Un article intitulé 10 things extraordinary people say each day (10 choses que les gens extraordinaires disent chaque jour) a récemment circulé. C’est le genre d’article dont je me tiens en général soigneusement à l’écart, le genre qui surgit en bas de ma page Facebook et dont je ne sais jamais s’il s’agit en réalité de procédés publicitaires conçus pour accrocher des psychés fragiles, comme la mienne.
Cette fois-ci pourtant, j’ai cliqué, par pure curiosité, je voulais non seulement savoir si je dis certaines de ces choses (ce qui confirmerait mon intuition que je suis extraordinaire) mais aussi comprendre comment les gens extraordinaires se comportent face à d’autres, beaucoup plus ordinaires.
A la moitié de l’article, je me suis aperçu que je n’avais jamais entendu prononcer la plupart de ces expressions en ma présence, ce qui signifie, je suppose, que je ne fréquente pas de gens extraordinaires. Des gens médiocres, si, ce qui m’a amené à me demander pourquoi il n’existait pas de liste des 10 choses que les gens médiocres disent chaque jour.
C’est une liste à laquelle s’identifierait un nombre beaucoup plus important de personnes – une liste qui nous permettrait de détecter la médiocrité quand on la croise et de la repérer quand on en fait preuve soi même. Parce que, franchement, c’est pas difficile de reconnaître quelqu’un qui sort de l’ordinaire, alors que la médiocrité, elle, est beaucoup moins évidente à repérer.
10) Ecoute... Chaque fois que quelqu’uncommence par « Ecoute... », c’est sur un ton paternaliste à la con, comme s’il s’adressait à un gamin de 8 ans. C’est censé annoncé ce qui, dans leur esprit médiocre, revêt une extrême importance et qu’ils veulent que vous écoutiez, comme si ce n’était pas ce que vous aviez fait jusque là.
9) Bref. Bref est en général prononcé par une personne venant de s’apercevoir qu’elle aurait pu résumer en cinq mots ce qu’elle vient de nous asséner pendant cinq minutes. Dommage qu’elle n’y ait pas pensé avant. Souvent, les utilisateurs de « Bref » l’emploient parce qu’ils pensent qu’on est aussi con qu’eux et qu’on a besoin du synopsis de ce qu’ils viennent de dire.
8) Tu vois? Non, je vois pas. Les gens qui disent « Tu vois ? » savent au fond d’eux-mêmes qu’ils ne sont pas très clairs et ont donc besoin de vérifier toutes les dix secondes à la lampe électrique qu’on « se représente bien » ce qu’ils viennent de dire et que leur cerveau déficient a déjà oublié. On sait jamais, des fois qu’on l’aurait oublié aussi, tu vois ?
7) Ne le prenez pas personnellement. J’ai toujours trouvé curieux que les gens utilisent cette expression en introduction à ce qu’ils ont à dire, ça annonce toujours un propos profondément et douloureusement personnel. Ils pensent pourtant qu’en prenant la précaution de prévenir, ils se dégagent de toute responsabilité, à l’abri de ce faux mea culpa.
6) Sans indiscrétion… « Sans indiscrétion » se classe dans la famille de « Ne le prenez pas personnellement », c’est la manière française de demander combien on gagne. Une fois encore, l’interlocuteur tente d’obtenir l’immunité pour ce qui est une indiscrétion évidente et dont il ferait mieux de ne pas se mêler en prononçant cette expression médiocre et stupide avant de nous interroger sur nos revenus. « SI » est motivé par la jalousie et plus souvent rencontré dans le milieu professionnel que personnel.
5) J’espère qu’on pourra laisser tout ça derrière nous. Après vous avoir assassiné d’une sortie perverse et super violente, les gens médiocres prononcent souvent cette phrase tandis que vous gisez au sol dans une mare de sang. De cette manière, ils se lavent de toute responsabilité et vous laissent comme une femme battue, convaincue que c’est votre faute. Mais, le pire est passé, pas vrai ? Il est « derrière nous »… jusqu’à la prochaine fois. Et il y en aura une.
4) Soit disant. C’est de la pure médiocrité paresseuse. Prononcée par quelqu’un qui a peur de donner sa définition personnelle d’une chose ou d’une personne et cherche le consensus. « Soit disant », pour l’esprit médiocre, donne le sentiment d’être intello et audacieux alors qu’il s’agit en fait du copié-collé d’un commentaire entendu sur France Inter pour se donner l’air malin – soit disant « pertinent ».
3) Je ne suis pas le seul à le penser. Voilà le mal incarné. C’est vraiment l’expression la plus sinistre qu’on puisse adresser à quelqu’un, manifestement héritée du régime de Vichy. La plupart du temps, la personne qui le prétend est en réalité seule à le penser mais bien trop lâche pour l’assumer. Elle préfère créer de toute pièce un lynchage collectif dans l’esprit de son interlocuteur, parce qu’elle est le mal incarné.
2) Je peux vous poser une question ? Je ne sais pas – le pouvez-vous ? Possédez-vous une bouche et des cordes vocales ? Etes-vous d’ordinaire soumis à l’interdiction de poser des questions ? Les gens médiocres répètent cette expression en permanence. Ils s’imaginent préparer ainsi le terrain pour une vraie question, alors qu’en réalité, ce n’est que leur cerveau de poisson rouge qui mouline encore pour formuler la question qu’ils veulent poser, gagnant le temps nécessaire à leur cortex cérébral ralenti pour effectuer les connections.
1) Ce n’est pas ma responsabilité. Je pense sincèrement que « CPMR » est un message automatique pré enregistré vendu sous licence à toutes les compagnies françaises que j’appelle pour tenter de résoudre un problème. Qu’il s’agisse de ma livebox, de ma carte de séjour ou de mon imprimante, « ce n’est pas ma responsabilité » est le leitmotiv que j’entends répéter tout le long des 4 heures que durent ces conversations téléphoniques. Ce n’est pas ma responsabilité est le mantra de la dystopie dans laquelle nous vivons, le paroxysme de la médiocrité et de l’apathie telles qu’on les connaît. Car, comme on le sait tous, personne n’est responsable de ce qu’il fait, et à en juger par l’extraordinaire médiocrité de cette liste, personne n’est responsable de qu’il dit – ou écrit.
Traduit par Adèle Carasso