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Billet de blog 3 juin 2020

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Conductrice de bus: un métier accompagné par l'expérience de la domination masculine

À travers une courte enquête sociologique, j'ai tenté d'appréhender la thématique des inégalités de traitements dans le monde du travail selon les genres. Pour cela j'ai pris la décision de m'orienter pour la réalisation d'un entretien vers un domaine où les femmes sont peu représentées : celui de la conduite de bus.

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Empruntant régulièrement les transports en commun j'ai en effet pu constater la très faible présence de femmes dans ces emplois qui sont ceux de conductrice de bus/tramway, responsable contrôle des transports en commun… Le métier de conducteur existe maintenant depuis plus d’un siècle, et s’est fondé dans un contexte social où la culture et l’approche du travail était différente d’aujourd’hui, dans une époque où les femmes n’auraient même pas envisager avoir l’opportunité de travailler un jour, les repères identitaires et définition des règles du métier ayant donc étés établies par des hommes et pour des hommes. Les générations actuelles se sont tendent donc à se constituer hors de ces schémas dans leur rapport au travail et visent une égalité totale par une valorisation du hors travail. La première femme conductrice de bus en France était Marcelle Clavère, en 1961. Ce métier est accessible aux femmes depuis donc seulement une cinquantaine d’années en France. Cela représente suffisamment de temps pour que nous puissions nous interroger sur la place des femmes dans ce domaine longtemps réservé aux hommes, ainsi que sur l’expérience que celles-ci tirent dans ce métier d’homme. Je n’ai pu trouver de statistiques globales en France sur les proportions hommes/femmes dans l’emploi de conducteur de bus en France, je me rapporterais donc à ceux de la RATP accessible aisément par le site de l’UNEDIC : Il n’y a que 7,5 % de femmes machiniste receveuse au sein de la RATP, à peu près le double dans l’ensemble des entreprises françaises du transport routier voyageur (TRV). « En 2000, les  femmes représentent moins du quart des salariés de l'ensemble du TRV (Transport Routier Voyageur) (et seulement 11 % dans l'ensemble du Transport Routier de Marchandises). Cependant, entre 1986 et 2000, sur le champ  des établissements affiliés à l'UNEDIC, les effectifs salariés féminins du TRV ont été multipliés par trois. La part des femmes a augmenté ainsi de  8,3 points, passant de 13,7% à 22,0 %. Cette féminisation du TRV se poursuit à un rythme soutenu en fin de période, plus de 10 %  (Source : UNEDIC) ». Les transports routiers voyageurs en France ont pourtant des débouchés important, par exemple il y a aujourd’hui 85 000 bus et entre 200 000 et 250 000 conducteurs en France. Pour saisir les raisons de cette sous-représentation, je m'intéresserais à la culture professionnelle dans ce domaine. Avant tout, il m'a semblé nécessaire de rappeler que le permis de conduire (autrefois appelé certificat de capacité) a été créé en 1889, et « à peine » 8 ans plus tard la première femme obtenait son permis. Cependant elles devront attendre 1945 pour avoir le droit de voter, droit pourtant fondamental. Il existe de fortes disparités hommes/femmes au sein des emplois généraux, que ce soit sur un aspect social mais aussi au niveau financier : aujourd’hui en France, les femmes sont rémunérées en moyenne 9 % de moins que les hommes. Cette réalité existe malgré le principe « à travail égale, salaire égal », inscrit dans la loi française. De plus en plus d’auteurs s’intéressent à la place des femmes dans les emplois encore fortement marqués par des repères identitaires de type masculins comme par exemple Livia Scheller ayant réalisés plusieurs travaux spécifiquement sur les différences de genre dans les métiers de la conduite, tel que « Les bus ont-ils un sexe ? Les conductrices de bus : approche psychodynamique de la division sexuelle du travail à la RATP » (2009) ou encore « Le temps des conductrices de bus » (2009), ou encore le sociologue Olivier Schwartz avec « la pénétration de la culture psychologique de masse dans un groupe populaire : paroles de conducteurs de bus » (2011). D’autres auteurs se sont intéressés à cette différence de genre mais dans d’autres milieux tel que Emmanuelle Zolesio avec son ouvrage « Chirurgiens au féminin ? Des femmes dans un métier d’hommes » (2012) mais aussi Christelle Avril dans son ouvrage « Classes Populaires et Services Publics » (2005).

J'ai donc réalisé un entretien avec une jeune femme de 25 ans, qui a eu l’amabilité de me recevoir chez elle pour la bonne réalisation de celui-ci. Pour débuter l’entretien je lui ai demandé l’intitulé exact de son poste, question à laquelle elle a tout naturellement répondu « conducteur receveur » au masculin, tandis que l’Académie Française a prononcé en février dernier un rapport préconisant la féminisation des noms de métiers. Cette réforme est de l’ordre du symbolique mais est apparu dans une volonté de minimisation des discriminations et dans un vœu d’égalité. Cette décision relève d’une évolution naturelle de la langue, mais elle semble néanmoins nécessiter une période de transition afin que l’emploi du féminin des professions soit employé, comme nous pouvons le constater avec l'enquêtée. Depuis 6 ans dans le domaine, elle me parle de son évolution passée dans le monde du travail vers lequel elle s’est très vite tournée dès l’obtention de son baccalauréat. Elle a tout d’abord cherché à travailler dans le domaine de la petite enfance, avant de tenter le concours d’entrée dans une compagnie de transports (dans laquelle exerçait son père en tant que responsable de l'événementiel mais qui a auparavant également été chauffeur) qu’elle a aisément obtenu. Après une formation d’un an elle a pu continuer en autonomie, et désormais, bien que s’estimant heureuse et épanouie, elle m'évoque des volontés de possibles évolutions futures, ne se voyant pas rester à ce poste toute sa vie. La proportion de femme participant au marché du travail a fortement progressé au cours des 50 dernières années. Elles participent également au salariat. En 1962 la proportion de femmes actives était de 40 %, de plus celles-ci devaient avoir l’autorisation de leur mari pour travailler. Aujourd’hui cette proportion est autour de 80%. Malheureusement l’implication des femmes dans le travail reste accompagnée par l’expérience de la domination masculine. Je me suis tout d’abord interrogées sur les proportions hommes/femmes présentes dans cet emploi. D’après le site de l’INSEE, le métier de conducteur de bus fait partie de la catégorie socio-professionnelle [CPS] 6, c’est-à-dire celle des ouvriers, plus précisément la 61 (celle des ouvriers qualifiés) et encore plus précisément il s’agit de la profession 641b (Conducteurs de véhicule routier de transport en commun [salariés]). Il se trouve que la part des femmes par catégories sociales dans le domaine des ouvriers est celle où les femmes sont le moins représentées (19,6 % en 2012) contrairement aux catégories telles que les cadres et professions intellectuelles (40,2%) ou encore les professions intermédiaires (51,2%) mais surtout les employés, où la part des femmes représente 76,6 %. Les femmes sont porteuses de valeurs spécifiques sur le marché du travail, valorisation de la sphère de l’intime, par un refus de la compétition par exemple, elles s’investissent davantage dans les taches domestiques ainsi que dans la sphère familiale et domestique, ce qui minimise leur volonté de compétitivité dans leur emploi. Ces valeurs se retrouvent dans le choix des professions : elles plébiscitent très largement les métiers du relationnel, ou les métiers du « care » (c’est-à-dire dans le domaine du soin donné à autrui). Il s’agit ici d’une ségrégation horizontale très forte, c’est-à-dire la concentration des femmes dans certains secteurs d’activité. Les six activités les plus féminisées en 1962 sont les même que dans les années 2000. Ces métiers reposent sur une problématique commune. Les métiers du care sont des métiers utiles mais mal rétribués. Il y a une naturalisation des compétences attendues de ces métiers où ceux-ci ne feraient que prolonger leurs instincts maternels : on dénie les compétences nécessaires à ces métiers. On crédite l’idée que ces métiers reposent sur des qualités dites « naturelles » chez les femmes. J'ai pu constater que cela apparaît comme une normalité pour l'enquêtée à qui j'ai demandé la proportion de femmes dans son entreprise, qui néanmoins semble y accorder de l’attention lors de l’embauche :
« il y a moins de femmes, forcément… (…) Ouais bah ouais, c’est sur qu’il y a plus d’hommes. (…) ils essaient d’embaucher au moins on va dire quatre à cinq conducteurs par an, et on va dire sur les quatre cinq il y en a au moins une. Il y a au moins une fille à chaque fois, minimum. (…) On doit être 500 chauffeurs à peu près, je sais pas il y a peut-être 30, 30, 40… ouais, 30 % peut-être. 40 %, grand max ».
Cette proportion ne semble néanmoins pas augmenter en France, car d’après le site de l’INSEE dans le domaine des transports la variation du pourcentage de femmes présentent a baissé de -1,5 % entre 2008 et 2012. J'ai donc pu constater qu’à l’heure actuelle la profession de conducteur de bus incarne toujours des vertus dites « viriles » (force et technicité), car les femmes ne représentent que 10,5 % de ces postes en France.
On peut noter que les femmes semblent avoir parfaitement intériorisé cette logique de la domination masculine parce que lorsqu’on leur demande par exemple si elles sont satisfaites de leur salaire elles répondent oui autant que les hommes. À salaire inégal satisfaction égale. Il y a des inégalités de salaire mais par le jeu des stéréotypes de genre, les femmes ont tendance l’accepter plus aisément. Je me suis donc renseignées sur le salaire de l'enquêtée qui m'a affirmé que l’entreprise dans laquelle elle est employée porte grande attention à établir l’égalité sur l’aspect financier :
« Je sais pas si vous avez cette question, mais on a exactement le même salaire que les hommes chez [nom de l'entreprise](…) il y a pas de différences on est pareil sur ce point-là, ça il y a pas de problème sur ça. »
Malheureusement en France ce n’est pas une généralité, et bien que le gouvernement fasse des efforts afin d’imposer certaines normes d’égalité à ce sujet, les femmes touchent en moyenne 25% de moins en terme de revenus salariales, les hommes touchant 34% de plus. Dans les années 1950 les femmes percevaient en moyenne 2/3 du salaire masculin. Le rattrapage féminin s’est essentiellement fait entre le milieu des années 1970 et le milieu des années 1980. Aujourd’hui ce rattrapage se poursuit mais à un rythme beaucoup plus lent.

Dans son ouvrage « Les bus ont-ils un sexe ? Les femmes machinistes - Approche psychodynamique de la division sexuelle du travail à la RATP » (1996), Livia Scheller a démontré que les tests d’embauche à la RATP (mais aussi dans le reste des entreprises de transports françaises) sont orientés vers les « aptitudes spécifiques » des hommes, dites masculines (force, courage...). Pourtant, l’une des principales qualités attendues dans ce domaine est la relation avec la clientèle, et plusieurs études ont démontré que les femmes parviennent à obtenir de meilleures relations. L’un des obstacles expliquant le manque de femmes dans ces emplois est le rythme imposé dans ce métier, ayant des horaires de travail difficiles à organiser avec une vie de famille. J'ai donc demandé à l'enquêtée quelles sont ses conditions de travail au niveau des horaires, celle-ci a eu du mal à m'expliquer, mais elle me confirma par la même occasion que ce rythme peut s’avérer difficile avec une vie familiale « plus remplie » que la sienne, qui bien que vivant en concubinage n’a pas d’enfant:
« c’est vrai que les horaires c’est assez compliqué, mais moi de toute façon j’ai pas d’enfant donc c’est plus facile, voilà je pense que quand on en a c’est plus compliqué ».
Néanmoins elle semble penser que des efforts sont faits par son entreprise au sujet de ces horaires qui ont toujours été l’élément sensible du métier (fait constatable dans l’étude de l’auteure Livia Scheller « Le temps des conductrices de bus » [2009]). Or, ce même problème d’horaires décalés existe aussi dans d’autres professions (tel que les emplois dans les hôpitaux) pourtant très féminisées, surtout avec le métier d’infirmière (la part de femmes parmi les infirmiers étant de 88 %). La sociologue Emmanuelle Zolesio (spécialisée dans les genres, la santé et les professions) a d’ailleurs réalisé l’ouvrage « Chirurgien au féminin ? Des femmes dans un métier d’homme » (2012) au sujet du métier de chirurgien, qui tout comme dans le domaine des transports est encore un emploi majoritairement représenté par des hommes. Elle cherche à comprendre comment ces femmes chirurgiennes font pour s’intégrer dans cet univers encore très masculin. Elle constate au cours de son étude que dans le bloc opératoire les valeurs masculines se maintiennent, ces femmes tolèrent la misogynie et le machisme, acceptant de relayer leur vie familiale au second plan. Elle explique également avoir observé nombre chirurgiennes disant avoir été des garçons manqués dans leur enfance, très tôt socialisées aux valeurs masculines, mais note tout de même des chirurgiennes au profil plus féminin. Elle vu également qu’en début de carrière elles tendent à se comporter comme leurs homologues masculins puis se reféminisent au fil de l’avancement de carrière, généralement après la maternité. Ce n’est pas le cas de l'enquêtée qui m'affirme ne jamais avoir de quelque manière qu’il soit été amenée à modifier sa personnalité pour obtenir un meilleur respect, par exemple des usagers ou de ses homologues masculins :
« Non je pense que je suis pareille. Ouais je voilà, ouais je suis pareille. Je gomme pas du tout ma façon d’être. Au début ouais peut-être le fait de pas dire forcément ce que je pensais genre voilà les gens quand ils me disaient un truc je répondais pas forcément, maintenant je me prends plus la tête, et je suis peut-être mieux… comment dire, je suis peut-être plus euh… à pas me prendre la tête quoi en fait, il y a des fois un truc va m’énerver, et je vais me dis « bon, je m’en fou », et c’est comme ça que je suis dans la vie quoi vraiment donc… Après c’est vrai qu’au début j’avais un petit peu plus de mal à… à dire les choses. »
Néanmoins, lorsque je lui pose la question, celle-ci me confie avoir eu quelques soucis avec des usagers, et ce, quelques fois au sujet de son appartenance sexuée :
« de clients oui j’ai déjà eu la remarque que bah… souvent les mecs machin il suffit qu’il se passe un truc où il y a un problème où… bah souvent ça va être le premier truc « ouais de toute façon t’es une femme tu as pas à nous conduire ».
Ou encore elle m'explique le jour où une jeune fille s’est fait agressée par un individu en état d’ébriété lors de son service, et qu’elle a tenté de lui venir en aide :
« le mec quand il a vu que je voulais la défendre il s’est dit… enfin il m’a dit « t’es une nana, t’es qui toi pour me parler ? » il s’est dit « ouais il y a une fille qui me... » et coup de chance les contrôleurs sont arrivés genre 2/3 minutes après, mais ce jour-là j’ai eu quand même peur je me suis dis putain… (...) sinon non ça va. Bah je suis pas d’une nature euh… flippette donc… donc ça va. »
Nous pouvons donc constater que l'enquêtée à entendu à son encontre des propos à tendance sexistes au sein de son emploi. En 2016, le Conseil Supérieur de l’Égalité Professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) a réalisé une enquête sur les relations professionnelles qu’entretiennent les femmes et les hommes de la population non-cadre. Leurs résultats sont sans équivoque et permettent d’illustrer les tensions liées au sexisme : en effet, sur plus de 10.000 salarié(e)s interrogés, 74 % des femmes « considère que dans le monde du travail les femmes sont régulièrement confrontées à des attitudes ou des décisions sexistes (contre 54 % des hommes) ». La femme m'a également parlé d’une situation compliquée dans laquelle est s’était retrouvée avec un collègue en début de carrière. En effet, ayant de bonnes relations amicales (qui pour l'enquêtée ne sortaient pas de ce cadre, « il y avait absolument rien c’était strictement professionnel on se voyait pas à l’extérieur etc ») avec un autre employé, celui-ci a fait tourner le mot dans l’entreprise d’une liaison entre eux. L’histoire étant remontée aux oreilles de son père (travaillant dans l’entreprise) avant qu’elle n’en soit au courant. Après avoir mit les choses au clair avec le collègue en question, elle préféra se refermer sur elle-même et ne pas réagir auprès de ses autres collègues dans un premier temps, ayant peur de ne pas être prise au sérieux et préférant établir davantage de distance avec eux :
« en fait je me suis renfermée, j’allais en salle de pause je me mettais à part… (...) je voulais pas qu’on se dise que je faisais n’importe quoi à parler avec les mecs tout ça, parce que moi même si je disais que non c’était faux, lui vu qu’il l’avait dit à pleins de gens… et puis les rumeurs dans les entreprises comme ça, enfin surtout chez nous c’est… du coup c’est vrai qu’au début ouais ça m’a vraiment touché enfin ça m’a…  voilà enfin j’avais pas envie qu’on ai cette image de moi donc…  Et du coup au début j’avais beaucoup de gens qui (...) me disaient que j’étais un peu hautaine, que je prenais les gens de haut, que je me mélangeais pas avec eux, en gros que je les prenais pour des merdes et que… mais c’était plus pour me protéger moi dans le sens où j’avais pas envie que ça recommence. »
Elle a également par la suite fait une comparaison avec ses précédents emploie dans des domaines aux proportions d’employées femmes bien plus élevées (les hommes représentent seulement 1 % des effectifs des professionnels des lieux d’accueil pour jeunes enfants) :
« c’est vrai que moi quand j’étais en crèche ou autre je travaillais qu’avec des femmes (…) au début je suis rentrée chez [noms de l'entreprise de transport] je me suis dit « ah, ça va être avec des gars ça va être moins cancan et tout », et au final ouais c’est à peu près pareil, c’est même peut-être pire dans le sens où en tant que femme faut faire plus attention à ce qu’on dit à ce qu’on fait… »
Toujours d’après les résultats de l’enquêté du Conseil Supérieur de l’Égalité Professionnelle, le constat est sans appel : « 81 % des femmes non cadres victimes de comportements sexistes à leur travail ont déjà adopté une conduite d’évitement afin de ne pas avoir à affronter des propos ou comportements sexistes ».
L'enquêtée estime donc ne pas avoir dû modifier son comportement afin de se faire respecter, d’une part elle souligne l’intérêt des tenues de travail qui sont les mêmes pour les hommes que pour les femmes, mais me dit maintenant chercher à dissocier au maximum sa vie privée de sa vie professionnelle afin de ne pas s’attirer d’ennuis :
« je me méfie toujours, mais j’ai aucun… aucun contact du genre Facebook etc je mélange vraiment pas ma vie perso et ma vie privée ».
Je me suis également renseignées sur les réactions qu’ont eu sa famille lorsqu’elle leur a annoncé sa décision de rejoindre ce domaine. Son père étant déjà dans l’entreprise, il fut satisfait de cette décision, sa mère se montrant néanmoins moins rassurée pour sa fille :
« ma mère elle avait un peu peur parce que bah, c’est vrai que dans les bus ça arrive tout ce qui est agressions machin surtout que je suis une femme ».

Pour conclure, je dirais que bien que remarquant des efforts de la part de certaines compagnies, les femmes ont toujours des difficultés à trouver leur place dans ces métiers qui restent au fil du temps accompagnés par l’expérience de la domination masculine. Néanmoins il est remarquable que la plupart d’entre elles (dont l'enquêtée) semblent avoir parfaitement intériorisé cette logique de domination, qui semble presque ne plus les déranger, n’y prêtant plus attention. Néanmoins, nous pouvons souligner que l'enquêtée dit se sentir bien dans son entreprise et dit ne pas avoir spécialement l’impression d’être confrontée au sexisme au sein de son travail, ce qui est peut-être l’effet de la recherche d’égalité de la part de la compagnie de transport en commun (effort remarquable au niveau de l’embauche et des rémunérations). En effet, d’après l’enquête du CSEP, « la proportion des femmes confrontées au sexisme est significativement moins forte dans les entreprises qui le combattent ». De plus, de nombreux organismes apparaissent dans la volonté de promouvoir la place des femmes dans les métiers du transport en France, tel que l’association « Femmes en mouvement, les transports au féminin » qui a  en 2013 réalisé une vidéo en liaison avec le secrétariat des droits des femmes, intitulée « Le transport public, un métier de femmes ! », dans le but de faire connaître les métiers du transport aux jeunes femmes.
Malheureusement de nombreuses inégalités perdurent dans ce domaine et les femmes ne représentent toujours que 10,5 % de ces postes en France, alors qu’il existe en France la loi dite Roudy du 13 juillet 1983 réaffirmant dans le code du travail et le code pénal le principe de l’égalité dans tout le champ professionnel (comprenant le recrutement, la rémunération, les promotions ou formations), depuis cette loi les chiffres ont en réalité peu changé.

Julie MARIE - Le Havre - le 5 juin 2020

Sources:

ALONZO Philippe, (1996) « Femmes employées : la construction sociale sexuée du salariat », Paris, l'Harmattan, Logiques sociales

SCHELLER Livia, 1996. « Les bus ont-il un sexe ? Les conductrices de bus : approche psychodynamique de la division sexuelle du travail à la RATP ». Mission Prospective n°108 – Ratp

SCHELLER Livia, (2009) « Le temps des conductrices de bus »

SCHWARTZ Olivier (2011) « la pénétration de la culture psychologique de masse dans un groupe populaire : paroles de conducteurs de bus »

ZOLESIO Emmanuelle, (2012) « Chirurgiens au féminin ? Des femmes dans un métier d’hommes »

Critique régionale (1996) « Emploi des femmes et recomposition du marché du travail », n°25, p.141

https://www.itf-oecd.org/sites/default/files/docs/dp201111f.pdf

https://www.insee.fr/fr/metadonnees/pcs2003/professionRegroupee/641b?champRecherche=false

https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2016/11/CONSULTATION-2016-CSEP-BVA-Sexisme-chez-les-non-cadres-presentation-globale-Novembre-2016.pdf

https://www.vie-publique.fr/eclairage/19602-droits-des-femmes-ou-en-est-legalite-professionnelle

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