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Billet de blog 30 mai 2022

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Confidences de miroirs

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Maintenant que nous sommes brisés menu dans le container à verre, rien ne nous distingue plus l’un de l’autre ; nous reflétons les mêmes portions de ciel et tout porte à croire que nous partagerons le même destin. Encore quelques jours de souvenirs confidentiels échangés, sans distinction d’origine ni d’histoire, avant d’être basculés dans le grand creuset à fondre le verre.

 - Ah ! Je peux dire que j’en ai vu des vertes et des pas mûres dans ma vie. Figure-toi que j’étais miroir de courtoisie, collé au revers du pare-soleil d’une deudeuche. Le genre de truc tellement insignifiant qu’on lui confie presque tout sans le savoir. Et toi ?

 - Oh ! moi, j’étais le grand miroir biseauté de style baroque à feuilles d’acanthe qui trônait sur la cheminée en marbre de la salle du conseil municipal. Avec le prisme de mon biseau-est je jetais un spectre arc-en-ciel sur le portrait du Président de la République le matin, et avec celui de l’ouest, un rayon tendre sur le buste de Marianne l’après-midi.

 - Et qu’est-ce qui t’es arrivé pour finir ici ?

 - Une entrevue houleuse entre le maire et ses opposants. J’ai pris un de ces gros cendriers en cristal d’autrefois en plein verre. Et toi ?

 - Un face à face avec une fourgonnette de fruits et légumes, au moment où ma propriétaire regardait ses dents en moi, justement. Elle, c’était son truc de vérifier qu’elle n’avait pas de rouge à lèvres sur les dents et d'ébouriffer ses cheveux à deux mains, surtout quand elle se rendait chez son amant. Et, à son retour elle vérifiait bien en se tordant le cou qu’elle n’avait pas le feu aux joues. J’étais le seul à savoir. Parfois elle forçait un sourire, pour mesurer le degré d’avancement de ses pattes d’oie. Les bons jours, lorsqu’elle se plaisait, c’est à moi qu’elle souriait. Le mari, lui c’était plutôt les poils du nez qu’il s’arrachait avec une grimace terrible. Il n’hésitait pas, non plus à examiner si tout était en ordre après s’être fourragé le nez ou les oreilles avec fureur. Il se curait les dents ou appréciait furtivement le rugueux de sa barbe de baroud quand il allait voir sa maîtresse du moment. Parfois il se plantait les yeux dans les yeux avec moi et me crachait, farouche, les trucs qu’il n’osait pas dire à son patron. Un vrai agitateur sorti tout droit de Germinal. Enfin, bref ! L’un comme l’autre ne se rendaient même pas compte qu’ils donnaient en pâture tous leurs rictus intimes de salle de bain dans le rétroviseur du véhicule précédent. Il m’arrivait parfois d’avoir honte pour eux devant certaines scènes que je n’aurais jamais dû voir. Mais je crois que ce que je préférais, c’était les enfants quand ils s’étaient déguisés. Je m’évertuais, alors, à leur renvoyer le reflet exact de ce qu’ils étaient effectivement devenus. Je n’aimais rien tant que ces heures où je devenais le centre du monde des enfants.

- Alors que pour ce qui est des adultes, nous absorbons leur posture, sans tain pour nous, et leur renvoyons la fausse image éphémère qu’ils voudraient tant vitrifier. Autrement, pour l’essentiel, c’était un peu la même rengaine que pour toi. Si je te disais qu’en face de la porte entrebâillée je voyais le maire besogner sa secrétaire sur le vaste bureau empire de la salle des mariages. Il ne se doutait pas qu’elle voyait le reflet du va-et-vient poussif de ses grosses fesses poilues dans le miroir baroque du bureau. Moi aussi j’étais le seul à savoir. Il lui arrivait aussi d’être saisi d’une étrange exaltation, le Maire. Dans ces moments là, un casque de pompier fiché sur le crâne, le drapeau de la mairie brandi bien haut, il  lançait le discours enflammé du chef de guerre qu’il avait toujours rêvé être. Il travaillait tous ses discours devant moi, regards, postures, gestes.  Qu’est-ce que je pouvais rire quand il s’ingéniait à ne présenter que son bon profil pour se plaire, comme si dans la vie sans fard, les gens voyaient uniquement ce qu’il croyait être son angle le plus avantageux. Et ces gros lourdauds de conseillers qui se regardaient à la dérobée en tentant de ramener une mèche sur le blanc à casquette de leur crâne. Je riais moins quand l’un d’eux, profitant du bureau déserté, perçait un bouton au ras de moi en m’embuant de son haleine avinée. Moi, mes meilleurs moments, c’était, par exemple, quand la fille du Maire se sachant seule prenait un air extatique pour mimer un baiser sur les lèvres. Elle était la Scarlet  que son amoureux contemplerait jusqu’à ce que ses lèvres se posent sur elle, comme elle posait les siennes sur moi. Puis, sortant un mouchoir en baptiste de sa manche elle effaçait promptement la seule trace qu’un miroir peut conserver ; celle d’un baiser à bout touchant.

 - Oui. C’est vrai, finalement, que nous sommes des confidents menteurs doublés de flatteurs et d’enjôleurs impénitents. Mais notre avantage inestimable à nous, professionnels du reflet, c’est que nous gardons secrètes les aspirations les plus intimes que nous dévoile notre vis-à-vis. Nous ne conservons aucune trace de ce que nous voyons, pas la moindre bribe de nos réflexions.  

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