CENTRAFRIQUE : DURE EST LA NUIT
L’URGENCE EXIGEAIT
UN GOUVERNEMENT DE COMBAT
Et de trois ! Le nouveau gouvernement de Nicolas Tiangaye est bien loin de répondre à l’attente d’un peuple exsangue. Ce n’est pas le gouvernement de combat que l’urgence exigeait. Etant donné la débâcle du pays, trente-quatre ministres, pour quatre millions d’habitants, c’est inconséquent et inefficace. A force de vouloir partager le gâteau entre les maîtres d’aujourd’hui et les rescapés du pouvoir déchu, le gouvernement provisoire centrafricain, issu d’un pronunciamiento - et non élu - a tous les atours d’un pouvoir dictatorial dont l’avenir semble bien incertain. La nébuleuse sélékiste se taille la part du lion et impose ses diktats, en plaçant ses séides aux postes-clés du gouvernement Tiangaye 3. Ce n’est pas ainsi que l’on tracera le chemin de la renaissance pour ce pauvre pays que l’on dirait damné et oublié.
Un gouvernement resserré de quinze à vingt ministres aurait largement suffi. Le Conseil National de Transition (C.N.T.), aurait dû, avec courage et lucidité, recommander la formation d’un collège provisoire de crise. Composé de citoyens compétents et intègres, il aurait été chargé de réorganiser une administration délabrée et de préparer les élections générales. La sagesse aurait été de constituer un gouvernement au sein duquel la coalition de la Séléka serait restée en retrait. Au lieu de quoi, on constate que le président Michel Djotodia s’empare du ministère des Forces Armées. Allons-nous, dans peu de temps, apprendre qu’il s’est auto-promu Général ?
Cette mascarade rappellera sûrement aux Centrafricains les étapes de la prise du pouvoir par François Bozizé. Même scénario. Même mise en scène. Même décor. Les costumes encore chauds des acteurs précédents sont à peine rangés. D’ailleurs, certains ont gardé les rôles qu’ils interprétaient sous le gouvernement précédent. Qui est le véritable auteur de ce scénario ? La France ? Est-ce qu’on n’est pas en droit de s’interroger puisqu’elle contrôle tout dans ce pays de cocagne depuis l’indépendance ?
Les Centrafricains sont lassés, dégoûtés de ces outrances qu’ils subissent depuis trop longtemps. Ils attendent que leur nation renaisse. Ils attendent qu’on leur redonne la parole. Qu’on cesse de les maintenir la tête sous l’eau. Qu’on les sorte de cette dure nuit où ils sont plongés depuis tant d’années. Et, surtout, qu’on les respecte, en leur redonnant la fierté d’être eux-mêmes, d’être centrafricain.
Faisons un rêve à notre tour : imaginons la création d’un parti d’unité nationale ! Il s’appellerait : RASSEMBLEMENT NATIONAL DE LA RENAISSANCE OUBANGUIENNE, clin d’œil aux origines de la nation centrafricaine. Car les habitants de la R.C.A. ont d’abord besoin de repères. De savoir d’où ils viennent et qui ils sont. Ils ont besoin de se débarrasser des oripeaux de leur infantilisation. Ils veulent que leur pays cesse d’être considéré comme mineur malgré ses potentialités. Ils veulent des dirigeants qui les tirent vers le haut, au lieu de les maintenir dans les ténèbres, afin de continuer à les gruger. C’est pourquoi, au lieu de cette pléthore de ministres, on aurait aimé un programme de gouvernement capable de rompre avec la dilution des responsabilités et les excès dus à la soif du pouvoir.
La Centrafrique a besoin, en urgence, de probité. De dirigeants vertueux, ayant un sens aigu de la protection de la chose publique et de la bonne gouvernance. Qui mettent le citoyen au centre des préoccupations régaliennes. Qui ne confondent pas les deniers publics avec leur cassette personnelle, leur ethnie ou leur religion. On ne le répétera jamais assez : la République Centrafricaine est une république démocratique, une, indivisible et laïque, dont la constitution, selon son fondateur Barthélémy Bonganda, reposait sur trois piliers : Unité, Dignité, Travail. Mais qu’en est-il aujourd’hui ?
L’Unité ? Elle n’a plus de sens pour les Centrafricains. À cause des pratiques claniques et ethniques, des pouvoirs successifs.
La Dignité ? Après l’assassinat de Boganda par les sbires des sociétés concessionnaires, les Centrafricains ont vu leur propre dignité bafouée par le mépris affiché à leur égard par leurs dirigeants.
Le Travail ? Aujourd’hui, on ne compte plus les familles qui subissent le chômage endémique depuis au moins trois générations.
Il est donc impératif de rétablir tous les droits de l’homme : civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Le gouvernement de transition doit fixer un cap clair et identifiable par les citoyens. La confiance, à l’intérieur et à l’extérieur du territoire, est à ce prix. Car les investisseurs ne s’intéresseront pas à la R.C.A., tant que persisteront l’insécurité et la mauvaise gouvernance.
Or, la sécurité n’est pas près de revenir. La Séléka est en effet constituée par toute une nébuleuse avide de gain, à l’intérieur de laquelle différents groupes se livrent un combat sans merci pour le partage du magot. Michel Djotodia, le président autoproclamé et son gouvernement de transition ne contrôlent pas la situation. Le 5 juin 2013, au Camp Beal, siège du ministère des Armées à Bangui, des éléments de la Séléka se sont affrontés à des tirs d’armes automatiques, à la suite d’un mauvais partage de rations alimentaires. Bilan : un mort et plusieurs blessés. A terme, les rebelles incontrôlés et armés, qui terrorisent Bangui et les villes de province, vont menacer Djotodia, le gouvernement et la stabilité de la Nation. Si l’on garde les choses telles qu’elles sont aujourd’hui, une autre rébellion est possible à moyen terme. Cette situation rappelle furieusement les années Bozizé.
Il faut lutter, avec acharnement, contre l’impunité des crimes dont sont victimes les populations. Il faut envisager de traduire devant une juridiction de l’Union Africaine ou la Cour Pénale Internationale, les responsables politiques, d’hier et d’aujourd’hui, convaincus d’exactions envers les citoyens. Une moralisation de l’espace politique centrafricain s’impose dans les plus brefs délais.
Barthélémy Boganda disait : « Libérer l’Afrique et les Africains de la servitude et de la misère : telle est ma raison d’être… » Que ceux qui prétendent diriger ce pays martyr n’oublient jamais ces paroles fortes !
A. De KITIKI
(16 juin 2013)