Durant les onze premières minutes, le pathos. Non sans mécaniquement passer en revue qui de droit, tous les acteurs de l’événement qui offrent aux Français des exemples édifiants. 11’40’’, la dénomination de l’ennemi dans l’optique de montrer la prise en main du phénomène : « […] idéologie islamiste identifiée, active, structurée en réseaux, en zones d’influence, avec ses codes et ses modalités d’action, désireuse d’annihiler la vision de l’humanité que porte notre pays par son histoire, son action présente et sa vision de l’avenir. » ( 12’00’’ ) Autrement dit, le président de la République adresse un message subliminal à la nation et à ses ennemis, pour signifier à tous que nous savons qui ils sont, où ils se replient, comment ils communiquent entre eux et planifient leurs actions… Autrement dit, à en croire le président Macron, nous aurions les moyens de les neutraliser.
Une fois cela entendu, on doit se sentir rassuré, puisque la terreur serait la stratégie de ces ennemis. L’abjection peut-être aussi, car leur culture politique suscite plus l’envie de vomir que de frémir ; mais il n’y a pas là matière à créer un néologisme digne de la langue française qu’ils saccagent par leurs vociférations prétendument pieuses.
Si l’on reste inquiet, l’orateur de pousser son avantage après une respiration de rigueur : « Ce djihadisme projeté [d’où ? Je le croyais endogène…], nous avons tout fait pour l’endiguer, le juguler, mais il renaît sous une autre forme : intérieure, insidieuse, moins détectable, moins prévisible. [ Suit un bref inventaire d’islamismes extérieurs ( Moyen Orient… ) et l’esquisse de menaces nouvelles. Puis, 12’33’’, le président d’en venir à la gestion du conflit :] Face à cela, notre Nation est garante du combat perpétuel, mené sans jamais renier nos valeurs de Justice et de libr… de liberté. Elle se porte garante que tout sera fait pour empêcher toute nouvelle attaque et pour punir de manière implacable ceux qui s’y risqueraient. Et dans cette décennie écoulée, la Nation s’est fortifiée. Des mesures sans précédent ont été prises, immédiatement : déclaration de l’état d’urgence, protection à nos frontières, puis l’écrite de lois qui sont venues adapter le droit à l’état de la menace, et nous ont permis de lutter dans la durée contre le terrorisme, en protégeant nos libertés publiques. [Accélération dramatisante :] Visites domiciliaires, dispositions de fermeture de lieux de culte, périmètres de protection, mesures individuelles de contrôle et de surveillance… Autant de barrières mises sur le chemin des assassins. […] Programme de déconstruction des discours radicaux pour étouffer dans l’œuf le passage à l’acte, pour éviter sa récidive en prison. »
Puis, de nouveau, remise de médailles, verbales, à toutes sortes d’acteurs de terrain, précision de réformes structurelles des administrations, aux échelles nationale et européenne, promotion des attentats déjoués, de l’Education nationale ( oui, il a osé ! ), de nouveau des exemples édifiants agrémentés d’images botaniques et d’emphase. Le tout se conclue sur les vivats convenus de la République et de la France, avant, enfin, les remises de légions d’honneur officielles.
Première réaction : je me suis souvenu de l’année 2015, quand j’expliquais que le terrorisme islamiste ne se combattait pas avec des chars d’assaut, que les mesures spectaculaires n’étaient pas nécessairement les plus efficaces. Le travail souterrain pouvait apparaître porteur, à un moment où il fallait trouver l’équilibre entre traque des ennemis et garantie de la cohésion nationale, afin de prévenir une implosion plus mortifère encore.
J’imagine que les chroniqueurs parisiens vont reprendre chacun des points de la gestion de cette « guerre » pour montrer combien la présentation qui en est faite est lacunaire ; soit pour en souligner les manques, soit pour en contester les excès. A ce sujet, le billet que j’écris présentement s’inscrit en prolongement d’une réaction à une dénonciation de l’islamophobie postée ici : https://blogs.mediapart.fr/mohamed-awad/blog/131125/dix-ans-apres-le-13-novembre-dix-ans-de-bascule-islamophobe/commentaires#comment-13197195
On dit souvent qu’il ne faut pas oublier les erreurs du passé pour ne pas les reproduire. Comme signalé rapidement dans le commentaire en question, cette gestion du terrorisme islamiste calque le cadre juridique flou et lacunaire, inefficace et contreproductif, de la guerre d’Algérie ; qui plus est dans un contexte de faiblesse de l’Etat. Je ne peux m’empêcher de penser à ces révolutionnaires russes de la fin du XIXe siècle, certes pourchassés par l’Okhrana, certes parfois condamnés au bagne, vers la Léna pour le plus célèbre d'entre eux ou ailleurs pour d’autres ; mais en définitive, quand cet Etat s’est effondré après des décennies de cohabitation avec ce terrorisme endémique, ces groupes ont surgi de nulle part, de l’étranger même, pour prendre le contrôle des centres de décision et instaurer un régime séculaire dont l’héritage perdure.
Nos moyens juridiques actuels permettent une telle cohabitation sur la durée, en espérant qu’aucune crise majeure ne vienne percuter la Nation. Vue à quelle vitesse nous les accumulons en tous domaines dans la gabegie quotidienne de nos administrations centrales, cette espérance paraît assez vaine.
Pour gérer comme une guerre ce qui en est une, c’est toute la doctrine politique qu’il faut refonder en remodelant le droit.
Avant tout, il faut travailler au corps les institutions internationales sur les précédents passés inaperçus et susceptibles de faire jurisprudence. Ce qu’on appelle « droit de la guerre » est le cumul d’accords internationaux divers où l’on envisage des affrontements entre armées régulières disciplinées aux ordres d’Etats reconnus. L’intervention au Mali est un cas d’école de mandat onusien pour attaquer des troupes non conventionnelles. Bien sûr, une définition juridique fiable prendra du temps, car il ne faut pas pouvoir déclarer la guerre à n’importe quelle ONG ( Al Quaida est techniquement une ONG ), cela alors même que des entreprises de mercenaires renouvellent les pratiques de terrain. Il n’en reste pas moins que beaucoup d’Etats ont désormais été concernés au premier chef par ces conflits hors cadre légal : quid des prisonniers de guerre… ?
Il faut admettre que la définition de séparatisme a eu, en France, l’ambition de caractériser des ennemis et de donner les moyens de les combattre. Soit par volonté de ne fâcher personne, ce qui est cocasse s’agissant de désigner des ennemis, soit par détection d’un nombre plus important d’ennemis que soupçonnés au départ, nous avons abouti à une catégorisation juridique tellement large qu’elle en devient inopérante. Sur cette base légale, il est impossible de distinguer ceux qui mitraillent des Français dans les rues de Paris et des régionalistes aux accents un peu trop indépendantistes entre la poire et le fromage.
L’acte de guerre est le préalable élémentaire pour définir de tels ennemis. Certes, il y a déjà eu toutes sortes de terroristes qui ont combattu l’Etat ; les Corses et Basques s’en souviennent. Néanmoins, le palier franchi ici est très simple à identifier : les indépendantistes combattaient l’Etat, les islamistes attaquent la Nation. A partit du moment où des anonymes sont ciblés en tant que Français, un seuil indéniable et évident est franchi qui permet d’isoler l’ennemi et de le combattre avec des moyens spécifiques.
En termes de moyens, le point de départ est de ne pas reproduire l’erreur fondamentale commise en Algérie, qui a consisté en une inversion des pouvoirs civils et militaires : l’armée remettaient à la Justice ( une partie ) des ennemis capturés, qui étaient ensuite guillotinés comme criminels. Certes, nos ennemis actuels s’accommodent mieux que leurs prédécesseurs du statut et du quotidien carcéral de criminels. Une fois définis comme ennemis, leur place n’est pas dans une prison civile, pas plus que la Justice civile n’a vocation à instruire et à juger leur cas. La Justice militaire paraît plus indiquée pour cela.
Tout le problème de ces conflits informels, c’est l’absence d’uniforme, la dissimulation des combattants. Dans certains cas, les conditions de capture ne laissent aucun doute sur leur nature. Dès lors, on pourrait leur accorder la grâce du statut de prisonnier de guerre ( durant la guerre de 1870, Français et Allemands débattait de ces questions juridiques, car les Allemands fusillaient les partisans français au motif qu’ils combattaient sans uniforme et n’étaient pas couverts par les conventions internationales ). Cela s’accompagne néanmoins d’un autre problème : les étrangers sont des combattants ennemis, respectables en tant que tels selon les usages traditionnels de la guerre. En revanche, les Français, nés dans nos hôpitaux, ayant appris à lire et à écrire dans nos écoles, agissent vis-à-vis de la mère patrie comme s’ils mettaient leur propre mère sur le trottoir. Ordinairement, ces traîtres sont fusillés au terme de procédures expéditives, voire lorsqu’ils sont pris les armes à la main. Or, depuis 2001, la peine de mort a été abolie en temps de guerre. Voilà un problème de gestion en perspective.
En résumé, ces mesures et d’autres qui pourraient les compléter consisteraient à remettre aux militaires la charge de conduire cette guerre, même s’ils n’emploieraient pas tant les chars ni le napalm que les services de renseignement et les actions commandos.
Si une telle guerre reste à conduire, il faudra assurément se pencher sur les conditions de propagande ennemie sur notre territoire. La loi interdisant la burqa est symptôme de toutes les hypocrisies et de tous les faux semblants sur le sujet, dès lors qu’on est incapable de nommer l’ennemi. Officiellement ce vêtement est interdit pour des questions de sécurité : il faudrait que le visage soit apparent dans l’espace public. En pratique, ce vêtement est l’étendard de nos ennemis et fait leur propagande sur notre sol, au vu et au su de tous. Dès lors que l’état de guerre est assumé comme tel, la qualification juridique de l’acte est évidente. Quant à savoir s’il se gère par des tireurs d’élite ou par des patrouilles de police, au Législateur de trancher…
Dans le même ordre d’idées, vu le nombre de chefs d’Etat qui interrogent depuis des décennies les psychiatres de toutes sortes ; on pourrait raisonnablement exclure les altérations du discernement en cas de mobiles politiques. A trop vouloir renvoyer l’islamisme à la psychiatrie, on se soviétise à la mode Brejnev. Non, le dissident n’est pas un aliéné inapte à voir le paradis que lui offre l’Etat ; il est un ennemi à neutraliser à la mesure des moyens qu’il emploie dans son combat contre le pouvoir central. S’il fait vivre sa cause par la violence et les armes, c’est par la violence et les armes qu’il doit être géré en retour. Il ne faut pas oublier que la conflictualité entre l’Occident et l’islamisme s’inscrit dans une géopolitique et dans un ensemble de représentations où les fous ont leur rôle à jouer au même titre que ceux qui tirent les ficelles. Qui saurait d’ailleurs garantir la bonne santé mentale des combattants dans un conflit qui s’éternise… ?
En outre, de nos jours, pour attaquer les bases islamistes, on passe par les trafics de stupéfiants qui se territorialisent plus ou moins de la même manière. Sans doute n’est-ce pas totalement peine perdue… Là encore, faute de désigner clairement qui on cible et pourquoi, on perd en efficacité. En revanche, les données de masse permettent de délimiter assez bien les « territoires perdus de la république », pour reprendre une expression de la fin du XXe siècle ; c’est dire le pourrissement de situation… Dès lors, les empires du passé ( Rome, Charlemagne… ) ont souvent distingué les territoires en fonction des impératifs militaires. On dira que la Constitution postule l’indivisibilité du territoire français ; mais c’est précisément l’incapacité à appliquer aux territoires séditieux des moyens exceptionnels qui renforce les « séparatismes », alors que les politiques égalitaristes reviennent à les subventionner.
Bref, tout cela est un peu mollasson et un Staline déporterait quelques centaines de milliers de personnes dans des camps de travail forcé pour commencer, tout en faisant exécuter autant d’ennemis désignés et en affamant les territoires rebelles. Ces méthodes sont un peu passées de mode, mais elles avaient le mérite d’éviter tout irénisme en visant l’efficacité belligérante à moindre coût.
De nos jours, quand on nous tire dessus en pleine capitale, il faut dix ans pour définir juridiquement l’ennemi, l’état de guerre et les protocoles d’emploi de la force… Pardon, plus de dix ans car, au vu du discours commémoratif de ce soir, nous en sommes encore à tendre la joue droite, en attendant que cela revienne à la gauche… Quand les élites martyrisent de la sorte leur peuple, au risque de confiner à la complicité avec l’ennemi qui trouve protection dans le droit inepte qu’elles échafaudent, que reste-t-il au peuple souverain ?