Le débat sur la peine de mort est généralement mal posé, car il s’agirait de se positionner pour ou contre. Les sociétés qui la pratiquent conviennent toutes que tuer est un mal en soi. Certes, nous avons des témoignages anciens de spectateurs des exécutions publiques. Certains appréciaient le spectacle ; puis de dénoncer les mises à mort au couperet, dépourvues des rebondissements macabres de longs et subtils supplices orchestrés par le bourreau.
Exception faite des voyeurs et sadiques divers, nul ne perçoit la peine de mort comme un bienfait. Même les plus vindicatifs, parmi les victimes de criminels, la voient plutôt comme un mal nécessaire. Autrement dit, le fond du débat ne porte pas sur le caractère désirable en soi de cette peine, mais sur sa nécessité dans un contexte donné.
R. Badinter a voulu le Bien, personne ne lui dénie cette intention. Là résonne l’avertissement : l’enfer est pavé de bonnes intentions. C’est précisément cette cérémonie qui interroge l’aboutissement de la voie dans laquelle nous nous sommes engagés, avec les meilleures intentions du monde.
Bien sûr, on peut désirer un monde sans violence ; une autre application de l’adage « Un jour j’irai vivre en théorie, car en théorie, tout se passe bien ! ». Si l’on garde les pieds sur terre, force est de constater qu’en France, de nos jours, il est devenu inadmissible que l’Etat puisse détenir le monopole de la violence légitime ; un peu parce que c’est l’Etat, beaucoup parce que la violence n’est pas un bienfait en soi. En théorie, la violence est inadmissible ; en pratique…
Dès lors que l'Etat ne détient plus ce monopole de la violence légitime, ce sont de fait les criminels qui exercent la violence. Cet exercice inhérent à leur activité, joint à "leurs performances", vaut légitimité. Dès lors, trois options : soit achever de soumettre le corps social à des systèmes mafieux, soit favoriser l'autodéfense citoyenne, soit restaurer le monopole d'Etat en matière de violence légitime.
L’autodéfense citoyenne sonne bien pour les détracteurs de toute autorité centrale. Dans les faits, de tels systèmes bénéficient moins aux pauvres qu’aux riches qui peuvent se financer des gardes prétoriennes. Surtout, cette privatisation de l’exercice de la force implique la multiplication des systèmes mafieux et féodalités. Les systèmes de justice privée comme la vendetta et le kanun n’apportent pas la paix civile, mais institutionnalisent et enracinent la criminalité punitive.
L'impuissance de l'Etat engendre déjà en France des initiatives en faveur de l'autodéfense citoyenne. Je crois que cela va trop à l'encontre de l'histoire de notre pays pour être pérenne. Des rois thaumaturges au monarque républicain, la primauté de l'Etat tient du sacré ( même si ses profanations occupent plus le devant de la scène de nos jours ). Que l’on raisonne dans ce cadre national ou en termes de darwinisme social ou de marxisme, la collectivité a, en dernière instance, intérêt à ce que l’Etat seul exerce la violence légitime.
Une fois affirmée l'ambition de restaurer le monopole étatique de la violence légitime, reste à s'interroger sur la nature de cet Etat ( qui sert-il ? ) et sur les moyens à mettre en œuvre. On ne dompte pas des criminels avec des mots, mais en versant le sang. N'importe quel livre d'histoire offre toutes sortes de modes d'emploi, mais il va de soi que les solutions passées ne sont pas compatibles avec le droit présent...
Or, sauf erreur, à l'occasion de cette panthéonisation, le MUCEM exposerait l'authentique Veuve. Le but serait de provoquer l'effroi ressenti par R. Badinter qui, lui-même, en a fait archiver deux exemplaires. Problème : est-ce que les perceptions n'ont pas changé depuis ? La guillotine contre le barbecue, qui symbolise ( et potentiellement sert ) le mieux l'intérêt général ?
En résumé, cette cérémonie d’hommage à R. Badinter survient alors que nul ne sait qui peut exercer la violence légitime. S’agissant de l’abolition, cela accentue son caractère expérimental à rebours de millénaires de pratiques étatiques. Bien sûr, on peut considérer que les tensions actuelles de la société française ont vocation à se résorber d’elles-mêmes. Si à l’inverse elles risquent de précipiter le pays dans un cycle destructeur comme ceux connus par le passé, cette question du monopole de la violence légitime devient impérieuse.
Au moment même où la restauration du monopole étatique de la violence légitime est en suspens, cette panthéonisation peut apparaître comme l'un des derniers feux d'un système politique appelé à être renversé.