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Billet de blog 4 novembre 2018

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Je vois la vie en rond

Depuis qu’il siège à l’hémicycle en qualité de député il est heureux, mais à demi seulement ; il aime trop les ronds complets.

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Depuis qu’il siège à l’hémicycle en qualité de député il est heureux, mais à demi seulement ; il aime trop les ronds complets. Voici ce qu’il m’a glissé en confidence :

« Chaque jour, la ronde des fromages expédiée chez « Tante Marguerite », je laisse mon rond de serviette pour me précipiter dans les jardins de l’Assemblée où je me renverse dans un de ces grands fauteuils-tonneau ronds en plastique. J’y contemple d’un air satisfait les ronds de fumée de mon cigare heureux, les ronds de jambe des petits marquis de la République et l’arrondi ensorcelant des appâts de la serveuse si gironde. Je n’aime rien tant que de voir le monde tourner rond, ainsi. Je caresse subrepticement du regard les rotondités des caryatides de la fontaine du rond-point. Elles ruissellent au milieu du fouillis de rondes-bosses et arondes, commis par un sculpteur sans doute rond comme une queue de pelle au moment de l’érection. Une rumeur étouffée de klaxons me parvient des carrefours jouxtant le Palais Bourbon. Je suis « gros, gras et satisfait » peut-être, mais épanoui. Mon seul agacement, fort mesuré au demeurant, provient des rondelles en caoutchouc de mon siège, couinant sans pitié lorsque je me tords pour considérer la vie alentour.

Je laisse toujours mes yeux globuleux errer sur ces horripilants ronds-de-cuir des services administratifs de l’assemblée. Terrorisés par les affaires rondement menées, ils préfèrent toujours surseoir en se défiant aux boules sur le boulingrin aux bordures arrondies.

Mon élection acquise, je me suis doté pour peu de ronds d’un appareil destiné à voir la vie en rond. Un tube lisse et aseptisé muni d’une bague réglable permettant de focaliser au plus étroit des choses pour les voir bien nettes dans un rond bien délimité. Outre l’avantage de pouvoir choisir ce que je veux voir et de ne croire que ce que j’ai vu, cette option me permet de flouter simultanément les lointains aux allures insuffisamment courbes à mon goût. Je ne supporte pas les horizons incertains. Mon tube rond présente de surcroit l’avantage de limiter, voire éliminer, les angles, générateurs d’échanges vifs lorsqu’ils partent de points de vue différents.

Je vais même jusqu’à chasser de mon vocabulaire tout ce qui pourrait évoquer la pointe blessante de la ligne brisée, de l’angle ou du coin. Seule l’expression « frappé au coin du bon sens » trouve grâce à mes yeux depuis que je sais qu’il s’agissait à l’origine de frapper monnaie sous forme de pièces rondes.

Prince de la courbette, épris de rondeaux et tout en rondeur moi-même, je m’ingénie toujours à arrondir les angles. J’apaise comme un chanoine matois les tourmentés de l’inattendu qui ne supportent pas que les êtres et les choses ne tournent pas rond. J’abhorre ceux qui prétendent en baver des ronds de chapeaux, les  empêcheurs de tourner en rond. En un mot, tous ceux qui, si on les laissait dire, entretiendraient volontiers l’idée que le monde tourne à l’envers.

Mon visage rubicond de pomme mûre s’épanouit lorsque je parviens à terrasser l’un de ces fâcheux d’une citation bien assassine de Cicéron, dans le texte de préférence. J’aime laisser mes victimes comme deux ronds-de-flan.

Penser en rond me rassure. Ceci me permet de toujours revenir à mon point de départ. Je ne risque pas ainsi de me perdre en chemin dans des impasses sans courbe, tournant ni demi-tour possible. Le bon sens est rond me dis-je souvent en chantonnant sur l’air de la « vie en rose », la « vie en rond » :

« Quand elle me prend dans ses bras,

Qu’elle me parle tout bas

Je vois la vie en rond euh… »

On peut me voir après cette méditation digestive,  me lever en soupirant. Puis, observer ma silhouette rondouillarde disparaître peu à peu dans les couloirs de l’assemblée, entre deux rangées de plantons de la Garde Républicaine.

Révolution… Révolution… Quoi révolution ? Comment çà  …rond ?

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