jpgallat

Abonné·e de Mediapart

4 Billets

0 Édition

Billet de blog 18 février 2021

jpgallat

Abonné·e de Mediapart

COVID : la carte n’est pas le territoire

La publication simultanée de trois articles dans des journaux du groupe Le Monde, l’un dans Télérama, des deux autres dans le quotidien le Monde constitue un véritable cas d’école journalistique. L'un sur la défiance vis-à-vis des élites, les deux autres sur une pétition adressée par "d’éminents" scientifiques.

jpgallat

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans le Télérama du 17 février, Eric Anceau analyse la défiance des Français vis-à-vis des élites[1], en particulier des élites parisiennes. Certes, son propos recouvre les élites politiques, mais nul ne doute ces élites politiques sont en lien très étroits avec les élites scientifiques, au point parfois de s’y confondre.

Simultanément, le quotidien du Monde pose en hune de son édition du mardi 16 février la question : Le Zéro COVID » est-il possible en France ? Sous-entendu que celui-ci serait possible ailleurs.

Pour étayer cet article, de « nombreux experts sont interrogés sur cette stratégie » ; en fait, seule une toute petite poignée, presque tous signataires d’une pétition que publiera le quotidien le lendemain dans son édition du 17 février[2].

Que lit-on dans leur argumentation ?

  • Que la Grande Bretagne est une île et que, à l’instar de la Nouvelle Zélande ou de l’Islande, elle pourrait facilement mettre en œuvre cette stratégie ; oubliant de comparer les quelques Airbus ou Boeing se posant quotidiennement sur l’aéroport de Reykjavik au trafic transmanche et international en direction de cette « île ».
  • Qu’un des signataires, helvétique, porte un jugement pessimiste sur la faisabilité de cette stratégie en France, ce qui donc ne devrait pas être le cas en Suisse ; oubliant que 320 000 personnes traversent chaque jour sa frontière avec quatre pays de l’UE. Une grande partie de ces travailleurs œuvrant dans les secteurs essentiels dont le secteur sanitaire, la Confédération helvétique va-t-elle s’en passer ou les consigner dans des hôtels ?
  • Enfin, une bonne partie de l’article est consacrée à l’argumentation d’un centralien, expatrié en Californie et spécialiste dans la diffusion virale d’un logiciel (sic).

Le lendemain, un collectif a page ouverte dans la rubrique idées du Monde du 17 février[3] ; traduction de la version anglaise de leur manifeste. Pas une argumentation complémentaire, quasiment un simple copier-coller. On y lit qu’en Allemagne, on élabore des outils permettant une application efficace de cette stratégie ; oubliant au passage que c’est dans ce pays que rencontre le plus de succès la déclaration de Great Barrington appelant à un juste milieu entre la gestion du risque et le confinement.

Nos élites scientifiques sont-elles à ce point fatiguées pour se discréditer et perdre toute crédibilité ? Ou sont-elles prêtes à tout pour accéder au pinacle médiatique ?

Un journal comme le Monde ne doit-il pas être un journal d’investigation scientifique, un journal de confrontation des points de vue ?

Qui sont ces collectifs signataires de multiples appels ? Le débat démocratique se limite-t-il à une agrégation de réseaux entre les élites scientifiques et journalistiques ?

C’est un jeu dangereux, facile et gratifiant que d’aggraver la défiance entre le politique et les Français par un discours scientifique séduisant mais non étayé, en particulier sur sa faisabilité.

Il serait temps que la stratégie de lutte contre la COVID ne soit plus considérée par des mathématiciens et informaticiens brillants comme un jeu de SimCity. Brillants et «au talent certain pour le storytelling » comme le souligne Le Monde.

Et que la parole soit rendue à des praticiens de santé publique et à un débat démocratique qui aborde toutes les données de cette crise et ne se résume pas à quelques indicateurs sanitaires qui tracent courbes et schémas élégants.

Et pour ma part, modeste médecin de santé publique, avec 40 ans d’expérience, je mets au défi le journal Le Monde de publier mon opinion.

Jean Philippe GALLAT est médecin inspecteur de santé publique retraité

Depuis 1980, il a occupé des postes de direction de direction en administration sanitaire. Diplômé en santé publique, gériatrie ainsi en droit et éthique de la santé.

[1] Peuple et élites, le grand fossé Télérama - 3710 - N° du 17 février 2021

[2] Le « Zéro COVID » est-il possible en France ? – Le Monde - Edition du 16 février 2021

[3] Viser l’objectif zéro COVID constitue un moyen clair de traverser la pandémie en minimisant les dégâts - Le Mondes - Edition du 17 février 2021

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.