LEÇONS
L’Iran de notre impérial ami le Shah. La Cote d’Ivoire du sage Houphouët Boigny avec sa cathédral de Yamoussoukro. Bokassa avec ses largesses diamantaires. La Tunisie, stable et économiquement en pointe, rempart contre les barbus au Maghreb, de notre très fréquentable ami Zine El Abidine Ben Ali (ce dernier est aujourd’hui en fuite, chassé par la fureur de son peuple) : tous ces dictateurs ont été soutenus par les gouvernements et les entreprises occidentaux, qui restaient sourds aux râles et à l’agonie des populations désespérées de ces pays.
Nous savions que des crimes contre l’humanité se commettaient dans certains de ses pays. Nous savions que le Shah, qui régnait jadis sur la Perse, pratiquait une dictature impériale, avec des geôles bien garnies. Mais, tant qu’il garantissait notre approvisionnement en pétrole et nous achetait des armes, nous nous taisions. Et quand la colère du peuple déferla dans les rues de Téhéran, nous avons lâché notre ami le Shah. Nous avions hébergé, à Neauphle- le Château, notre futur ami l’Ayatollah Khomeiny, qu’un vol d’Air France ramena triomphalement à Téhéran. Nous en fûmes pour nos frais avec un de ses héritiers idéologiques, le Président actuel de l’Iran, Ahmedinejad.
Nous savions que notre très cher ami, le sage Houphouët, sous ses airs bonhomme, pratiquait une dictature concoctée et mise en pratique au cours de messes basses. Mais tant qu’il nous garantissait la fourniture du cacao pour nos agapes des fêtes de fin d’année et les investissements juteux de nos entreprises, sans oublier les Libanais qui y faisaient aussi des profits mirifiques, après avoir fui leur pays instable, il restait un rempart aux désordres.
Nous l’avions soutenu jusqu’au bout, l’ami Ben Ali. Les avertissements de ras-le-bol du peuple, qui montaient des rues de Tunis, ne parvenaient pas à nos oreilles. Au pire moment de la révolte, notre gouvernement a même proposé à Ben Ali le soutien de notre savoir-faire en matière de maintien de l’ordre. La Tunisie était transformée en un lieu de villégiature privilégié pour retraités occidentaux bedonnants, venus étaler leur insolente richesse devant un peuple interdit et aux abois.
Quant au soudard Bokassa, nous avions conceptualisé et organisé son guignolesque couronnement au détriment du peuple centrafricain. Personne n’en parle mais la République Centrafricaine est l’un de nos fournisseurs d’uranium en Afrique centrale. Sans oublier ses mines aurifères, diamantifères, sa faune, ses essences rares et sa position géostratégique au centre de l’Afrique. Le peuple de ce pays est toujours dans une misère insondable.
La liste de nos mauvaises prévisions, de nos cafouillages diplomatiques, est longue. Or, d’autres Tunisies sont en gestation depuis longtemps. Elles sont devenues matures et risquent, une fois de plus, de nous surprendre et ne nous laisser désarmés, à court d’idées.
Tirons vite les leçons de nos échecs. Anticipons les préoccupations de ces peuples et accompagnons-les dans leur quête de justice et de démocratie. La realpolitik ne veut pas dire collaboration avec ceux qui pillent leur pays et affament leur peuple.
« La patience est clé de tous les soulagements » (proverbe tunisien)
A. de KITIKI