Chapitre IX - L’appropriation collective-institutionnelle des enfants (extrait)
[...] la fréquence de la pédocriminalité majoritairement exercée contre des garçons par les membres masculins du clergé ne correspond assurément pas une homosexualité débridée (on connaît d’ailleurs peu d’histoires d’amour passionnées entre moines d’âge similaire), ni à une pulsion sexuelle qui se cherche désespérément une voie (sans quoi les fillettes et les femmes seraient certainement plus touchées). Elle illustre, par contre, l’injonction de la part de l’institution à une forme d’alliance matrimoniale non procréative, dans laquelle les enfants constituent les « partenaires » parfait·es. L’orientation préférentielle vers les jeunes garçons permet de prolonger les pratiques jusqu’à l’âge adulte sans risque procréatif.
Plus globalement et surtout, l’imposition institutionnelle de l’anti-alliance à divers types de jeunes enfants permet à l’institution catholique d’obtenir des résultats de deux ordres. D’une part, elle cause le « marquage pour mourir » ou l’empêchement de vivre de personnes et de secteurs entiers qui ne sont pas destiné·es à entrer dans le pacte de pouvoir mais à être exproprié·es des territoires, des ressources et du pouvoir (colonisé·es, racisé·es, femmes diverses). D’autre part, elle assure la cooptation permanente d’un certain nombre d’autres jeunes gens, qui se voient à l’inverse progressivement intégrés dans un vaste système de pouvoir hiérarchique particulièrement structuré. Se tisse alors, dans les séminaires et les monastères, autour des violences génitalisées et d’un ensemble d’autres violences et autoritarismes, un pacte de complicité et de silence. Celui-ci permet d’abord l’impunité collective, mais surtout, la progression individuelle dans la hiérarchie, en exerçant à son tour, en cascade, des violences, notamment génitalisées. Se forme ainsi une vaste institution de pouvoir pyramidale, cimentée non pas par des liens familiaux, mais par l’anti-alliance qui, on l’a vu, est susceptible de créer des liens extrêmement forts et durables. Si seul un petit nombre accède aux échelons les plus élevés, le pouvoir sur les inférieur·es et l’ensemble de la population laissée en dehors du pacte constitue déjà une rétribution suffisante[1].
Peut-être avons-nous ici une importante clé de lecture pour comprendre à la fois l’implication de l’Église catholique dans l’exercice massif des violences génitalisées, notamment dans un cadre colonial ; ce si curieux et si durable attachement au célibat officiel des prêtres ; l’acharnement contre des formes d’homosexualité qui pourraient inclure de l’affect et l’établissement de liens de filiation ; et le considérable pouvoir que cette institution est parvenue à accumuler.
[1] Les différentes « révélations » sur les violences sexuelles, l’homophobie et l’autoritarisme dans l’établissement catholique Stanislas, qui joue un rôle central dans la reproduction des « élites » politiques et sociales françaises, ainsi que sur les puissants mécanismes de leur silenciation, illustrent ces logiques de manière éclatante.