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Billet de blog 12 mai 2014

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Quelque chose pour rien

Ce que je voudrais quand vous m’appelez, c’est que vous arrêtiez de dire « Bonjour » et même « Comment ça va ? ». Pas non plus la peine de vous présenter, votre nom s’affiche déjà en haut de l’écran. Contentez-vous de me dire ce que vous attendez de moi, parce que je sais que c’est la raison de votre appel. Vous attendez quelque chose de moi et je ne vous le reproche pas. Moi aussi, j'en attends beaucoup de John.

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Ce que je voudrais quand vous m’appelez, c’est que vous arrêtiez de dire « Bonjour » et même « Comment ça va ? ». Pas non plus la peine de vous présenter, votre nom s’affiche déjà en haut de l’écran. Contentez-vous de me dire ce que vous attendez de moi, parce que je sais que c’est la raison de votre appel. Vous attendez quelque chose de moi et je ne vous le reproche pas. Moi aussi, j'en attends beaucoup de John.

Mais la différence entre nous, c’est que vous, vous en attendez beaucoup pour pas un sou.

Je vois juste ? C’est bien ce que je pensais.

Je parie qu’il s’agit d’un projet, personnel bien sûr, un projet perso que vous développez et vous aimeriez que je vous aide à l’écrire…gratuitement. Je chauffe ? C’est bien ce que je pensais.

Non, vous ne voulez pas que je lise votre scénario. N’importe qui peut le faire. Vous voulez que je passe un temps considérable à l’écrire sans recevoir d’argent en échange, pas vrai ? C’est ce que je pensais. A la place, j’ai la satisfaction de savoir que quelqu’un respecte mon travail ; et un billet de loto imaginaire. Parce que les chances que je gagne au loto et celles que votre projet aboutisse sont à peu près égales.

Ne vous en faites pas. Inutile de me servir la rengaine « d’une certaine façon, John, on court tous les deux le même risque. » Je ne vais pas vous obliger à mentir. Un ami ne fait pas ça.  D’ailleurs, je ne vais même pas laisser les choses en arriver là. Je vais me contenter de vous rediriger vers ma boîte vocale.

C’est ça. J’ai conçu un serveur vocal comme ceux qu’utilisent bon nombre de grandes boîtes pour mieux répondre aux appels. Voici ce que vous entendrez :

« Bonjour, vous êtes sur la boîte vocale de John. Si vous voulez un service gratuit, faites le 1. Si John vous doit quelque chose, faites le 2. Si, par miracle, vous voulez payer John pour faire quelque chose, faites le 3. Pour toute autre raison, merci de patienter… indéfiniment. »

Qu’est-ce que vous en dîtes ? Pas mal, non ? Et vous savez quoi ? Depuis que j’ai mis cette messagerie en service, la boîte 3 n’a jamais reçu aucun message. Pas un. Sans doute parce que les deux autres sont saturées.

Il y a une scène géniale dans la série de Larry David, Larry et son nombril, où Larry, convaincu d’avoir un grain de beauté cancéreux dans le dos, demande à un copain toubib croisé à la salle de sport d’y jeter un œil. Malheureusement, le toubib est pressé et refuse. Larry, contrarié, reproche à son copain de ne pas être très généreux de son temps. Le copain se tourne vers Larry et lui demande, « Qu’est-ce que tu fais comme métier ? », « Je suis écrivain, » répond Larry. « D’accord, ben la prochaine fois que t’es à la bourre, t’auras qu’à m’écrire un petit truc gratos. »

Je suis l’inverse de Larry. Je ne demande jamais rien gratuitement. Jamais. J’ai même filé 10 euros à ma femme la dernière fois qu’on a fait l’amour. Elle l’a mal pris, ce que je comprends, mais c’est simplement que je ne supporte pas de demander de service à qui que ce soit. Non que je n’en aie pas besoin, mais parce que je suis trop parano pour être redevable.

Le plus cocasse, ce sont les gens qui s’énervent quand je les appelle pour qu’ils me paient. « Je suis désolé de te déranger, » je dis, « c’est simplement que j’ai plus de chauffage chez moi et que les enfants se nourrissent dans les poubelles, alors je me demandais quand tu pourrais me payer ce que j’ai écrit pour toi. »

« Tu es tellement américain, John, » qu’ils répondent. « Y a que l’argent avec vous, le fric, le fric, le fric, le fric. Oui, je vais te payer, mais franchement, si j’avais su que c’était que pour le fric, j’aurais cherché quelqu’un d’autre. »

Je lui assure que ce n’était pas simplement pour l’argent, que je croyais vraiment à son histoire de Rabbin qui change accidentellement de sexe et se met à apprécier davantage la vie. N’importe quoi plutôt que de le mettre en colère et qu’il me déteste, parce qu’en réalité, c’est pour ça que j’ai accepté de l’aider au départ.

L’ennui, du coup, c’est que quand les gens veulent me payer, je suis tellement flatté que je plonge la tête la première, pour me rendre compte après de ce pour quoi ils me paient. J’ai traduit Pilates pour les Nulles. J’ai rédigé un Manuel power point d’investissement des Hôtel Pullman. J’ai inventé des noms de lave-vaisselle pour Fagor-Brandt. Des boulots tellement terribles que le scénar sur le rabbin qui change de sexe m’apparaît comme Pulp Fiction.

Peut-être que je devrais commencer à me faire payer en bitcoin. Ou alors, je pourrais déposer une liste de mariage aux Galeries Lafayette ou chez Habitat et demander à chaque employeur potentiel de mettre de l’argent dessus au lieu de me le verser. Je l’appellerais La liste Freelance de John.

D’ailleurs, voilà mon nouveau message : « Si vous voulez que John travaille pour vous, merci de sélectionner un choix dans le menu suivant :

Pour verser à John un sac de couchage en paiement, faites le 4

Pour payer la note d’électricité de John, faites le 3

Pour payer John en nature, faites le 5 »

Au moins, comme ça, si j’accepte une proposition, je penserai pas j’écris une merde gratos pour toi, et vous, vous aurez la satisfaction de savoir que vous ne m’exploitez pas. Et ce n’est pas seulement parce que je crois au projet, ni pour l’amour de l’art, c’est parce qu’on est amis. En réalité, un truc aussi répugnant que l’argent ne m’a même pas traversé l’esprit, et manifestement (puisque vous m’appelez) vous non plus.

Traduction de l'américain par Adèle Carasso (lire ici en V.O.)

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