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Billet de blog 6 avril 2010

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Les laïques, la crise et l'avenir de l'Eglise

L'interview, roborative, de Christian Terras à Mediapart à propos des infractions de pédophilie dans l'Eglise vaut pour cette affirmation d'abord: «La stratégie du Vatican est suicidaire et ne lui survivra pas». En fait, elle n'est pas consciemment suicidaire. Elle se veut même le contraire.

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L'interview, roborative, de Christian Terras à Mediapart à propos des infractions de pédophilie dans l'Eglise vaut pour cette affirmation d'abord: «La stratégie du Vatican est suicidaire et ne lui survivra pas». En fait, elle n'est pas consciemment suicidaire. Elle se veut même le contraire.

Le Vatican se livre à une sorte d'exercice militaire que les légions nommaient tortue romaine. Il se forme une boule humaine qui se protège de ses boucliers. On s'isole par une carapace d'acier des flèches de l'ennemi, qui sont, au passage, devenues des « jacasseries » dans une allocution de soutien inhabituelle, voire insolite, du cardinal Soldano, secrétaire d'Etat, au pape. Nombre de conférences épiscopales ont embrayé, révélant l'ampleur du désarroi.

Il s'agit d'une pastorale sécuritaire. Elle retarde les échéances mais elle n'anticipe pas, elle n'innove pas et il n'est même pas certain qu'elle rassure. C'est là que l'on peut reprendre le fil de la réflexion initiée par Christian Terras. Mais justement, doit-on confondre le Vatican et l'Eglise ?

Le Vatican, c'est-à-dire la forme centralisée de l'Eglise catholique romaine, est-il si intimement lié à l'existence de l'Eglise que celle-ci ne peut lui survivre ? Il est dit dans le Credo l'Eglise une, sainte, catholique et apostolique. Il n'est pas dit que l'on croit à une Eglise Vaticane...

Le pontificat de Benoît XVI est périodiquement secoué par des crises qui se rapprochent. Avec les musulmans et sa reprise sans prudence de propos de Manuel II Paléologue sur le Prophète Mahomet, avec les juifs et l'affaire Williamson, avec les juifs encore et la singulière comparaison établie par un prédicateur à Saint Pierre entre les critiques adressées à l'Eglise aujourd'hui et l'antisémitisme, avec les juifs et toute une partie de l'Eglise catholique enfin avec le procès –si contesté, si contestable– en béatification de Pie XII.

A croire que l'histoire a déserté le Vatican. Ou que s'opère une lente restauration de ce que le concile Vatican II avait ouvert, avec l'inestimable Jean XXIII, et qui s'était arrêté net en juillet 1968 avec l'encyclique Humanae Vitae de Paul VI, véritable texte de fermeture sur la sexualité.

La virulence qui entoure la révélation des cas de pédophilie dans l'Eglise tient d'ailleurs plus à cela qu'à la personnalité de Benoît XVI ou à des faits particuliers dont il se serait rendu responsable, car de cela il n'y a rien. Elle est le résultat de cette intransigeance moralisatrice, quasi inhumaine, dans le domaine des mœurs et de la sexualité, d'une institution qui a longtemps préféré fermer les yeux sur l'abus sexuel d'enfants ou d'adolescents mis sous sa garde, alors qu'elle prétendait dicter une conduite. Ce n'est pas que des membres de l'Eglise aient failli qui génère le reproche. C'est d'avoir tant appelé à faire le ménage dehors quand on le faisait si peu chez soi. C'est l'expression d'une colère trop longtemps rentrée, pour ceux qui ont encore de la colère, cette exaspération de la pitié comme la définissait Claudel.

Cette période est évidemment vécue comme injuste et humiliante pour des milliers de religieux, personnes au dévouement remarquable et exemples d'humanité absolue, elle est malaisée pour des millions de croyants mais c'est la loi du genre. Cette lapidation traduit en fait la crise du gouvernement de l'Eglise et sa perte d'autorité.

Le Vatican, c'est le secret. C'est une sorte de bureau politique, c'est un appareil clérical comme il y a un appareil de parti ou un appareil d'Etat. Sa longévité tient au culte de l'obéissance qui lui est consubstantiel et qui fait que les esprits les mieux intentionnés finissent par céder, obéir, se taire ou partir.

Deux exemples chez deux ecclésiastiques très différents démontrent bien cette attitude d'acceptation, parfois incompréhensible pour les modernes, et que l'on peut sans doute qualifier de générationnelle.

Le premier est emprunté à l'histoire récente des jésuites. La Compagnie de Jésus a eu à sa tête comme supérieur général de 1965 à 1983 un homme exceptionnel, Pedro Arrupe. Il a symbolisé à lui seul l'extraordinaire mutation de la Compagnie en ordre ouvert sur toutes les causes du monde aux côtés des pauvres, des réfugiés, donnant son vrai sens à la sentence d'Ignace de Loyola: «l'amitié des pauvres fait devenir ami du Roi éternel». Des dizaines de jésuites payèrent de leur vie cet engagement sous toutes les latitudes dictatoriales du monde. Suspecté de faire la part trop belle à la théorie de la libération et à un catholicisme trop ouvert, harcelé, le supérieur général, épuisé, remit sa démission à Jean Paul II. Il ne rompit cependant pas. Perinde ac cadaver, toujours...

Un autre exemple, celui d'Eugene Tisserant. S'il y eut un cardinal lucide sur le fascisme dès le pontificat de Pie XI ce fut bien celui-ci. Conservateur aurait-on dit à l'époque, mais d'un anti-nazisme sans concession, aussi spirituel que viscéral, il est sur la ligne de feu et il multiplie les mises en garde, qui sont autant de critiques à l'égard des tergiversations de Pie XII. Il écrit dès le 11 juin 1940, à l'heure de l'effondrement français, au cardinal Suhard: «Je crains que l'histoire n'ait à reprocher au Saint Siège [Pie XII] d'avoir fait une politique de commodité pour soi même et pas grand-chose de plus.» Sans appel, et pas de quoi créer un saint supplémentaire... Et pourtant ce futur doyen du Sacré Collège, qui compara l'attitude du gouvernement de Vichy «à celle d'un valet», ne rompra pas.

Ce que deux personnalités aussi fortes, aussi pleines de courage, et il y en a tant d'autres, et à leur manière si différentes, ont accepté, qui pourrait y parvenir ? La réponse tient en deux mots : les laïques.

C'est à eux dorénavant de prendre la parole, eux que Vatican II a autorisé, sinon à être écoutés à ce jour, du moins à pouvoir parler. Une revue comme Golias le manifeste bien. D'autres médias, La Vie, Témoignage Chrétien, des revues ordinales, des groupes comme Nous sommes l'Eglise, les Réseaux du parvis, David et Jonathan, ou encore la récente Conférences catholique des Baptisé-e-s de France l'illustrent chacun à leur manière, avec des styles différents, aux côtés de mouvements plus anciens mais aux pratiques toujours renouvelées comme le CCFD, le Secours catholique, Emmaüs et bien d'autres. Il existe des centaines de communautés locales, de base, des milliers de diacres. L'Eglise se vit là aujourd'hui même si ce n'est pas là qu'elle est encore officiellement reconnue.

Notons que ces structures ont ceci de commun que l'œcuménisme s'y porte bien, le dialogue inter religieux aussi, la place des femmes y est indiscutée, la liberté de parole respectée et le dialogue privilégié à la sentence. L'option préférentielle des pauvres y est réaffirmée et souvent traduite en actes.

L'Eglise du XXIe siècle sera celle des laïques. C'est pour elle la seule chance de ne pas devenir une simple sous culture, impasse décrite par l'archevêque de Poitiers, Albert Rouet, qui appelait le jour de Pâques l'Eglise à abandonner un quadrillage médiéval et les chrétiens à apprivoiser le monde pour le rendre aimable. Dans un monde fragmenté à l'extrême, ceci n'est pas un luxe. Voilà pourquoi l'évolution dans un sens ou un autre de l'Eglise doit intéresser, à commencer par l'Europe, au-delà du seul peuple catholique.

Par Jean Pierre Mignard
Avocat
Maître de conférences à l'IEP de Paris.

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