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Billet de blog 6 mai 2013

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CENTRAFRIQUE: L'AUBE INCERTAINE. LES SYNDROMES MALIEN ET RWANDAIS

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CENTRAFRIQUE : L’AUBE INCERTAINE

LES SYNDROMES MALIEN ET RWANDAIS

          Socrate disait : « la sagesse commence par l’émerveillement… »

          Or l’aube qui se lève, depuis environ un demi-siècle, à l’orient de la République Centrafricaine, est une aube sinistre, sans éclat, sans émerveillement. Une aube qui a le visage d’un démon insaisissable. Qui nargue, depuis trop longtemps, le peuple centrafricain, relégué dans des abysses insondables.

          Ce démon a des sectateurs zélés, recrutés au sein même de la nation centrafricaine. Après  avoir été formés grâce aux efforts de leur pays, au lieu de lui en être reconnaissants, de se vouer au bien-être de leurs compatriotes, ils ont abdiqué devant les charmes nauséabonds de la cupidité. Quant à ceux qui ne voulaient pas participer à cet indigne festin, ils ont choisi l’exil.

          Il est inutile de continuer à geindre devant ce mur des lamentations qu’est devenue la Centrafrique. Depuis la disparition de Boganda, tué par les séides des sociétés concessionnaires, ce pays est entré dans un long sommeil. A quand le réveil ?

          Après les fanfaronnades de Bokassa, avec ses guichets de diamants pour les étrangers ;  après les pronunciamientos successifs d’officiers autoproclamés, avides de biens mal acquis, au détriment de leur peuple livré à la misère et au dépouillement ; après les bruits de bottes incessants, voici venue la dure nuit de la Croix et du Croissant.

          En effet, de folles rumeurs, qui vont peut-être s’avérer dans les temps à venir, circulent au sein des populations centrafricaines.  Des notes échangées entre les dirigeants de la Séléka et l’organisation de la Conférence Islamique à Djeddah (Arabie Saoudite) font craindre le projet insidieux d’une radicalisation islamique en Centrafrique…

          Les signes précurseurs sont là : intimidations de chrétiens. Incendies d’églises. Violences contre des enfants enrôlés comme soldats. Menaces et intimidations de journalistes. Pillages ciblés selon les croyances religieuses. Exécutions sommaires à Boy-Rabé. Massacres à Ouango, à l’est du pays, celui des Yakomas chrétiens. Femmes, hommes, enfants, mitraillés à bout portant à Landja et à Mboko. La Procureure de la C.P.I., Fatou Bensouda, a mis solennellement en garde les autorités centrafricaines, pour les violations des droits des personnes et les crimes commis.

          Le plus préoccupant est la coalition des musulmans du Tchad et de la Centrafrique.  Ils sont 12% en R.C.A. et plus de 60% au Tchad. Ils se plaignent d’être maltraités (syndrome touareg). On peut imaginer, en gestation, leur plan, consistant, in fine, à prendre le pouvoir dans les deux pays. Ne peut-on penser à une planification ourdie avec le concours financier des pétromonarchies du Golfe ? Le Qatar est très actif à Bangui, comme il l’est dans un certain nombre d’autres pays. La rapidité avec laquelle la Séléka a évincé Bozizé est surprenante. L’absence de preuves concernant son financement est choquante. La France, qui reste omniprésente en Centrafrique, ne peut pas se murer indéfiniment dans un silence coupable. Des membres éminents du nouveau gouvernement de Bangui sont, de fait, les obligés du Qatar et de L’Arabie Saoudite, pays du wahhabisme, dont est issu le salafisme, sa tendance la plus radicale.

          C’est pourquoi, dès aujourd’hui, il faut dénoncer avec vigueur ce qui ressemble à une sorte de salafisation de la République Centrafricaine. Il faut alerter l’opinion internationale à propos du drame qui se joue à Bangui. Il faut rappeler que la Centrafrique est une République  laïque et démocratique. L’islam radical est incompatible avec les préceptes qui la guident. Voir, aujourd’hui, de plus en plus de filles voilées dans les quartiers de Bangui, est inquiétant. L’islam et les autres religions ont leur place dans le pays. La charia, non.

          Cette tragédie  est en train de  dérouler en Centrafrique son sanglant scénario sous les yeux des forces spéciales françaises en garnison dans le pays, sans les faire réagir. On est saisi par une sinistre impression  de déjà vu. Car on ne peut  pas, avec terreur, ne pas se laisser envahir par le syndrome du génocide rwandais. Rappelons-nous : au Rwanda, le génocide s’était déroulé dans un bunker de silence. Les forces françaises étaient sur place. On s’interroge encore sur le rôle qu’elles ont joué là-bas à l’époque…

          La République Centrafricaine est à l’aube de sombrer, plus que jamais, dans le chaos d’une nuit terrible. Le plus inquiétant, c’est l’incapacité du pouvoir actuel à ramener l’ordre. A protéger les citoyens. A donner un sens à l’Etat. A organiser une administration fiable pour une bonne gouvernance du pays.

         Quelles sont les réelles intentions des nouveaux maîtres de Bangui ? Quels sont leurs programmes économiques et sociaux ? Leurs prévisions pour redynamiser l’agriculture, afin de faire reculer les carences nutritionnelles endémiques et redonner confiance en l’avenir aux paysans centrafricains ? Quels  moyens envisagent-ils pour faire reculer l’analphabétisme, afin  que le peuple devienne co-responsable de la gestion de la nation ?

          Il faudra que la Commission Nationale de la Transition (C.T.N.) prenne ses responsabilités. Sinon,  elle apparaîtra comme une marionnette  suspendue aux doigts de la Séléka. Il faut éviter qu’un coup d’état militaire et anticonstitutionnel ne vienne à nouveau figer le pays. Malheureusement, ce scénario, maintes fois mis en scène en Centrafrique, est en passe de se concrétiser, sous les yeux indifférents des médias et de l’opinion internationale.

          Et, surtout, ceux de la France. Le vieil ami traditionnel, présent militairement depuis l’aube des indépendances, et qui n’a cessé d’assurer, depuis, la paie des fonctionnaires. Honte aux dirigeants centrafricains successifs, qui ont permis cette humiliation, oubliant l’adage : « la main qui reçoit est toujours en dessous de celle qui donne… » !

          Que les fils et les filles de la République Centrafricaine, se redressent, pour crier, haut et fort : « Centrafrique Na Ndouzou ! »(En sango : debout, la Centrafrique !) Car l’avenir d’un pays repose, d’abord, sur sa jeunesse. Malgré les turpitudes des dirigeants successifs, qui ne se sont préoccupés que de leurs prébendes, cette jeunesse, vivace et éduquée, va s’emparer des bougies pour faire reculer la nuit terrible. Lentement mais sûrement, elle va à nouveau éclairer le chemin, celui qui fut balisé de signes d’humanité par le regretté Barthélemy Boganda, Père de la Nation Centrafricaine, pour sortir, enfin, de l’aube incertaine.

             « Quelle que soit la durée de la nuit, le soleil apparaît » (Proverbe centrafricain)

A.DE KITIKI

(5 mai 2013)

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