À Rafah, il n'y a pas de véritables hôpitaux. Seulement quatre centres qui s'appellent « hôpitaux » - qui sont beaucoup moins qu'un véritable hôpital, mais un peu plus qu'un centre de soins de santé primaires. L'un d'entre eux est réservé aux soins des mères.
La nuit dernière, ma mère est à nouveau tombée très malade, en raison de vomissements incontrôlés provoquant des hémorragies internes. Il s'agit de vomissements ininterrompus mélangés à du sang, qui sortent foncés, couleur café, avec des douleurs. Cela a commencé à 6h25 du soir.
Il n'y avait rien à faire, il faisait sombre, la peur, les mouvements sont très risqués.
Pas de sommeil du tout en attendant le jour.
À 6h25, le lendemain matin, je suis allé voir l'infirmier, le voisin qui a aidé à inoculer à ma mère les médicaments dans ses veines. C'est arrivé deux fois depuis mon arrivée à Rafah, c'est la troisième fois. Normalement, dès qu'elle reçoit le médicament, les vomissements cessent.
Je n'ai pas trouvé l'infirmier chez lui, il est en service de nuit à l'hôpital et il ne reviendra pas avant 10 heures du matin. Je suis dans une ville inconnue et je n'en sais pas assez. Mais je connais Abu Khaled Abdelal, je l'ai contacté pour lui demander un médecin ou une infirmière pour aider ma mère. Il a immédiatement appelé un ami, un vieil infirmier expérimenté, Abu Wasfi.
En moins de 15 minutes, il était là, il a fait ce qu'il fallait faire, il lui a injecté le médicament dans sa veine. Les vomissements ont continué ; je pensais que cela prendrait un certain temps avant que cela ne fonctionne, mais cela n'a pas fonctionné cette fois-ci. Il était 11 heures du matin et elle continuait à vomir et à saigner. Je n'avais pas le choix, je devais l'emmener à l'hôpital.
L'hôpital n'était pas le meilleur choix, car nous savons tous qu'en raison de l'énorme demande qui pèse sur les hôpitaux, du grand nombre de blessés et de l'effondrement du système de santé, les médecins sont obligés de classer par priorité les personnes qu'ils doivent soigner. Une femme de 83 ans ne sera pas une priorité.
Arrivé à l'hôpital, je suis entré dans la salle des urgences. Il est difficile d'expliquer à quoi cela ressemble. Il s'agit d'une salle d'environ 14 mètres sur 6, avec 20 lits d'hôpital.
Des centaines de personnes sont présentes, tous les lits sont occupés, de nombreux patients sont à terre, les médecins et les infirmières se déplacent dans tous les sens pour traiter les blessés et les malades où qu'ils se trouvent : sur les lits, à terre, dans le couloir.
Le sol est très sale, les aiguilles, les boules de coton et les bandages sont pleins de sang, de saleté et d'eau souillée, ce qui rend l'endroit encore plus sale. Pendant ce temps, deux travailleurs nettoient, font de leur mieux pour ramasser tout ce qu'ils peuvent, mais l'endroit est en désordre.
Le bruit est un mélange de cris de douleur, de cris de personnes appelant les médecins pour qu’ils s'occupent de leurs proches, de discussions, de bavardages, de sons électroniques de machines médicales.
Après plus de 30 minutes, j'ai enfin pu parler de ma mère à un médecin. Elle était dans son fauteuil roulant et il m'a accompagné pendant que je lui expliquais sa situation et ce qu'on lui donnait. Il l'a regardée, puis s'est approché d'une infirmière pour lui demander de prélever du sang sur ma mère afin d'effectuer des analyses de NFS et de chimie.
Il est ensuite parti, l'infirmière était occupée avec d'autres patients et des blessés, elle est revenue au bout de 20 minutes et a vérifié la tension artérielle de ma mère. Puis elle a inséré la canule dans sa veine, a prélevé l'échantillon de sang et nous a demandé de l'apporter au laboratoire. Le médecin est revenu 20 minutes plus tard, il a examiné la poitrine de ma mère et a demandé à l'infirmière de lui administrer des médicaments par voie intraveineuse.
Deux heures plus tard, les résultats de l'analyse sanguine sont revenus : il y a une inflammation dans son sang, nous avons besoin d'un médecin spécialisé pour décider du bon médicament. Ils nous ont demandé d'attendre qu'il arrive, ils ont dit qu'il serait là 10 minutes plus tard.
Une heure et demie s'est écoulée et personne ne s'est présenté. J'ai continué à demander des nouvelles du médecin qui était censé s'occuper de ma mère, mais personne n'avait de réponse, ils ne savaient pas, peut-être qu'il était dans une autre section, peut-être qu'il était parti. Je l'ai cherché dans toutes les sections de l'hôpital, mais je ne l'ai pas trouvé.
Pendant ce temps, ma mère devenait de plus en plus faible et fatiguée. Elle voulait partir, elle ne pouvait plus rester dans le fauteuil roulant. C'était tellement douloureux après plus de 3 heures d'attente.
Finalement, nous avons décidé de partir. Ma mère n'avait pas vomi depuis une heure et demie, nous avons donc espéré une amélioration et décidé de chercher un médecin privé le lendemain.
Pendant que j'étais à l'hôpital, trois personnes blessées sont décédées ; deux étaient gravement blessées et la troisième avait une hémorragie interne, alors que l'extérieur de son corps n'était pas touché.
Il est 21h32, j'écris ce texte et ma mère est à nouveau sur son lit, vomissant et respirant à peine.