José MUCHNIK
Poète, écrivain, anthropologue. Chroniques poétiques du 3ème millénaire
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Billet de blog 5 déc. 2021

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Chanson pour les noyés

Le 17 novembre de l’année 2021, vingt sept migrants, hommes femmes enfants, fuyant la famine et les guerres, se sont noyés près de Calais- France, essayant de traverser le Canal de la Manche. Un horreur! Un horreur! Balbutiait entre pleurs le pécheur français qui les a retrouvés. Le poète rend hommage aux disparus dans cette tragédie, avec un cri qui reflète ces questionnements.

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Chanson pour les noyés[i]

José Muchnik

Traduction de l’espagnol (Argentine) Viviane Carnaut 

Chanson rauque, rouleaux de sable dans les gorges, mer agitée, l’innocence se noie, ministres réunis, bureaucraties en règle.

Humanité en solde! Black Friday! Black water! 

Liberté ! Égalité ! Fraternité ! 

Les comptes du jour sont-ils faits ? Enfants femmes hommes ? Combien en tout ? Kurdes, Somaliens, Syriens, Éthiopiens,Algériens, Irakiens, Yéménites… ?

Comment compter leurs âmes ? 

Liberté ? Égalité ? Fraternité ? 

Quelle liberté ? De quoi es-tu faite, Liberté ? Des libres marchés ? Des bourses sans valeur ? Des courtiers à gogo ? Qui mets-tu à égalité? Bidonvilles et bulldozers ? Mains et guillotines ? Sardines et requins ? Fraternité, oui ! Nous garderons le secret, nous sommes en chemin. 

Des cercles de poètes récitent, s’applaudissent, dédicacent des livres, reçoivent des diplômes, cultivent les égos, sourient satisfaits.  Avenir bouché, les portes ne communiquent pas, ne s’ouvrent pas, même pas sur un labyrinthe. La danse des métaphores dure, le rythme s’accélère, la force centrifuge jette les mots dans le vide, ils continuent à sourire, les mots gisent vidés de leur sens. Tu ne chantes pas poète ? Je donne forme à l’angoisse, je transforme l’impuissance en questions, je cherche des indices dans les traces que laissent les feuilles en tombant. Je chante en silence. Automne, explosion de tons, la beauté demeure. Sentir le monde malgré tout. Ils anéantissent leurs semblables, plastifient les mers, suffoquent l’air. Plonger dans l’ignorance, atteindre les ténèbres. Y trouverai-je les bêtes ? Quelques brins de lumière pour remonter à la surface ? Continuer à chanter en silence.

 Ceci est mon témoignage, bouteille à la mer aux commencements du troisième millénaire. Regardez autour de vous ! Sommes-nous condamnés à nous crever les yeux? À nous haïr sans limite? À courir sans raison ? Pourquoi se précipiter ? Avons-nous réservé des loges au septième ciel? La mort nous a-t-elle invités à un bal masqué? La soupe de mots secs est-elle en train de refroidir ? Pourquoi accumuler de l’argent ? Corrompre les gardiens du paradis ? Acheter l’élixir de l’éternité ? Organiser un mariage sur l’Olympe ? 

Poètes ! Détruisez le cercle ! Brisez les murs intérieurs ! Sortez dans la rue. Crier frères, s’asseoir sur le trottoir, embrasser des clochards, fouler les feuilles mortes, ressentir le message de leur bruissement. Je ne suis pas messie, ni prophète, ni robot. Clic clic clic : validez. Alléluia ! Le système me reconnaît. Spectacle permanent. Covid ! Covid ! Covid ! 

Ce n’est pas la seule pandémie. La «chodémie»[ii] a conquis le monde, paraître plutôt qu’être. S’afficher à la télévision, magazines, réseaux, je me montre donc je suis. La « misodémié »[iii] aussi, épidémie de la haine, la métastase progresse. Demos souffre et espère, le miracle tarde à venir.

Chanter en silence, chanter l’amour, continuer à s'entre-tuer. Tuer un musulman juif arménien rohingya[iv] mapuche[v]tutsi[vi] nègre blanc jaune…Meurtres par vagues depuis l’origine des temps frappent les côtes les yeux les lèvres. Surgissent des questions incandescentes.Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pogrom[vii], détruire raser piller… Les mots gardent leur sens. Amour, rose du soir, chants d’alouette, poulains lunaires, rivières en crue… Aimer comme il faut aimer, battements de cœur au bord de l’abîme, buvant des fontaines de mystère, cultivant des mondes secrets. 

Que dire de plus ? 

Tout a été dit 

Se taire 

Jusqu’à quand ?

José Muchnik

21 novembre 2021

[i] Le 17 novembre de l’année 2021, vingt sept migrants, hommes femmes enfants, fuyant la famine et les guerres, se sont noyés près de Calais- France, essayant de traverser le Canal de la Manche. Un horreur! Un horreur! Balbutiait  entre pleurs le pécheur français qui les a retrouvés.

[ii]Chodémie: Epidémie qui pousse les gens à se montrer pour exister (dans SEFIKILL, José Muchnik, 2015, ed. CICCUS, Buenos Aires). De l’anglais show (montrer) et du grec demos (peuple)

[iii]Misodémie:Epidémie de haine. Du grec miso (haine) et demos (peuple)

[iv]Rohingya: minorité ethnique Birmane, persécutée par la junte militaire au pouvoir.

[v]Mapuche: peuple originaire du sud du Chili et d’Argentine, persécuté historiquement par les conquistadors espagnols et plus récemment par des groupes racistes de ces pays.

[vi]Tutsi: Ethnie du Rwanda victime du génocide de l’année 1994

[vii]Pogrom:du russe Gromit; détruire raser piller.

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