire sur le Crash de 2015 avec une voix off qui raconte: « Bien que le Crash nous soit tombé dessus par surprise, certains signes ne trompaient pas et notamment l'augmentation significative du nombre de vide-greniers à travers la France, où les gens vendaient les dvd d'occasion des films de Michaël Youn. Ces manifestations étaient devenues la norme et se tenaient autant dans les petits villages que dans les grandes villes. »

De nombreux amis m’ont expliqué que je n’étais pas tombé sur le bon vide-greniers et que si je savais chiner je ne les détesterais pas autant ; comme s’ils savaient faire la différence entre un authentique parapluie  Dora l’exploratrice et une copie ?

Navré, mais j’en ai soupé. J’ai abandonné le rêve de découvrir une ménagère en argent des années 1920 au milieu des affaires d’un type qui n’a aucune idée de la valeur de son argenterie. Je suis résigné à la trouver quelque part aux Puces de Clignancourt et à la payer le même prix exorbitant que chez un antiquaire de la rue de Richelieu, ou le même prix qu’une machine à remonter le temps pour retourner dans les années 1970.

L’été est là et je suis tout excité. Mais ne vous attendez pas à me voir dans un vide-greniers ; un bal popu, oui, une fête du boudin, sûr, une foire au vin, certainement, un vide-greniers, non ! Votre vieille VHS du Roi lion ou cette affiche encadrée d’un chien qui joue au billard, tout comme les idées d’extrême droite, sont bien plus à leur place enfermées au grenier, à l’abri des regards et à l’écart des esprits plutôt qu’exposées aux yeux de tous au grand déballage d’un vide-greniers.

Respect pour ses voisins, quand même !

Traduit de l'américain par Adèle Carasso

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