JOURNALISTES
ET CLASSE POLITIQUE
En juin 2009, Serge Halimi dénonçait dans son ouvrage, « Les Nouveaux chiens de garde », toutes les dérives, les connivences, les compromissions et les reniements de la déontologie d’une partie de la presse française. Trahissant leur rôle de contre-pouvoir, ces journalistes ont déposé plumes, caméras et micros aux pieds des politiques, ainsi que des oligarchies financières et boursières. Le libéralisme sauvage est devenu une véritable doxa. Les analyses et les commentaires concernant les vraies préoccupations des citoyens ont disparu des plateaux de télévision, des pages des journaux et des studios de radio. Un journalisme de connivence et de compromission s’est infiltré insidieusement dans une société française étranglée par la crise. Les groupes industriels et financiers, avec l’aide de certains médias complaisants et apeurés par la crainte du chômage, ont mis en place une « information- marchandise », comme le souligne à juste titre Serge Halimi.
Le paysage journalistique français est ainsi devenu un vide déontologique. Les éditorialistes (un petit groupe d’ayatollahs des médias omniprésents) passent les plats libéralo-financiers sans critique ni analyse. Le citoyen déboussolé, étranglé par la crise, effrayé par un avenir incertain, est devenu une proie facile. L’espace public est laissé en jachère. Pas de débats de fond qui puissent éclairer le citoyen. Dès lors, il n’est pas surprenant de voir les idéologues des extrémismes prendre le cerveau du citoyen en otage.
Il suffit de lire, d’écouter ou de regarder les médias, ces derniers temps, pour prendre la mesure de la débâcle intellectuelle et déontologique d’une grande partie de la presse française.
D’un côté, en effet, on constate un foisonnement d’affaires entre les mains de la justice, dans lesquelles plusieurs hommes politiques, et pas des moindres, sont mis en cause : Karachi, Bettencourt, sondages commandés par l’Elysée, financement de la campagne d’un ex-Président par Kadhafi, mensonges de Cahuzac, etc.… De l’autre, on voit bien qu’à l’exception de Médiapart et de quelques autres journaux courageux, dont on invite si peu de représentants sur les plateaux de télévision, c’est : « courage ! Parlons d’autre chose !»…
L’affaire Cahuzac démontre, d’une manière flamboyante, la fourberie et la lâcheté de certains grands journalistes, respectables éditorialistes et donneurs de leçon, qui abdiquent et s’autocensurent.
Médiapart, au contraire, poursuivant son travail de chien de garde de la démocratie, se livre à une investigation de fond, qui honore le métier de journaliste. Avec courage et ténacité, il insiste, alertant la justice, pour éviter que la République Française, n’apparaisse comme une République Bananière. Il dénonce les compromissions et les prévarications de nos politiques qui, saoulés par le pouvoir, arrivent à se considérer comme intouchables et au-dessus des lois de la République, foulant aux pieds l’héritage de 1789.
Or, cette recherche de la vérité, au lieu d’être saluée par les vrais républicains et les journalistes intègres, est stigmatisée ! On a entendu des hommes politiques éructer des propos insupportables à l’endroit de Médiapart, dénonçant en chœur « les méthodes fascistes » du quotidien numérique dans l’affaire Woerth- Bettencourt - affaire qui, par ailleurs, rebondit aujourd’hui avec la mise en examen de l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy. Une partie des médias, au lieu de mener des investigations contradictoires, a cloué au pilori son confrère.
Quand Nicolas Sarkozy a été mis en examen par trois juges d’instruction de Bordeaux, la droite parlementaire a vociféré d’une manière indécente. Henry Guaino, le scribe de Sarkozy qui avait osé écrire à l’époque : « …que l’Afrique n’était pas entrée dans l’histoire… », Député de la République, a carrément craché sur la justice de son pays. Par extension, c’est le drapeau tricolore qui est atteint ! Ce même député avait osé déclarer, lors des débats sur le mariage pour tous à l’Assemblée Nationale : « Vous allez être censurés par la rue » Par Belzebuth ! Un appel à la révolte ! Par un séide du précédent pouvoir, qui avait tant méprisé tous ceux qui manifestaient contre la réforme des retraites, c’est un comble ! Dans certains pays, une sanction disciplinaire aurait immédiatement été prise à son endroit.
Mais, alors que, comme lui, de nombreux députés de l’opposition ont franchi la ligne jaune, comment se sont comportés les maîtres du temps médiatique ?
Ils se sont récriés et ont tendu leurs micros ailleurs ! Circulez, il n’y a rien à lire, à voir, ni à entendre. L’Hollande basching (Sarkozy a, lui aussi, été victime de cet acharnement) est à la mode. Au lieu d’expliquer le comment et le pourquoi de la crise, de proposer des idées fortes pour une nouvelle société, de faire œuvre de pédagogie en direction du citoyen, la presse donne l’impression de s’abandonner à d’insupportables renoncements.
A ces reniements déontologiques, il faut adjoindre les manipulations par les sondages. Tous les matins et à 13 heures, certaines radios périphériques s’autorisent des sondages en direct qui accablent toutes les initiatives du pouvoir socialiste. Ils tentent de faire croire aux citoyens français que Hollande et son gouvernement sont nuls. Que la population haletante réclame le retour de Sarkozy, le Messie. Il faut vraiment croire que l’U.M.P. est terriblement en panne d’idées et de programme pour s’accrocher à des chimères. Ce Président battu leur a quand même fait perdre l’Assemblée nationale, le Sénat et toutes les élections intermédiaires. En quittant le pouvoir, il a semé des mines anti-personnel dans les jardins de l’U.M.P. Son parti. Ces mines ont commencé à exploser, provoquant un désordre calamiteux.
Le Président de la République intervient sur France 2. Il s’exprime pendant environ 1 heure 30. Au détour d’une réponse à une question de Pujadas, le Président parle d’une «caisse à outils. Elle est sur la table… » Et voilà ce qu’on a retenu de l’intervention présidentielle ! Les fameux maîtres du temps médiatique se sont jetés sur la « boite à outils ». Ils ont parlé en chœur du « Président bricoleur… » Certains ont poussé la plaisanterie jusqu’à évoquer « l’anniversaire de Monsieur Bricolage». Parions que ce nouvel os à ronger par une presse française en panne d’initiative va apparaître dans les commentaires pendant longtemps. Souvenons- nous de la fortune du mot : « couac » en son temps !
Les citoyens attendent de leurs journalistes de la hauteur de vue, du courage, la recherche inlassable de la vérité. Un journaliste digne de ce nom ne doit pas s’asseoir sur sa déontologie pour des raisons mercantiles. Il doit assumer avec discernement le quatrième pouvoir qu’il détient et ne jamais oublier qu’il est « le Chien de garde de la Démocratie. »
P.S : Bravo Médiatpart ! Certains confrères avaient associé leur voix aux vociférations du politique contre Médiapart. Aujourd’hui, les informations du média numérique sont confirmées. Cahuzac a reconnu son incroyable parjure et a démissionné La République est sens dessus dessous. Le temps est peut-être venu de nettoyer les écuries d’Augias de la République. A. DE KITIKI (4 avril 2013-04-04)