Si on se retrouve comme moi à errer dans un supermarché, flottant sur un nuage « expat » qui fait trouver charmant et exotique une chose normalement pénible et assommante comme de faire les courses, on peut échouer dans une zone étrange entre le vin et les jus d’oranges, où de petites bouteilles d’alcool sont vendues dans d’épais emballages plastic.
Je ne parle pas des bouteilles d’Evian en packs de six dont on sait tous que la poignée va nous scier la main comme une corde de piano quand on les portera jusqu’à chez nous. Je parle de petites bouteilles de Gin, de Rhum ou de Whiskey (modèle « flasque » comme on dit) « packagées » dans du plastic industriel et vendues en rayon comme des figurines Transformer, suspendues à un petit œillet de carton, impossibles à ouvrir sans un couteau suisse.
Je ne suis pas stupide. Je vois bien la logique. Ces bouteilles seraient tentantes et faciles à chaparder, et le fabricant fait le pari que les emballer comme des piles électriques coûte toujours moins que ce qu’on y perdrait en vols ; et qui sait, ça pourrait même rendre le produit plus attirant ? C’est connu, on désire ce qui semble hors de portée. Les seuls produits que j’ai vus à ce point protégés dans les supermarchés français sont les rasoirs, ce qui doit vouloir dire que la France serait j’imagine un pays d’alcooliques rasés de près.
L’excitation pour moi de voir cet alcool sous plastic n’est pas juste parce que je trouve ça pervers. C’est aussi que ça entre dans ma catégorie de « produits paradoxaux » - des produits qu’on ne s’attend pas à trouver où on les trouve ; comme les briquets dans les stations service, les cigarettes en Amérique vendues dans les pharmacies, ou les valises dans le duty free à côté de la porte où on est sur le point d’embarquer.
On a les mêmes bouteilles aux Etats-Unis, mais elles ne sont vendues que dans les Liquor Stores équipés de vitres anti effraction, derrière des comptoirs défendus par des vendeurs armés de pistolets ou de battes de baseball. En France, les cavistes sont trop chics pour vendre un produit aussi désolant, qui donne une image aussi triste du vendeur que de l’acheteur. Et ils ont raison. On ne voit jamais ces bouteilles aux dîners où on est invité, par exemple, votre hôte sortant une flasque de vodka pour le digestif. D’ailleurs on voit rarement un non alcoolique boire à une de ces bouteilles, à moins d’être sur le parking d’un match de foot, ou le parking d’un enterrement.
Et il faut une certaine audace pour acheter une bouteille de Whiskey bardée de plastic, avec son plat cuisiné et son taboulé. Ça dit quelque chose, surtout quand la caissière passe le code barre en demandant si on veut un sac ou si c’est pour ouvrir tout de suite.
Je me suis toujours demandé ce qui est écrit au dos de la bouteille, sous l’emballage. Un tirage au sort promotionnel (renvoyez le paquet et gagnez peut-être une croisière), une série de recettes (préparer les tacos qui vont avec cette Tequila) ou des astuces (le secret du Rhum punch réussi) ? Ou peut-être une garantie ?
Récemment j’ai fini par en acheter une (deux, en fait), avec mes enfants, juste pour voir. En les passant avec les Chocopops et les Pepitos, la caissière m’a regardé bizarrement, comme si j’avais fait une erreur. Surtout quand je lui ai demandé un paquet de rasoirs dans la vitrine derrière elle.
Mais pourquoi c’est moi qui devrais être gêné ? C’est quand même eux qui vendent le produit honteux et sollicitent une population qui en a tellement besoin qu’elle le volerait s’il n’était pas empaqueté comme une poupée GI Joe.
Le plus tordu dans ces packagings, ce sont les bouteilles : assez petites pour glisser dans une poche, assez petites pour être volées, assez petites pour les boire tout seul. Il faut être franc. Ces bouteilles sont créées pour les alcooliques, pour les pauvres types qui après les avoir achetées doivent trouver le moyen de crever ce plastic. J’ai essayé, et croyez moi, quand on a enfin réussi à venir à bout de cet emballage, là, n’importe qui aurait besoin d’un coup à boire.
Mais comme pour beaucoup de mes observations parisiennes, la plupart des gens ne remarquent absolument pas ou se foutent complètement de l’alcool sous plastic, et il n’y a que moi pour me retrouver avec deux bouteilles de Gin suspendues dans mon placard avec mes cravates.
Je pourrais sans doute les offrir pour Noël, remplir la chaussette de mon beau-père pour faire un petit cadeau sympa.
Ce qui est triste c’est que pour beaucoup de gens ce produit est un petit cadeau sympa, que tous les jours pour 2€45, ils ouvrent avec un bic ou une clé ou un tire bouchon ou leurs dents, un peu d’alcool admirablement emballé sous plastic. Et tous les jours, pour certains, malheureusement, c’est Noël.