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Billet de blog 12 novembre 2025

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Un président de la République en prison - Partie 2

Condamnation d’un ex-président de la République et réactions tous azimuts. A Paris, les postures partisanes gauche/droite dominent. Au-delà, ce naufrage de la fonction présidentielle interroge un régime dans la tourmente. Un argument passé inaperçu du verdict apporte un éclairage original sur cette « association de malfaiteurs ». Un tel prononcé est-il recevable pour tout sommet international ?

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Une association de malfaisants pour caractériser celle de malfaiteurs ?

Chacun de reprendre la haine invoquée par N. Sarkozy pour le railler. Au vu de la technicité de cette affaire de délinquance en col blanc, cette défense est assurément surprenante. Pourtant, j’ai documenté longuement ailleurs comment le plébiscite de 2007 cimentait l’enthousiasme et la haine autour de son action politique et de sa figure médiatique. Ce phénomène de société était-il assez profond pour infléchir, consciemment ou non, l'instruction de l'affaire et la sentence près de 20 ans plus tard ?

L’ouvrage qui développe ces idées n’a pas été retenu par les éditeurs ( J. MOREL, Atlas des présidentielles de 1965 à 2017. Seconds tours et transfigurations du politique, janv. 2021 ; à paraître ? ), et il n’est guère opportun de le diffuser en pièces détachées. L’analyse des données quantitatives, principalement, mais aussi qualitatives, à la marge, indiquait que le plébiscite sarkozyste de 2007 reproduisait le modèle gaullien de 1965, mais dans un contexte tout autre. En résumé, alors que l’atomisation singulariste était en marche, la dynamique triomphale ralliait précipitamment de nombreux soutiens ( naïfs grisés par un regain d’espoir, opportunistes divers, pragmatiques optant pour le moins mauvais… ), tous appelés à faire défection plus rapidement encore au moindre accroc dans l’exercice du pouvoir. L’infidélité dans l’engagement politique est une dimension de l’effacement du collectif derrière l’individu. N. Sarkozy, niaisement surnommé « hyperprésident » en son temps, aurait-il amorcé un tournant décisif vers une médiocratie où le plébiscite devient impossible ?

Petite précision utile pour la suite… En admettant que, désormais, ce plébiscite suscite presque par définition des oppositions plus fortes que les soutiens, qui s’éparpillent à la moindre adversité alors que les adversaires sont galvanisés, nos institutions plébiscitaires sont structurellement fragilisées. Dès lors, faudrait-il bazarder l’institution présidentielle avec une VIe République, ou remédier au démembrement singulariste du corps civique, redresser une colonne vertébrale entre peuple et élites ? Sans doute la réponse se trouve-t-elle entre les deux… Collectivement, nous devons sortir de ce système socio-politique dysfonctionnel, ou en périr.

Quoi qu’il en soit, nous nous trouvons en présence d’une personnalité politique qui, depuis son émergence sur le devant de la scène nationale, attise des haines assez tenaces pour porter ses rivaux jusqu’au second tour des présidentielles, voire les faire gagner. La victoire de F. Hollande était moins celle du socialisme que du TSS, pour « Tout sauf Sarkozy », avec un contretemps de 5 ans.

D’un côté, les commentateurs de la condamnation de N Sarkozy passent au crible les parcours des principaux magistrats impliqués, comme S. Barbarit pour Public Sénat ( Cf « Condamnation de Nicolas Sarkozy : la liberté syndicale des magistrats une nouvelle fois ciblée », Public Sénat, 29-09-2025 ; disponible en ligne : https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/condamnation-de-nicolas-sarkozy-la-liberte-syndicale-des-magistrats-une-nouvelle-fois-ciblee ). Là, il distingue la présidente de l’audience du polémique Syndicat de la magistrature, en écho à ceux qui rappellent à la moindre occasion le mur des cons. A l’appui de chercheurs, en l’occurrence L. Willemnez, il s’agit de marteler le message : « Il existe […] des règles d’impartialité extrêmement fortes ».

Ailleurs, la chaîne l’esprit critique mentionne « une centaine de magistrats qui se [seraient] penchés sur l’affaire », qui en auraient disséqué les faits ( Cf https://www.youtube.com/shorts/SM0slF6RB7Q , 1’00’’ à 1’10’’ ). En principe, la présidente de l’audience n’a pas vocation à parler en son nom ; en pratique, au terme d’une telle mobilisation judiciaire, elle parle autant pour la Justice que pour la corporation des magistrats. Là encore, cela ne dédouane pas le condamné de toute responsabilité, mais cela renforce la nécessité d’une Justice limpide sur les questions de fond, qui tiendrait à l’écart tout prétexte judiciaire.

Outre le prétexte causal que nous traiterons ensuite, le prétexte final est assumé de toutes parts, pour le cautionner ou le vilipender. La présidente explique par la gravité des infractions la mise sous écrou indépendamment de l’appel du condamné. En effet, au moment du prononcé, chacun sait déjà que le juge d’application des peines devrait lui faire quitter le centre pénitentiaire sous quelques semaines. Les humoristes de s'en amuser ( Cf https://www.youtube.com/shorts/hvEBYzZp3GE )... Pour une cour n’ayant pas réussi à faire aboutir la majorité des procédures engagées, cette pratique revient à proclamer « mieux vaut ça que rien ». C’est toute l’erreur historique de ce jugement, pour peu qu’il ne faille pas juger un chef d’Etat comme Al Capone.

Si la peine est dérisoire pour des actes dérisoires, chacun le comprend et l’admet. Or, premièrement, il est question de faits graves mal prouvés pour lesquels il est impossible de prononcer une peine à hauteur des attentes, réelles ou supposées, de la société. Dès lors, cette Justice qui use d'expédients pénaux en prétendant servir les citoyens et exprimer la volonté du peuple est raisonnablement suspecte de servir le microcosme des robins. En effet, l’exigence dont ils investissent la nation pourrait n’être que la projection de la leur.

Deuxièmement, ce simulacre d’incarcération, précisément justifié par l’impossibilité de garantir l’effectivité d’une peine plus lourde, est totalement disproportionné avec la gravité proclamée. Personne ne peut s’en satisfaire. Selon le bord politique des observateurs, pour les uns, elle n’aurait pas dû avoir lieu, pour les autres, elle aurait dû être exécutée en totalité et dans des conditions plus dures. Mais personne ne se préoccupe de ce qui les détermine tous dans leurs errements sur ce sujet : l’ensemble des preuves et des outils juridiques permettant de réprimer les défaillances au sommet de l’Etat.

Sur ce point, il paraît utile de rappeler que ce sont surtout les puissants déchus qui sont rattrapés par la Justice, les protections et complaisances ne jouant plus en leur faveur. La condamnation d’un « ex », c’est l’aveu de l’impossibilité à traiter les dossiers et à remonter les indices dans les délais, à faire parler des témoins qui préfèrent le silence jusqu’au moment où leur parole ne dénonce plus quiconque d’important ni de menaçant. Ces vieux arbres que l’on abat et dont on allume un feu de joie pour la population cachent la forêt des intrigants encore à l’œuvre, dont le pouvoir de nuisance est actuel. Ces derniers redoutent-ils l’exemplarité des peines, ou tirent-ils les ficelles pour détourner l’attention de leurs méfaits ? A l’instar des personnes vivant des armes et sachant devoir mourir par elles, des carrières se bâtissent et s’effondrent sur des affaires, comme une fatalité assumée.

Cela nous mène au troisième point, synthèse composite des deux premiers. Ce jugement n’est jaugé qu’au regard de la politique et témoigne de conflits de pouvoir majeurs. La cour, se sachant dans l’impossibilité de faire appliquer la Justice comme elle soupçonne qu’il le faudrait, exerce les pouvoirs que le droit lui confère pour infliger une peine symbolique en l’absence de preuves et lois adéquates. Le point de départ de la réflexion, c’est que l’autorité judiciaire, telle que définie dans la constitution, s’affirme comme un pouvoir judiciaire dans une affaire qui se révèle politique du début à la fin.

Il est probable que la volonté de dédouaner les magistrats de tout biais politique ait été en partie contreproductive : beaucoup de spectateurs ont considéré qu’on leur faisait passer des vessies pour des lanternes. Dénouer l’imbroglio commence par admettre que droit et politique sont inextricables dans une affaire de ce niveau et de cette nature. Celle-ci articule des enjeux intérieurs, mais également les affaires étrangères. Dans l’un comme dans l’autre domaine, l’esprit, la lettre et la pratique de la loi occasionnent un conflit frontal entre deux visions, certes, mais surtout deux pouvoirs : l’exécutif et le judiciaire.

Avec l’adjectif « historique », beaucoup ont pressenti dans cette incarcération d’un ex-président de la République une portée révolutionnaire. Nous nous sommes déjà, sommairement, intéressé au passif de chacun de ces pouvoirs. Cette condamnation symbolique est-elle un marqueur fiable d’un renversement insidieux de pouvoir, d’une révolution silencieuse ?

A suivre…

Pour la curiosité, voici une approche satirique de l'événement : https://www.youtube.com/watch?v=MHOWnvNw9Tw A chacun de juger quel format est le plus propice au déploiement d'une pensée construite et critique...

Un jugement révolutionnaire ?

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