
Agrandissement : Illustration 1

Les souvenirs qui me restent de toi n'ont pas besoin d'être réactivés par des commémorations. Je n'étais pas bien vieux mais tu ne te doutes sûrement pas de la place que tu laisses dans mon univers. Je ne t'ai jamais appelé Roger mais Papé. Pourtant, quand on parle de toi dans la famille, on dit Roger; je m'y suis fait.
Je te revois, humble et doux, descendre à ta cressonnière pour y faucher quelques herbes indésirables. Au signe de ralliement de ta faux sur l'épaule, les poules se précipitaient en bandes désorganisées derrière toi. Tu les repoussais doucement du manche, et Ketty, ta chienne cocker, t'aidait à mettre bon ordre dans cette débandade. Il te fallait prendre garde de ne pas faucher les pattes fines de toutes ces écervelées; ta faux était tellement coupante... Un vrai rasoir !
La haut, en 14, l'obligation de tirer sur les silhouettes d'en face t'avait de la même façon détourné à tout jamais des sortilèges de la chasse et, rentré dans tes vignes, tu ne supportais pas d'entendre maltraiter un animal de trait entre les rangs du coteau d'en face. La colère t'aurait fait sortir de tes gonds.
Ketty te suivait partout comme ton ombre. Elle ignorait tout de Verdun et de la côte 310, mais tu étais son héros.
Nous autres enfants, il aurait fallu que nous devinions tant de choses pour savoir que tu étais un héros.