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Billet de blog 7 septembre 2025

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La rentrée d’E. Borne : préparer sa sortie… Ou leur sortie ?

Dégenrer la devise du Panthéon, et par là-même désacraliser les transferts de dépouilles accomplis sous cette épitaphe. Voici la proposition de la ministre de l’Education nationale en pleine rentrée. Plus d’un million de fonctionnaires la préparent, environ 12 millions d’élèves sont concernés. Quoi de mieux à faire à ce moment-là que de profaner les tombes du grand mausolée de la République ?

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Soyons clairs, celles et ceux qui ont accédé à la canonisation républicaine sous la devise « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante » n’y sont pas entrés par effraction ( ou, le cas échéant, en ont été chassés… ). En revanche, créer une polémique artificielle sur notre manière d’honorer nos morts tient en soi de la profanation. En cas d’aboutissement, cela jettera durablement le discrédit sur ces hommages gravés dans le marbre, qui n’auront plus de l’éternité qu’un bref répit avant un nouveau caprice. Cependant, il se pourrait que la finalité de la manœuvre ne soit pas le succès, de même que la mission première d’une ministre de l’Education nationale n’est pas de s’occuper des vieilles pierres, mais des jouvenceaux.

De l’organigramme ministériel à l’agenda démissionnaire du gouvernement :

Bien entendu, si l’on considère les fonctions d’un ministre de l’Education nationale ainsi que le moment choisi, cette initiative d’E. Borne est incompréhensible… A une réserve près : il se pourrait que ces ministres n’aient tellement rien à faire que lancer des polémiques sur des sujets échappant à leurs compétences soit dans l’ordre des choses. La gestion des monuments nationaux est peut-être passée sous la responsabilité de Super Babeth, on aurait oublié de nous dire qu’une classe de maternelle avait été aménagée dans la crypte. Quel beau spectacle que ces bambins vagabondant sous les noms des révolutionnaires de 1830, chantant la faute à Voltaire et à Rousseau, jouant à cache-cache dans les recoins des caveaux, les uns faisant la sieste sur le tombeau de V. Hugo pendant que d’autres apprennent à lire à la lueur radioactive des Curie.

Plus sérieusement, ce n’est pas en fonction des responsabilités officielles des ministres ou de l’organigramme ministériel qu’il faut vraisemblablement comprendre cette actualité déjà refroidie. A tort ou à raison, je me plais à imaginer E. Borne apprenant sa prochaine éviction du gouvernement du fait des stratagèmes de F. Bayrou. Son temps étant compté, voici le moment venu du bilan… Non pas de compétences, car l’avis des ministres concernés est inconciliable avec celui des quelques 70 millions d’intéressés. L’important est d’établir un bilan de popularité, d’image, de mesurer les capacités de rebond, la probabilité et les opportunités de se faufiler de nouveau aux responsabilités, dans les ors et lambris des palais républicains. Peu importe la mission, le narcissisme vaut légitimité dans une société de communication.

Or Madame 49.3 conserve l’image cassante d’une Première ministre autoritaire, inapte au dialogue aussi bien politique que social. Dès lors, une demande : comment gauchir son image ? Là, nous pouvons imaginer l’intervention d’un conseiller, ou plus vraisemblablement d’une conseillère en communication vue la voie suivie. Comme souvent, ces personnels ont le QI d’une moule et la culture politique d’une frite, mais possèdent les réseaux pour faire prendre la mayonnaise médiatique. Voici l’idée géniale d’un grand discours sur une niaiserie parisianiste parmi d’autres. Rendre justice aux femmes, sempiternelles victimes d'un vaste complot phallocratique international, cela doit ravir les rupins de gauche qui se préoccupent plus de « iel » et de « celleux » que des citoyens, de peuple souverain ou de volonté générale. Voilà une belle manière de s’ancrer à gauche à peu de frais, tout en valorisant sa féminité un peu mise à mal par ses éructations sur « l’article 49 alinéa 3 de la constitution… ». A sa décharge, il faut admettre qu’il était difficile de se faire entendre dans l’hémicycle.

Il n’en reste pas moins cette réalité : pour la majorité de notre classe politique, surtout au plus haut niveau, la communication à la petite semaine remplace la vision à long terme. La décision pourrait ne pas avoir été prise ainsi, mais cette version m’apparaît comme la plus crédible ; et tant pis pour la moule-frite qui se reconnaîtra. Dès lors, pléthore de journalistes au mieux complaisants, au pire complices, se font les relais actifs de la supercherie. Le peuple désabusé prend note que la ministre de l’Education nationale prend date avant de partir. Hier F. Bayrou avec son vote de défiance, aujourd’hui E. Borne en fossoyeuse de grands hommes, demain un autre avec un message aussi creux, tous entraînés dans une farandole, ombre portée des danses macabres ; certes moins tragique, mais plus minable, et également conduite par un démon. Chacun croit marquer des points pour son avenir personnel, mais tous sortent perdants de ces intrigues vaniteuses.

Des élites civiles aux militaires ?

Les sondages évoquent de manière chronique de supposées aspirations des Français à un régime autoritaire. Je n’ai pas pour habitude de prendre trop au sérieux les études sur échantillons mal bricolés et problématisés. Ils rangent notoirement les idées dans des tiroirs comme des torchons et des serviettes, au lieu d’en discerner les connexions et d’en restituer les synergies qui font système.

Je pourrais me tourner vers les votes, car ils se comptent par dizaines de millions et attestent toutes sortes de radicalisations du corps électoral. Cependant, un peu de culture politique et d’intuition me semblent être là aussi suffisantes. Je ne crois pas que les Français désirent une dictature militaire comme un bienfait. En revanche, au désespoir de se débarrasser d’élites qui précipitent le pays dans le gouffre, toute opportunité semble bonne à prendre. Pour leur part, les militaires souhaitent-ils exercer le pouvoir politique ? Certainement non, d’autant plus que désobéir pose la question de l’alternative, et aucune crédible ne s’élève à l’horizon. Souhaitent-ils obéir à cette oligarchie civile ? Non plus, tant sa vision du pays leur est insupportable. Le coup d’éclat du général de Villiers a inauguré le premier mandat d’E. Macron, des protestations diffuses émergent sporadiquement des rangs dans les médias de masse, mais les conditions d’un nouveau 18 Brumaire ne sont pas réunies ; pas encore.

Quand l’impératif de communiquer était à la glose sur les revenus de C. Tavares, j’ai estimé, sur une base de 12 heures de travail par jour, 6 jours sur 7, qu’il devait percevoir près de 2 000 Euros par minute. De telles élites civiles posent un problème passé inaperçu : « […] Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune » ( DDHC 1789 ). Six mois plus tard, il perdait son poste. Il n’avait donc pas servi efficacement quiconque. Quand les honneurs sont tels, comment sanctionner les défaillances à proportion ? Toujours est-il que les Français peuvent admettre des différences de traitement, y compris salarial ( le salaire est-il une distinction sociale, ou faut-il réserver cette notion aux honneurs républicains ? ). En revanche, quand les distinctions sociales sont exponentielles alors que l’utilité commune est linéaire, le delta atteint par les principaux bénéficiaires devient insupportable.

Ainsi, nos élites actuelles ont accompli cette prouesse de rendre la société militaire plus juste que la société civile. Certes, un général 5 étoiles est mieux payé qu’un soldat de 2e classe ; mais en aucun cas dans la disproportion du civil entre un grand patron et un ouvrier. Qui plus est, quelle responsabilité est plus grande que celle de la vie et de la mort de ses troupes ? Quelle obéissance, allant jusqu’à l’acceptation du sacrifice, procède d’une adhésion plus profonde ? En outre, cela fait maintenant une quinzaine d’années que la grande muette investit les plateaux de télévision et a compris qu’elle devait peser dans le débat public pour maintenir l’acceptabilité de ses missions. Une fois un pied mis dans l’arène politique, quels événements, quelles crises pourraient l'enjoindre à mettre le deuxième, à franchir le Rubicon ?

Un 18 Brumaire ne saurait être réitéré demain ; mais après-demain, peut-être. D’autres conditions pourraient être trouvées et exposées, mais le but n’est pas ici d’en faire l’inventaire exhaustif. C’est uniquement d’exposer à quel effondrement peut mener la sape actuelle du contrat social par des carriéristes à courte vue. S’agissant des coups de force militaires, un ressort socio-culturel en est souvent oublié. Il touche étroitement au sujet, aux relations entre la base et le sommet dans notre pays : la conviction que les soldats sont les meilleurs des citoyens. Il n’y a pas nécessité qu’ils le soient réellement, selon de quelconques études philosophico-sociologico-je-ne-sais-pas-quoi. Il suffit que leurs raisons soient crédibles et mobilisatrices. Or, en matière de réinvention de la citoyenneté, toutes les occasions ont été manquées. Dans le civil, la citoyenneté a ( presque ) été réduite à néant ( Cf https://www.youtube.com/watch?v=lx0bO6KLak0&pp=2AYC ). Seule une petite fraction de la population est, à proprement parler, prête à mourir pour la France, selon la tradition révolue du citoyen-soldat. Beaucoup pourraient à terme se contenter de cette légitimité, quand tout le reste paraîtra corrompu ; par bêtise, vénalité ou vanité.

S’agissant de ce phénomène, le terme politiquement correct est « dégagisme ». Ce qui me semble monter des profondeurs de la nation est d’autant plus violent qu’il se nourrit de désespoir. Si les recours institutionnels limitent au verbiage les changements à la tête de l’Etat, pour en modifier la politique, pour restaurer le citoyen dans sa dignité après l’avoir anéanti en droit, que reste-t-il ?

Illustration 1
La véritable guillotine ordinaere, ha, le bon soutien pour la liberté ! - 1791-1795

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