LIBYE LE PIEGE ?
L’unanimité était générale. Qu’il s’agisse des spécialistes qui défilent à une cadence vertigineuse sur les plateaux de télévision, des journalistes ou des commentateurs, la France avait trouvé en son Président un chef de guerre qui, « Rafale au clair », volait au secours du peuple libyen, menacé d’extermination par son Président tyran.
La France qui doute, qui s’interroge sur l’avenir et le devenir du pays, a trouvé, dans cette intervention militaire, du grain d’espoir à moudre. Enfin ! Après le camouflet et le cafouillage diplomatique à propos des événements de Tunisie et de l’Egypte, l’Hexagone a retrouvé son honneur qui déclinait. Jamais civisme ne fut autant consensuel. A ce train-là, notre Président va devenir le nouveau shérif du monde à la place d’Obama…
Mais voilà. A quelques très rares exceptions près, personne n’a imaginé un autre scénario. Même certains de nos politologues chevronnés et d’habitude prudents, ont tonné et trempé leurs plumes dans l’encre des va-en -guerre sans retenue. Cela rappelle furieusement les élections européennes : ceux qui avaient opté pour le ‘Non’ passaient pour des ignares.
A propos de la Libye, malgré la situation dangereuse pour la population, malgré les massacres prévisibles, il aurait fallu garder son sang-froid et prendre le chemin de la sagesse, celui qui conduit au dialogue et à la négociation.
Cela fait quand même 40 ans que nous savons que Kadhafi, avec sa tribu, a fait main basse sur la Libye. Nous savions aussi qu’il était le grand souteneur de mouvement terroristes et ordonnateur d’attentats.
Nous l’avons courtisé et lui avons ciré les babouches. Nous lui avons permis de planter sa tente de bédouin dans les jardins de Matignon. Nous lui avons organisé une partie de chasse au gros gibier dans la forêt de Chambord.
Nous lui avons vendu des armes, avec lesquelles il tire sur son peuple, et la construction d’une centrale nucléaire.
Autant dire que Kadhafi était un client et un ami. Comme l’étaient Benali et Moubarak.
En ces temps-là, Kadhafi était loin d’être un fou. C’était un client respecté. Il servait même de rempart contre le terrorisme et la vague de l’immigration d’Africains noirs qui menaçaient d’envahir l’Europe.
L’initiative de voler au secours des Libyens qui luttent pour leur liberté et leur dignité est juste et honorable. Mais fallait-il commencer par envoyer des bombardiers ? Les actions militaires, aussi justifiées soient-elles, sont toujours facteur de désolation et de meurtrissure. N’aurait-il pas fallu, depuis longtemps, prendre langue avec les opposants, les armer et les soutenir politiquement ? Jeter un pont entre les Libyens, pour éviter les massacres, les morts et échapper à la folie d’un dictateur fanatique et tribaliste ?
Maintenant que le mur des hostilités est franchi par les Rafales, comment éviter de s’ensabler dans le désert libyen ? Il faut revenir dare-dare à une table de négociation. Rechercher les pistes pour permettre aux Libyens de tracer eux-mêmes le chemin de la liberté et de la dignité. Ne pas prolonger l’intervention militaire qui apparaîtrait alors aux yeux du monde arabe comme une « croisade »contre l’Orient, comme l’a laissé entendre le Ministre de l’intérieur français.
On peut aussi se poser les questions suivantes : Pourquoi laisse-t-on les Ivoiriens s’entretuer, alors que, sur place, un contingent de Casque Bleus et des éléments des forces françaises regardent ailleurs, alors que les rues d’Abidjan sont transformées en ruisseaux de sang ? Pourquoi, la France, ancienne puissance coloniale, avant d’aller guerroyer en Libye, n’a-t-elle pas sérieusement cherché avec l’Union Africaine les solutions pour empêcher un scénario à la rwandaise ? Est- ce parce que ce ne sont que des noirs ?
Demain, que dis-je ! Aujourd’hui, que fait-on du Yémen, de la Syrie, de la Jordanie et des monarchies du Golf Persique en ébullition ? Assistera-t-on à des bombages de torse et des interventions militaires tous azimuts ? Ou à des comportements responsables, qui se traduisent, d’abord, par la recherche des voies de la sagesse, c’est-à-dire, avant tout, le dialogue et la négociation ?
« A une juste guerre, préférons une juste paix »
(Samuel Butler)
A. de KITIKI