FRANCE-CENTRAFRIQUE :
LE BAL DES FAUX-CULS
27 décembre 2012. Rungis, 4 heures du matin. Le Président Hollande, rendant visite à « ceux qui travaillent tôt » (et non à «ceux qui se lèvent tôt »), déclare à propos des troubles en Centrafrique : « Les forces françaises sur place ne sont là que pour protéger les ressortissants et les intérêts de la France… » Quid de la population locale ? Est-ce que ce n’est pas de la non-assistance à population en danger ? Que ce cynisme sorte de la bouche d’un Président de gauche est insupportable. Mettons-le sur le compte de l’heure trop matinale. Après tout, l’Oubangui-Chari, devenu République Centrafricaine le 1er décembre 1958 et indépendant le13 août 1960, a toujours été une terre où se concentrent les aberrations les plus hideuses de la Françafrique.
République Centrafricaine : KÖDÖRÖSESE TîBêafrîka, en sango, la langue nationale. C’est une ancienne colonie française. On ne le rappellera jamais assez. L’Oubangui-Chari a été une terre souillée et blessée par les violences coloniales. Les intendants de sociétés concessionnaires, rebuts alcoolisés de la société française, s’y sont livrés à des violences, couvertes par l’administration. C’était le temps de la chicotte (sorte de fouet en peau de buffle tressée), qui laissait des cicatrices à vie sur le dos des récalcitrants. C’était aussi le temps du travail forcé. L’Oubanguien était infantilisé, déresponsabilisé par les colons. Il suffit de lire Voyage Au Congo d’André Gide, publié en 1927, pour mesurer l’étendue du désastre. Imaginez la France découpée en morceaux et attribuée à des sociétés concessionnaires qui avaient droit de mort et de vie sur tous les sujets. Les curés se chargeaient de dénoncer les guérisseurs qu’on accusait d’être des sorciers antéchrists. On détruisait leurs lieux de cultes, on arrachait du cou et des bras des enfants les amulettes sensées les protéger. On pillait les œuvres d’art : sculptures et poteries rituelles garnissent aujourd’hui les étagères des musées européens.
Une brève évocation de l’histoire de la République Centrafricaine permet de prendre la mesure de l’instabilité de la politique et de la mauvaise gouvernance de ce pays, potentiellement riche et pourtant classé parmi les plus pauvres du monde.
Enclavée au centre du continent noir, la République Centrafricaine a le malheur, comme beaucoup de pays africains, d’avoir un sous-sol très riche en matières premières et d’avoir été convoitée du fait de sa position stratégique.
Barthélémy Bonganda, père de la Nation centrafricaine, député français, avait entrepris de procéder à l’émancipation de son pays. Sa devise ? « Nourrir, bâtir, vêtir ». Ce progressisme ne pouvait pas plaire aux sociétés concessionnaires. Il mourut le 29 mars 1959, en Centrafrique, dans un accident d’avion dont les causes ne furent jamais élucidées. L’hypothèse d’un attentat ourdi par ces sociétés concessionnaires n’est pas à exclure.
Après Barthélémy Bonganda, la République Centrafricaine devient le pays des ténèbres…Pendant que le peuple crève de faim, les coups d’états se succèdent, portant au pouvoir des présidents corrompus et tribalistes. Ils entreprennent, systématiquement, de constituer des oligarchies au service exclusif de leurs tribus et au détriment de la population. Dacko, Bokassa, Kolingba, Patassé et Bozizé ont, chacun à son tour, dirigé le pays, avec, toujours en sous-main, l’implication de la France.
Bokassa fut, à coup sûr, le modèle de ce que peut générer de plus détestable la Françafrique. C’est, en effet, la France de Valéry Giscard d’Estaing (Bokassa appelait Giscard « mon frère ») qui assura le concept intellectuel et festif du couronnement de l’Empereur Bokassa DE CENTAFRIQUE DE BERENGO. Il y eut même un représentant officiel du Vatican à cette insulte suprême faite au peuple centrafricain…
52 ans d’indépendance, certes, mais à quel moment les Centrafricains ont-ils pu prendre part à la direction de leur pays ? Les privilèges et les prébendes sont toujours restés aux mains de ceux qui, prenant les rênes du pouvoir par la force, confondaient les caisses de l’Etat avec leur cassette personnelle. Cette gabegie était connue et peut-être même entretenue par l’ex-puissance colonisatrice : la France. Vaut mieux avoir des dictateurs sanguinaires qui protègent les intérêts étrangers en terrorisant leur peuple (Bokassa coupait les oreilles des voleurs) que des dirigeants au service de leurs citoyens.
Ainsi est allée, jusqu’à présent, la République Centrafricaine.
Les événements d’aujourd’hui étaient prévisibles. Tout le monde savait le pays exsangue, malgré ses richesses naturelles. La R.C.A. a la particularité d’être un de ces pays dont l’économie et les capitaux sont contrôlés par des ruffians étrangers. Le commerce des diamants est aux mains des Libanais, des Israéliens des Nigérians et autres commerçants musulmans du Nord. Corrompus jusqu’à l’os, les dirigeants successifs n’ont jamais favorisé l’émergence d’une classe sociale centrafricaine qui prenne enfin en main la gestion citoyenne de l’économie de son pays. Quand un jeune Centrafricain entreprend de développer une action qui profite à tous, il est tué, ou asphyxié par les impôts.
Des témoignages recueillis directement auprès des habitants de Bambari, après la conquête des rebelles de la SELEKA, relatent des situations inquiétantes : ce sont des bâtiments administratifs qui ont été ciblés. Il y a eu des pillages et peut-être des morts. Mais les vols ont été sélectifs, épargnant les magasins des musulmans. Rappelons que la République Centrafricaine est un pays à majorité animiste et chrétienne. Les 5% de musulmans se concentrent aux frontières du Soudan, à l’est, et du Tchad, au nord, sans oublier que des immigrés nigérians musulmans et les Libanais tiennent le commerce de détail. La rébellion semble utiliser des mercenaires, parmi lesquels des Djandjawid, ceux-là mêmes qui massacraient les habitants du Darfour pour le compte du gouvernement soudanais, ainsi que des Tchadiens et des Soudanais. Ils ne parlent ni sango, ni français.
En 2003, François Bozizé avait réussi son coup d’état avec l’aide active d’Idriss Deby, Président du Tchad. C’est encore grâce à lui qu’il a tenu jusqu’à maintenant. C’est toujours Deby qui contrôle les événements d’aujourd’hui…
La rébellion contre le tribalisme et la mauvaise gouvernance est largement justifiée. Les Centrafricains n’en peuvent plus. Ils sont exsangues, devenus de pauvres hères dans leur propre pays livré aux étrangers depuis cinquante-deux ans. Pour sortir du chaos et du vide politique, il faut, de toute urgence, organiser une grande conférence nationale sans exclusive, sous l’égide de l’Union Africaine et de l’O.NU., réunissant toutes les forces politiques, tous les Centrafricains représentant toutes les opinions, toute la diaspora (beaucoup de cadres ont fui le pays pour aller s’installer en France et au Québec). Ainsi rassemblés, les citoyens centrafricains fixeront un nouveau cap pour leur nation. Et ils pourront crier, haut et fort : « Centrafrique Na Ndouzou !» (« Debout, Centrafrique ! ») D’ailleurs, une nouvelle génération arrive qui sort déjà ses griffes, telle un troupeau de jeunes lions dans la savane.
PS : on vient d’apprendre que le Tchad et la République du Congo , le Cameroun, le Gabon ont officiellement envoyé des troupes en RCA. Mais pour quoi faire ? Si c’est pour sauver le pouvoir actuel, c’est suicidaire. C’est mettre du sparadrap sur une jambe de bois. Est-ce qu’on n’est pas en train d’assister à un début de partition du Centrafrique ? Quel est le poids des musulmans du nord et de l’est dans la SELEKA ? On ne peut pas s’empêcher de penser à ce qui se passe au nord du Mali : des armes, issues de la déstabilisation de la Libye, circulent désormais dans de nombreux pays africains et, donc, probablement, en RCA. Ceux qui, après des bisounours à Kadhafi, sont intervenus en Libye, peuvent être tenus pour responsables d’une Afrique devenue la proie d’islamistes fanatiques. Il est urgent que cesse le bal des faux-culs…
Il faut donc rester très vigilant par rapport à ce qui se passe en Centrafrique. Tout y est possible : prise d’otages, islamisation du nord, violation de la souveraineté du pays…
Espérons que la SELEKA n’aggravera pas le chaos et veillera à protéger la population. Et qu’un nouvel horizon s’ouvrira pour les Centrafricains. « Gboû gangûoû !» (« Résistez et ne lâchez rien ! »)
« S’efforcer, c’est pouvoir » (Proverbe Bassar du Togo)
- A. DE KITIKI
(31 décembre 2012)