CENTRAFRIQUE :
LA FRANCE ET LES APPRENTIS SORCIERS
LE DEVOIEMENT
Une fièvre indicible étreint, en ce moment, les rivages rugissants de l’Oubangui. Pourquoi ce brusque intérêt, bien tardif, pour ce pays oublié et ignoré jusqu’à aujourd'hui par l’opinion internationale ? Voici longtemps que le peuple centrafricain, constate, impuissant, que son pays sombre dans le chaos. La descente aux enfers de la République Centrafricaine remonte à plus d’un demi-siècle. C'est l’assassinat de Barthélémy Boganda, fondateur de la République Centrafricaine, ourdi par les sociétés concessionnaires qui en a marqué le début.
Depuis, le Centrafrique est plongé dans le tourbillon chaotique d'une mauvaise gouvernance. C’est un pays victime de la rapacité de ses propres dirigeants, manipulés par les étrangers, avides de matières premières. La République Centrafricaine est devenue la caricature grimaçante d’un pays de cocagne sous perfusion. Pourtant potentiellement riche, ce pays passe, sous le stylo des plumitifs européens, pour le plus pauvre du continent noir. Mais sait-on, par exemple, que la République Centrafricaine a un des taux le plus élevés d’Afrique en matière d’alphabétisation ?
Il est impérieux de regarder désormais l’Afrique avec d’autres caméras, d’autres micros et d’autres plumes. A propos de la situation gravissime en Centrafrique, que d’approximations dans les médias ! Pour ne rien dire de ceux qui se proclament eux-mêmes «spécialistes" de l’Afrique !
Une révision des classiques s’impose, tant au niveau de l’Afrique en général que du Centrafrique en particulier.
HIER, BOKASSA ; AUJOURD’HUI, LES INVASIONS
Malgré ses comportements sanguinaires et ubuesques, Jean-Bedel Bokassa (1921-1996) avait réussi à prémunir la R.C.A. contre les invasions étrangères. Ce n’est pas un regret. C’est un constat. Il fut un dictateur. Mais, de son temps, la Séléka n’aurait sans doute jamais surgi en Centrafrique.
C'est avec l’avènement d’hommes politiques centrafricains cupides que la situation s'est considérablement dégradée. Successivement, Ange-Félix Patassé, François Bozizé et Michel Djotodia ont organisé leur pronunciamiento à partir du Tchad. Ils l'ont fait avec le concours du président Idriss Deby, bien content de contrôler le Centrafrique. Assis sur une poudrière, Deby Into ne tient absolument pas à ce que la République Centrafricaine devienne un sanctuaire pour les islamistes et autres rebelles qui menacent son pouvoir déjà chancelant.
Ceux qui ont introduit le mamba noir (la Séléka) dans la maison Centrafrique doivent s’attendre à ce que le peuple centrafricain leur demande des comptes. Ils devront répondre devant le peuple centrafricain et le futur Tribunal Pénal International (T.P.I.) qui les jugera. Ce sont eux qui sont responsables du génocide qui décime, en ce moment, la République Centrafricaine.
Génocide : c'est le mot.
Car il faut cesser de biaiser avec des acrobaties sémantiques du genre : situation pré-génocidaire...début de génocide...pas de guerre de religions...guerre confessionnelle...
Le ressenti du peuple centrafricain est très éloigné de ces terminologies cyniques. Ce peuple-là a une mémoire. C’est depuis l’aube des indépendances qu’il est dépecé. Qu’il souffre et pleure des larmes de sang.
Inaptitude du pays à se défendre. Armée nationale désorganisée. Pouvoir de transition impuissant, obligé de transférer les pouvoirs du pays aux mains des étrangers. Population désespérée, aux portes de l’enfer, et obligée, dans un sursaut patriotique, de se défendre elle-même contre les envahisseurs, en créant des milices et des groupes d’autodéfense.
En face, la Séléka, éclatée en multiples hordes factieuses et incontrôlables de mercenaires. Qui rançonnent. Tuent. Violent. Profanent les lieux de cultes chrétiens. Assassinent des magistrats, piliers de la République, gardiens de la Constitution. Conséquence ? Un pays, qui vivait en harmonie avec ses différentes croyances, se transforme en une poudrière de guerres confessionnelles, inconnues jusqu'alors.
Il fut, il était, il est donc urgent que la Communauté internationale, l’Union Africaine, et surtout la France, l’amie de longue date, interviennent. La République Centrafricaine, menacée dans son intégrité territoriale, dans son existence en tant que nation, exige qu'on porte assistance à sa population en danger de mort.
INTERVENTION FRANCAISE ATTENDUE, MAIS TARDIVE
L’intervention française aurait dû être engagée immédiatement après le raid des enturbannés sur le territoire bantou. Le président François Bozizé, malgré sa mauvaise gouvernance et son penchant pour le césarisme, avait été régulièrement élu. La France et les autres nations avaient attesté que son élection s'était déroulée selon les règles. Alors, pourquoi, quand la Séléka était aux portes de Bangui, la France n’a-t-elle pas entendu le S.O.S. qu'il a lancé ? C’est la question que se posent beaucoup de Centrafricains. Certes, au même moment, la France était engagée dans une guerre contre les islamistes au Mali. La situation en Centrafrique n’est pas celle du Mali, mais les menaces pèsent autant sur les deux pays.
La République Centrafricaine est, aujourd’hui, sous une tutelle qui ne dit pas son nom. Si cette tutelle avait été mise en place depuis longtemps, nous n’en serions pas là aujourd’hui.
A compter les cadavres que charrie l’Oubangui...
LE JOUR D’APRES
Depuis les indépendances, la République Centrafricaine est un territoire en errance. La France, ancienne puissance coloniale, est l’ordinateur de ce jeu de l’ombre. Elle place et déplace le personnel politique au gré de ses intérêts. En R.C.A. , la France a tous les pouvoirs. Jean-Bedel Bokassa a été destitué lors de l’opération Barracuda montée par son frère, Valéry Giscard d'Estaing, président de la République Française...
Mais, aujourd’hui, les Centrafricains veulent un autre scénario. Ils refusent de revoir les mêmes acteurs usés, dans les mêmes rôles de prébendiers. Ils en ont assez des décisions dont ils sont exclus. Désormais, ils exigent d’être associés aux débats sur la renaissance de leur pays.
A leurs yeux, le Conseil National de Transition et le Gouvernement actuel ne sont plus légitimes. Ils veulent que les rênes du pays soient tenues par un Comité de Salut Public, comprenant l’ensemble des représentants qu'ils auront élus.
C'est ainsi que, lorsque la sécurité sera revenue sur le territoire, il faudra impérativement réorganiser la gouvernance du pays avec des têtes nouvelles. Il faudra reconstituer les Forces Armées Centrafricaines (F.A.C.A). Leur rendre leur crédibilité. Il reviendra à cette armée, formée et éduquée de protéger, et garantir l’intégrité du territoire.
Et, surtout, apprendre à tous les prétendants au pouvoir qu’en démocratie, les kalachnikovs et les mercenaires ne peuvent indéfiniment remplacer les urnes...
A. De KITIKI
(28 novembre 2013)