INDECENCE
Un concert d’imprécations devrait s’élever partout en Afrique francophone, contre ces festivités ignominieuses du cinquantenaire des Indépendances. Oui, l’Afrique est à un tournant et, pour elle, c’est l’An 01. L’Occident, qui a bâti ses richesses en saignant, par l’esclavagisme et en ruinant, par la colonisation, le continent noir, se trouve aujourd’hui dépossédé par de nouvelles forces économiques et politiques, qui ont surgi des entrailles de ce Tiers-monde longtemps soumis et méprisé. Debout, les damnés de la terre ! Debout, les enfants de ceux qui, pendant longtemps, furent appelés indigènes ou sujets français !
La France se bunkerise. Aujourd’hui, un Africain francophone, qui veut venir se soigner en France, parce qu’il n’a pas les structures médicales adéquates sur place, se heurte au mur infranchissable des visas. Cela s’appelle : non assistance à personne en danger. Ingratitude innommable, à l’égard des descendants de ceux qui, jadis, affrontèrent l’occupant aux côtés des Français de Métropole pendant la première et la seconde guerres mondiales… Souvenons-nous : le chemin des Dames, la boue, les tranchées, les corps déchiquetés par les obus allemands : les Africains y étaient, souvent en première ligne. Et qui se rappelle encore la deuxième division blindée du Général Leclerc de Hauteclocque, composée essentiellement de Tchadiens et d’Oubanguiens, qui, après le serment de Koufra en Lybie, s’ébranla dans le désert à l’assaut de Strasbourg occupé par l’ennemi ?
Après la seconde guerre mondiale, les Etats qui composaient l’Afrique Occidentale et l’Afrique Equatoriale Françaises, s’émancipèrent, plus ou moins à l’amiable, à la différence de l’Algérie qui mena une guerre contre la France pour arracher son indépendance. Au Cameroun aussi, une guerre opposa des nationalistes à l’armée française. « La liberté ne se donne pas, elle se conquiert ».
Ces différentes manières d’accéder à l’indépendance aident en partie à comprendre aujourd’hui les écarts de niveau de développement dans toutes les parties de l’ancien empire français d’Afrique.
Mais, malgré ces différences, aujourd’hui et partout sur le continent noir, souffle un vent nouveau. Les arrières petits-fils et filles de ceux qui affrontèrent l’occupant et qui n’ont pas connu les indépendances Canada Dry, relèvent la tête et ont soif d’une autre Afrique. Une Afrique debout, une Afrique fière de son histoire, de ses royaumes, de ses cultures millénaires, dont l’esclavagisme et le colonialisme ont voulu à toute force effacer les traces, transformant l’Africain en néant. Tu es noir, donc Caïn, tu ne peux pas être une créature de Dieu, tu as la peau noire, couleur de la malédiction et du deuil. (Or, dans certaines sociétés asiatiques ou africaines, la couleur du deuil est le blanc…)
Après avoir insulté les Africains à Dakar, en déclarant sans vergogne que : « l’homme africain n’est pas encore entré dans l’histoire…Il est figé dans le temps.…» (alors que l’histoire de l’humanité a pris racine sur ce continent), après avoir claironné avec arrogance et mépris que la France n’a pas besoin de l’Afrique, le Président français Nicolas Sarkozy se rend compte avec effroi que, sans l’uranium du Niger, de Centrafrique et du Gabon, nous risquons de geler l’hiver venu.
Alors, on entreprend précipitamment un voyage …de 36 heures sur cet immense continent pour grappiller quelques contrats. Les Africains qui ont le sens de l’hospitalité sont ulcérés. « C’est quoi ça, hein ? Il vient chez nous et ne reste même pas un jour ou deux, pour partager un plat de manioc sauce gombo ?» vocifèrent certains, indignés. Décidément, le Président Sarkozy a un problème avec le continent noir. En aurait-il peur ? Ce n’est sûrement pas de cette façon que la France y retrouvera sa place.
Au lieu de faire passer les Chinois pour de méchants néocolonialistes, il faut se demander qui est le responsable de cette perte de vitesse de la France en Afrique francophone. Avec les Chinois, ce n’est peut-être pas le Pérou mais ils construisent des routes, des voies ferrées, des hôpitaux.... Beaucoup d’Africains parlent maintenant le mandarin. Ils affluent à Shanghai - sans visa ! - pour faire des affaires. S’ils veulent venir en France, il leur faut des mois d’attente pour obtenir le précieux sésame. Ne nous étonnons pas que les Africains francophones boudent la France. Ceux qui y vivent sont traités comme des sous-hommes, alors que ce sont eux, les « sans papiers » qui font bouillir la marmite dans les grands restaurants parisiens. Observez les chantiers du bâtiment et des routes : il n’y a pratiquement plus de Blancs.
Alors, ces agapes cyniques des cinquante ans d’indépendance des pays francophones d’Afrique, célébrées à Nice, et ce défilé du 14juillet avec des régiments africains, marquent bien la fin d’une époque. D’une certaine Afrique, l’Afrique de papa.
Une nouvelle génération d’Africains, débarrassée des scories du complexe du colonisé et foulant aux pieds la soi-disant supériorité du Blanc, dresse la tête pour dire stop à l’indécence.
« Tout à une fin, sauf la banane qui en a deux. »
(Proverbe Bambara)
A. De Kitiki