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Billet de blog 15 septembre 2010

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Benoit XVI et les Roms, un faux procès

Je reproduis ici la tribune cosignée avec Jean-Pierre Jouyet, inspecteur général des Finances et le père Henri MADELIN, publiée dans le Monde du 8 septembre.

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Je reproduis ici la tribune cosignée avec Jean-Pierre Jouyet, inspecteur général des Finances et le père Henri MADELIN, publiée dans le Monde du 8 septembre.

On ne peut qu'être pour le moins surpris par le débat ouvert par Alain MINC quant aux positions prises par le Pape Benoit XVI sur la politique française à l'égard des Roms disant "On peut discuter [de] ce que l'on veut sur l'affaire des Roms, mais pas un pape allemand".

Ce n'est pas du bien fondé de cette politique dont il s'agit ici, mais du droit pour chacun à pouvoir dire ce qu'il en pense.

Reprocher au Pape le droit de s'exprimer à ce sujet parce qu'Allemand est stupéfiant, de la part d'un intellectuel français rompu à la mondialisation des relations de toutes sortes, européen déclaré de surcroit.

Et pourquoi en raison de ce qu'il est allemand, ce Pape n'aurait-il pas gardé une mémoire vive d'un passé national douloureux ?

Le Pape est allemand, mais il est d'abord le chef désigné d'une église qui revendique un milliard de baptisés sur tous les continents. L'Eglise se veut universelle, d'où son nom de catholique, catholicon en grec signifiant exactement cela. A ce titre, le Pape n'est pas allemand, il est d'abord le Pape.

Cette polémique est rétrograde et dangereuse car elle se situe aux frontières de la xénophobie. Reprocher à un allemand, parce qu'allemand, de s'inquiéter du sort des Roms, nommés Tziganes en d'autres temps, est invraisemblable. On eut aimé, en d'autres temps précisément, que des prélats allemands ou français fassent de même que le Pape aujourd'hui.

Nier la légitimité d'un allemand à mettre en garde contre une atteinte au droit des personnes au nom de ce que l'Allemagne serait coupable, éternellement coupable, son peuple et toute sa descendance - car le curseur d'un tel propos est sans limite - c'est exprimer tout ce à quoi les démocraties se sont précisément opposées. Il n'existe pas de responsabilité collective des peuples, il n'y a pas de responsabilité des enfants à raison des parents et il n'y a pas enfin de confusion possible entre la responsabilité d'un peuple et celle d'un Etat. Toute opinion dans ce sens se situe hors le droit positif sur lequel s'accordent les nations civilisées.

Doit-on rappeler ultimement que l'Eglise catholique a, et il était bien temps, écarté toute responsabilité du peuple juif dans la mort de Jésus Christ, lui-même juif.

Si les choix de Benoit XVI peuvent être critiquables, que ce soit dans l'affaire WILLIAMSON ou dans le choix de la béatification de PIE XII - et ils ont été critiqués - on ne voit pas au nom de quoi il serait condamné au silence. Voilà pourquoi le procès fait à Benoit XVI n'est, sur ce point, ni juste ni honnête.

Enfin, on peut s'inquiéter d'une telle prise de position dont on souhaite qu'elle ne présage pas d'une nouvelle ère. Cinquante trois ans après la signature du traité de Rome et plus de soixante ans après la création du Conseil de l'Europe, continuer à instruire le procès de l'Allemagne est une aberration, sinon que ceux qui délivrent de telles opinions aillent jusqu'au bout de celles-ci et exigent immédiatement la dissolution de l'Union Européenne.

Au même moment, le Président de la République faisait opportunément savoir que durant la crise, c'était l'Union franco allemande qui avait été décisive. Nous voilà rassurés au moins sur ce point.

Nous laisserons la parole, en dernier, à Germaine TILLION, grande ethnographe française, membre du réseau de résistance du Musée de l'Homme, grande Croix de la Légion d'Honneur, à qui le journaliste biographe Jean LACOUTURE, dans l'ouvrage La Traversée du Mal, posait la question suivante, en 1997 : « Diriez-vous que la férocité des camps nazis s'appelle l'Allemagne ? Pensez-vous qu'il y ait une spécificité allemande dans cette affaire ?

Cette grande intellectuelle, qui avait été elle-même déportée à Ravensbrück et dont la mère avait été déportée, gazée dans le même camp, répondait ainsi : « Je ne l'ai jamais pensé et encore bien moins maintenant ».

Il n'y a rien d'autre à ajouter.


Jean Pierre JOUYET, Inspecteur Général des Finances

Père Henri MADELIN, OCIPE, Service Jésuite Européen, Enseignant à Sciences-Po

Jean Pierre MIGNARD, Avocat à la Cour, Maître de Conférences à l'IEP de Paris

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