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Billet de blog 23 septembre 2013

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Meurtre politique : en Grèce le fascisme tue

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En dépit de la stratégie de communication du gouvernement de coalition en place (Nouvelle démocratie-droite et Pasok-socialistes), faisant miroiter une sortie de crise en 2014 sur fond de « success story », les nouvelles en provenance de Grèce ne sont pas bonnes.

A la crise économique que traverse le pays depuis quatre ans, vient s’ajouter la crise politique et sociale qui est en train de miner la société grecque et ses institutions.

Le meurtre politique de Pavlos Fyssas, militant antifasciste et musicien âgé de 34 ans, par un fasciste de 45 ans, dans la nuit du 17 au 18 septembre a reçu peu d’écho en France. Si des rassemblements ont eu lieu à Paris et dans d’autres villes, si certains médias et organisations politiques ont relayé l’information, ce crime n’a pas reçu toute l’attention qu’il mérite en tant qu’évènement politique révélateur du climat de tension dans lequel vit la société grecque.

Un véritable guet-apens

Il est utile de revenir sur les faits eux-mêmes afin de réaliser que nous sommes en présence non pas d’une bagarre entre extrémistes ayant mal tourné ni même d’un crime isolé mais bel et bien d’un assassinat aux mobiles politiques.

La victime, connue pour son engagement antifasciste et plus particulièrement pour sa dénonciation de l’Aube dorée, à travers ses chansons notamment, a fait l’objet d’un véritable guet-apens. Repéré dans un café alors qu’il suivait un match de football avec sa compagne et quelques amis, Pavlos Fyssas a été attaqué à sa sortie, par un groupe de 30 à 40 fascistes. La plupart de ses agresseurs ont été alertés au sujet de sa présence par téléphone et se sont rendus sur les lieux dans le seul but de l’attaquer. Son meurtrier, qui a avoué le crime tout en prétendant être en légitime défense, est arrivé sur les lieux alors que la victime avait déjà été agressée et lui a asséné deux coups de couteau au niveau du cœur.

Les informations relayées par les médias laissent peu de doutes sur l’appartenance politique du meurtrier malgré les dénégations outrées de l’Aube dorée : s’autoproclamant nationaliste sur son compte facebook, de nombreux clichés le montrent en compagnie de députés de l’Aube dorée, posant dans des campings fascistes ou encore participant à des distributions de nourriture (uniquement pour les Grecs) organisées par l’Aube dorée. Les enquêtes journalistiques rapportent également qu’il fait partie des « sections d’assaut » du parti, participant (contre rémunération) aux chasses aux immigrés lancées régulièrement dans la capitale grecque, alors que sa femme est elle-même trésorière de la section locale du parti.

Un meurtre prévisible ?

Depuis l’assassinat, très peu de voix se sont fait entendre pour douter de l’implication de l’Aube dorée dans le meurtre, y compris au sein du gouvernement. Au contraire, l’ensemble des médias, en particulier les grands éditorialistes sur les chaînes de télévision et dans la presse écrite, font part de leur tristesse et soulignent que tôt ou tard cela devait arriver.

Mais pourquoi une telle certitude ? Depuis l’été 2012, les organisations politiques et syndicales rapportent que les néonazis ont amplifié leur action violente, dans un premier temps à l’encontre des immigrés, puis, dans un second temps, à l’égard de tous ceux qui sont jugés comme faisant partie de ses ennemis, en particulier les militants de gauche ou antifascistes. Cette action s’est développée dans un climat de quasi-indifférence et de tolérance de la part du gouvernement, de la police et des médias. Parallèlement, les voix dénonçant la mouvance néonazie en Grèce pointaient sa radicalisation et le sentiment d’impunité qui s’installait.

Dès lors, en effet, ce meurtre était prévisible, mais il n’était pas inévitable.

Ceux-là même qui encore hier relativisaient l’ampleur du danger font mine de découvrir que le problème est bien plus important qu’ils ne voulaient bien l’avouer. Or, il suffisait de regarder les faits pour être convaincu de l’imminence du danger, déjà souligné sur ce blog en juin 2012, comme par bien d’autres d’ailleurs :

« Les ratonnades contre les immigrés sont désormais un phénomène quotidien avec agressions à l’arme blanche et tabassages répétés. Ces phénomènes se produisent un peu partout en Grèce, notamment à Athènes dans des quartiers littéralement quadrillés par des milices de l’Aube dorée qui agissent en toute impunité. Cette violence se dirige également, dans une moindre mesure, contre des militants de gauche. Cette situation ne doit pas être sous-estimée : si l’attaque des immigrés peut laisser indifférente une bonne partie de l’opinion publique grecque et européenne, il est certain qu’elle s’orientera bientôt contre d’autres franges de la population avant de concerner l’ensemble des personnes qui ne partagent pas les « idées » de l’Aube dorée. Ainsi, le porte-parole de l’Aube dorée a prévenu qu’après les élections du 17 juin, nombreux seraient ceux qui devraient se sentir inquiets… »

http://blogs.mediapart.fr/blog/jpc13/160612/la-grece-se-prepare-voter

Le fascisme s’accommode des démocraties de basse intensité

Après plus d’un an de présence au sein du Parlement grec, il est possible de tirer un certain nombre de conclusions et de répondre à certains arguments qui ont tendance soit à légitimer soit à minimiser l’action des néonazis :

-          l’entrée au Parlement n’a pas contribué à modérer les positions des néonazis : au contraire, ceux-ci profitent des subventions accordées aux partis disposant d’élus, ainsi que de l’immunité parlementaire, afin de poursuivre et d’amplifier leurs actions ;

-          la confrontation d’idées et l’exposition de leurs thèses au grand jour n’ont pas affaibli les néonazis : au contraire, leur influence s’accroît au vu des sondages ;

-          la légitimité conférée par le scrutin électoral aux néonazis désinhibe la droite dont certains députés évoquent ouvertement la possibilité de s’allier à une Aube dorée « responsable » pour gouverner ;

-          la théorie des extrêmes, mise en avant par le gouvernement et largement relayée par les médias dominants, vient également minimiser l’action des néonazis et tend à criminaliser les résistances politiques et sociales

Alors que faire à présent ?

Le mal qui ronge la société grecque est très profond. La majorité de la population a accepté par indifférence, résignation ou complicité les nombreux crimes commis à l’encontre des étrangers. Les luttes sociales (contre la casse des services publics, dans l’éducation nationale et la santé, contre les privatisations, pour la protection de l’environnement) tout en étant dynamiques, ne fédèrent pas une majorité de la population et ne parviennent pas à faire reculer le gouvernement ni la hausse des néonazis.

Face au meurtre de Pavlos Fyssas, le gouvernement a annoncé des initiatives visant à renforcer l’arsenal pénal à l’encontre des organisations politiques violentes, appelant à une concertation publique sur le sujet. Or, au-delà des condamnations verbales, le risque est réel que rien ne change en pratique. 

D’une part, une simple modification du code pénal ne sera pas suffisante pour lutter contre un phénomène aussi profond qui se nourrit de la crise économique et sociale qui s’amplifie en Grèce. D’autre part, un tel changement n’est pas nécessaire étant donné que la législation actuelle permet de réprimer les agissements des bandes néonazies. Il s’agit surtout d’une question de volonté politique et d’application par la police et la justice des lois actuelles. Jusqu’à présent, cette volonté ne s’est pas manifestée, bien au contraire, comte tenu de la tolérance dont font preuve les autorités à l’égard des néonazis.

Le meurtre politique intervenu le 18 septembre pourrait laisser espérer une condamnation des pratiques des néonazis entraînant leur chute électorale. Une telle conséquence n’est pas certaine et n’a rien d’automatique. Les actions violentes qui se multiplient depuis des années n’ont pas endigué la progression des néonazis qui s’affirment progressivement comme une force politique qui n’a plus rien de marginal. Si les manifestations antifascistes, violemment réprimées par la police, se sont multipliées après le meurtre, il n’est pas établi que la « Grèce profonde » aura éprouvé la même horreur et le même rejet.

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