Journal de bord d'Hossam Al-Madhoun

Acteur et metteur en scène palestinien résidant à Gaza

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Billet de blog 22 avril 2024

Journal de bord d'Hossam Al-Madhoun

Acteur et metteur en scène palestinien résidant à Gaza

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En Égypte / À Gaza

Depuis six mois, Hossam Al-Mahoun, gazaoui, témoigne de la guerre dans son journal de bord. Il est désormais au Caire, en Egypte. « La nuit tombe, et la peur de l'obscurité envahit mon cœur et ma tête. J'essaie de dormir, je rêve de dormir. Je n'arrive pas à dormir. »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En Égypte

Dormir dans un lit confortable, l'alarme du portable me réveillant à 6h30 du matin, emmener Buddy pour la promenade matinale, 20 minutes de marche calme et joyeuse. De retour à la maison, prendre une douche chaude, boire le café du matin, prendre un petit déjeuner léger, mettre mes vêtements d'extérieur. Sur le chemin du bureau, rencontrer des gens souriants, apprécier ou être agacé par le bruit de la rue, discuter le prix du taxi, Fayrooz chantant sur la radio du taxi, un bon début de journée. Des rues pleines de voitures, des gens partout, des gens normaux, qui marchent, qui parlent. Arrivée au bureau, accueil des collègues, pause déjeuner à 13h30 avec un sandwich à la cafétéria voisine, retour au bureau, travail, envoi de courriels, réponse aux courriels, préparation des plans pour le lendemain. 

Retour à la maison, journée chaude, le chauffeur met l'air conditionné, une chanson d'Om Kalthoum à la radio, couvrant le bruit de la rue. En arrivant à la maison, Abeer et Salma m'attendent, elles ont passé la journée au centre commercial, sont allées au cinéma et ont fait un peu de shopping. Elles sont souriantes et détendues. Prendre une douche chaude, se changer, mettre des vêtements doux, s'allonger sur le canapé, allumer la télévision, sans rien regarder de particulier, juste la télévision allumée, en passant paresseusement d'une chaîne à l'autre. Abeer et Salma m'appellent pour le déjeuner, grand repas, salades et plat principal avec viande et riz, manger et discuter, nettoyer la vaisselle. Je fais du café, je m'assois sur la terrasse, je fume et j'écoute de la musique. Abeer est sur son ordinateur portable, Salma étudie dans sa chambre en vue de l'obtention de son master, et je caresse et tapote le dos de mon chien, Buddy.   

À Gaza   

Dormir sur un matelas très dur et inconfortable, se réveiller à 22h00 au son des bombardements, essayer de se rendormir. Nous réveiller à 0h30, un drone est très proche avec son bruit nuisible. J'essaie de dormir à nouveau, je me réveille à cause d'un mal de dos, j'essaie de dormir, je me réveille avec ma mère alitée qui m'appelle pour déplacer son corps d'un côté sur l'autre, j'essaie de dormir. Une frappe aérienne à proximité me réveille à nouveau, j'essaie de dormir, l'appel de la prière de l'aube à la mosquée m'empêche de dormir. Il est 4h50 du matin, j'essaie de dormir, ma mère appelle à nouveau. Toujours en train d'essayer de dormir... j'ai renoncé à dormir, je suis sorti avec Buddy pour me promener, pas de joie, pas à l'aise, obligé de lutter contre ma peur intérieure et mon anxiété. Retour à la maison en 7 à 8 minutes. Pas de douche, pas de vêtements à changer, pas de petit déjeuner, je mange ce qui est disponible.

Je mets mes chaussures, je vais au bureau, pas de taxis réguliers, je marche 20 minutes pour y arriver. Les gens dans la rue marchent en silence, la tête baissée et le visage non rasé, comme moi. Des enfants sans chaussures. Pendant la nuit, de nouvelles maisons ont été endommagées. Sur le chemin du bureau, c'est calme, aucun bruit à part celui des drones dans le ciel, jusqu'à ce que j'arrive au marché. Là, il y a beaucoup de bruit, une foule immense, des milliers de vendeurs et d'enfants qui vendent de la nourriture et des produits d'aide. Arrivé au bureau, j'ouvre mon ordinateur portable et j'attends que les courriels se téléchargent. Cela prend du temps, l'internet est très faible. Je regarde les courriels, je n'ai aucune envie de travailler, j'en ignore beaucoup, je ne réponds qu'aux courriels les plus urgents. Je me sens mal, mal à l'aise, je quitte le bureau, je descends au marché sans but précis, je marche, je regarde les gens autour de moi, j'essaie de trouver un visage avec un sourire, même un faux sourire ; il n'y en a pas.

J'achète ce qu'il y a à manger pour le déjeuner, je retourne au bureau, je ne fais aucun effort pour voir s'il y a de nouveaux courriels, je ferme mon ordinateur portable, je dis au revoir, je quitte le bureau, je rentre chez moi. Je sors du marché, je m'éloigne du bruit, je prends la rue pour rentrer chez moi, il n'y a plus d'autre bruit que celui du drone, comme s'il me suivait, en fait c'est le cas, il suit tout le monde à Gaza, tout le monde ressent la même chose.

Arrivé à la maison, je ne fais rien, j'attends que le temps passe jusqu'au coucher du soleil ; j'emmène Buddy pour la promenade du soir, et encore une fois, pas de joie, pas à l'aise, retour à la maison dans 5 minutes. La nuit tombe, et la peur de l'obscurité envahit mon cœur et ma tête. J'essaie de dormir, je rêve de dormir. Je n'arrive pas à dormir.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.