« Donnez-moi une bonne politique, et je vous ferai une bonne communication. » On prête cette sagesse moderne à Jacques Pilhan, l’éminence grise qui “ fit élire ” François Mitterrand puis Jacques Chirac à l’Élysée. Avec son compère Gérard Colé, il fut l’un des premiers spin doctors dignes de ce nom dans l’expérience française de la communication politique. Loin de transposer naïvement les techniques du marketing à la vie politique, Pilhan fut le premier à investir la sociologie et les stratégies d’opinion dans la mise en récit de la conquête du pouvoir. Conseiller du prince, il posait comme principe que l’orientation idéologique prime sur la stratégie d’image qui doit la servir – et non l’inverse. À trop vouloir ignorer cette règle fondamentale, les “ communicants ” omniprésents de DSK l’ont payé cher au printemps 2011, après la déroute de leur champion.
On pensait que le tout petit monde de la communication politique était revenu à plus de discrétion et d’humilité après ces excès. Mais il n’en est rien. D’anciens jeunes loups du rocardisme n’hésitent pas à “ se compter ” dans le gouvernement Ayrault, revendiquant le placement de conseillers et la faveur de ministres, comme aux temps où ces magnats de la com’ officiaient comme apparatchiks de l’Unef. De même, pas un jour ne passe depuis le retour de la gauche au pouvoir sans qu’un « gourou de la com’ » ne prodigue, par tribunes et chroniques interposées, ses bons conseils à François Hollande pour enrayer son impopularité.
68% de mécontents de la politique de François Hollande (sondage Ifop pour Le JDD du 25 mars 2013) en moins de dix mois d’un quinquennat sans état de grâce ni ferveur populaire, la taxation des hauts revenus à 75% retoquée par le Conseil d’État, un climat de crise morale avec la résurgence des “ affaires ”… Les communicants politiques et autres commères patentées de la vie politique ressassent à l’envi la même litanie : tout ça n’est qu’un « problème de communication », les Français « n’ont pas compris » la politique « sérieuse » et « pragmatique » de François Hollande. La « pédagogie » est le mot qu’utilisent la classe dominante et ses “ chiens de garde ” pour signifier que le peuple est trop bête de ne pas adhérer à une politique contraire à ses intérêts.
Tous ces experts en communication se bornent à recommander au chef de l’État et au premier ministre d’améliorer leurs relations publiques, de jouer la proximité en multipliant les déplacements sur le terrain, d’investir la “ conversation ” avec les citoyens sur le web… Certes. Mais aucun ne pousse l’analyse jusqu’à porter un regard critique sur les conditions de la victoire de la gauche au printemps 2012. L’élection de François Hollande, candidat d’une social-démocratie bon teint dans la tradition “ rad-soc ” partagée par Jacques Chirac, se joue littéralement “ à contre-courant idéologique ”. Le couteau sans lame du social-libéralisme est impuissant face à l’ampleur de la crise et au chômage, le gouvernement s’entête dans les solutions libérales (baisse de la dépense publique, pacte de compétitivité, accord sur l’emploi made in Medef…) quand la situation du pays et de l’Europe nécessiterait les solutions politiques du Front de Gauche.
L’amateurisme manifeste du gouvernement Ayrault dans la culture du pouvoir, la neutralisation de l’aile gauche du PS par l’entrée de ses leaders au gouvernement, l’impuissance du pouvoir socialiste face à la « finance internationale » et au déferlement des plans sociaux, la priorité donnée aux revendications “ sociétales ” comme le mariage gay pour conforter les bases du PS et d’Europe Écologie dans l’électorat radical-chic : telles sont les conditions politiques et idéologiques qui expliquent la défiance populaire à l’égard de Hollande. Comme une résonance de l’étincelle qui déclencha le “ printemps arabe ” à Tunis, les suicides par immolation de chômeurs en fin de droit expriment de manière dramatique la détresse sociale des milieux populaires abandonnés par la gauche au pouvoir.
« La politique qui cherche la confiance des marchés perd celle du peuple » : le célèbre axiome de Pierre Bourdieu se vérifie encore. Les Français souffrent et attendent encore. Là se situent les raisons de l’impopularité de Hollande : dans l’abandon du peuple pour préférer la bénédiction des marchés et poursuivre une construction européenne ultralibérale, dans le dos des peuples et contre les intérêts du salariat. D’aucuns considéreraient que le consultant politique sort de son rôle en exprimant un désaccord idéologique avec un gouvernement de gauche dont il souhaite pourtant le succès. Un communicant doit obéir à la commande, réaliser des outils et des campagnes, exprimer sa créativité publicitaire, mais certainement pas se mêler de la stratégie de son client. À ceci près, nous rappelle Jacques Pilhan, qu’un consultant politique a le devoir d’être solidaire du camp politique qu’il sert et que le sens critique est son premier devoir lorsque son “ client ” est sur le point d’échouer. Sans se substituer à la décision du politique, son vrai rôle est néanmoins de l’outiller dans sa réflexion idéologique et dans sa grille de lecture de la société qu’il veut transformer pour « changer la vie ».
La professionalisation de la communication politique réside sur un paradoxe saisissant en France. Elle prospère sur le mythe absurde de la “ fin des idéologies ” dont se gaussent les buveurs d’eau tiède à longueur d’éditoriaux et de chroniques sur les matinales des chaînes infos en continu et des radios. Pourtant, on doit la légitimité nouvelle de la communication politique à une personnalité qui a réhabilité le “ combat idéologique ” en plaçant Gramsci au cœur de sa stratégie de conquête du pouvoir en 2007 : Nicolas Sarkozy. Pas de communication politique sans idéologie. Les idées ne se “ vendent ” pas comme une marque : à l’inverse, la stratégie de marque est là pour servir une entreprise de conquête de l’hégémonie culturelle par les idées. La fonction de la communication politique auprès du pouvoir socialiste consisterait à “ outiller ” cette bataille culturelle pour gagner la société et les milieux populaires sur les valeurs progressistes et républicaines.
Si François Hollande veut enrayer la courbe de son impopularité, voilà une astuce de communication politique : cesser d’avoir “ peur de faire peur ” aux puissants et mener une politique de gauche.
Joshua Adel, directeur conseil à l’agence TBWA\CORPORATE