Je voulais me repaître de la belle ombre bleue du matin quand elle rend certains les espoirs impatients du jour.
Je voulais contempler chaque soir le soleil se poser pour la nuit comme une tête ronde sur l’épaule des souvenirs embarqués. Je voulais m’approcher doucement d’eux malgré ma peur de les effaroucher. Je voulais les surprendre, enfin, en leur caressant les notes d’une partition propre à fendre l’âme des violons.
Je voulais poser des nichoirs pour les araignées sans toile.
Je voulais ôter les miroirs trop bas où mon chien risquait de voir blanchir son museau.
Je voulais masquer les nuages pour que ma chatte n’ait plus aucune raison de se passer la patte sur l’oreille.
Je voulais forger un balcon pour la mésange bleue qui se prenait pour Juliette, et je voulais que les mains de Roméo le charbonnier miment les ailes d’oiseaux jusqu’à ce qu’elles sachent vraiment voler pour la rejoindre.
Je voulais remonter toutes les horloges sans foi ni loi pour qu’elles ne sonnent que deux fois les heures sans surprise du jour : 10 h 10, l’heure souriante qui ouvre ses bras pour inviter au grand tour et 23 h 23, la dernière du genre qui le verrouille sans rémission.
Je voulais remplir ma gibecière à joies d’une inépuisable réserve de tendresse et de rires d’enfants heureux pour m’en repaître quand bon me semblerait.
Je voulais apprendre de la vigie comment prendre la vague sans jamais perdre de vue les balises et feux du port.
Je me suis entrainé à secouer les épaules pour mieux accompagner un rire que je voulais sans retenue car je voulais trouver la sérénité sans ombre qu’affichent les « s’en fout la mort ».
Bien sûr, les nombreuses fois où je n’y suis pas parvenu j’ai eu peur et les autres j’ai eu peur quand même.
« On ne fait pas ce qu’on veut. On veut et on vit : cela fait deux.» Romain Rolland