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Billet de blog 11 mars 2016

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Bernard-Henri Lévy : « Docteur islamophobe et mister judéophobe »

Dans L’esprit du judaïsme Bernard-Henri Lévy multiplie les erreurs et expose un judaïsme fait de clichés antisémites. Cherchant à estomper les liens entre élites mais aussi histoire françaises et judéophobie afin d’en faire porter la responsabilité sur les humbles, les antisionistes, les Arabes et les musulmans, il apporte sa contribution au système que forme islamophobie et antisémitisme.

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Le prophète Bernard-Henri

Auteur narcissique, Bernard-Henri Lévy présente l’esprit du judaïsme … sans rien connaître du judaïsme qui l’intéresse au fond assez peu, ou plutôt qui ne l’intéresse que dans la mesure où il lui permet de parler de lui. Qu’on en juge par son prologue où le pronom personnel « je » est répété plus d’une trentaine de fois en neuf pages. Mais, soyons indulgent à l’égard de cette petite manie d’auteur égotiste et poursuivons avec sérieux notre lecture. Dès les premières pages, Bernard-Henri Lévy explique les raisons de son engouement pour la Bible et pour les textes du judaïsme : « J’ai confié que, sans cette découverte émerveillée de la Torah puis du Talmud, je n’aurais peut-être pas continué à écrire »[1] … A ce stade, le lecteur novice ne peut encore se dire qu’il eut mieux valu pour l’histoire de la littérature et de la philosophie qu’il ait découvert d’autres lectures afin de nous épargner son écriture. « (…) j’ai compris que j’avais devant moi un livre que ni mes mains ni mes yeux n’avaient jamais approché, mais où mon nom, le plus intime de l’intime, trouvait, non le hasard d’une origine ou d’un métier, comme ces Smith  qui se rêvent forgerons, ou ces Müller qui qui se figurent meunier, mais la nécessité d’une articulation bien enchaînée, d’un sens divisé en versets, noms propres, gestes à accomplir, raisonnements à tenter ou réfuter – un livre de vie où une place m’était faite, oui, depuis mon nom »[2]. En quelques mots, le « philosophe » national résume une bonne part du contenu de son livre. Il est impensable pour lui de se figurer en forgeron ou en meunier, tâches viles, productives et matérielles qui siéent si peu à celui dont le nom le ramène à une lignée prophétique. Déjà pointe le mépris de Lévy à l’encontre de ceux qui ont un « métier », bref de ceux qui travaillent. Car dans la mythologie de BHL, il coule en ses veines un sang biblique et aristocratique … qui n’a rien de commun avec celui d’un meunier ou d’un forgeron … Lévy, lui, se rêve en prophète de la tribu dont le récit est rapporté par le Lévitique. Presque tout le livre du « nouveau philosophe », de moins en moins nouveau et si peu philosophe, tient dans ce passage. Nous voici avertis : le livre ne traitera pas du judaïsme mais de la mythologie que Bernard-Henri Lévy s’est construite de manière mégalomaniaque autour du judaïsme. Le livre exprimera donc en réalité le mépris hautain de Bernard-Henri Lévy qui se prend pour un penseur juif alors qu’il n’est qu’un conformiste bourgeois parisien. Lévy est passionné par lui-même, par son nom, par son rang, par son allure, par son esprit plus que par celui du judaïsme … Car son nom est dans la Bible et c’est pour cette seule raison que le Livre le passionne tant il est vrai qu’un livre qui ne parlerait pas de Lévy n’offrirait aucun intérêt. Plus loin, dans une auto-mise-en-scène dont il a le secret, il rappellera d’une manière involontairement comique ce qu’il prend pour une ascendance tribale, lors d’un séjour en Libye : « Mes rencontres avec des chefs de tribu, de la Montagne verte et d’ailleurs, que j’ouvrais systématiquement en disant que j’étais, moi aussi, le descendant d’une très ancienne tribu – et les vénérables opinaient … »[3]. Le prophète Bernard-Henri faisant la leçon à des Arabes qui opinent du chef, c’est là un autre fantasme récurrent - colonial cette fois-ci - qui traverse le livre mais aussi la vie de BHL. Et il a raison, il est le descendant d’une très ancienne tribu, mais pas de celle des prophètes du Lévitique, plutôt celle des imposteurs stupides et arrogants. Faute d’être de la tribu de Moïse, il est de celle de Bouvard et de Pécuchet. En historien sérieux et rationnel, on pourra objecter au « philosophe » égomaniaque que dans l’Afrique du Nord antique, Lévy était un nom tribal donné au cours de conversions collectives au judaïsme à certaines tribus berbères et n’est donc que mythologiquement un héritage des Hébreux. Mais, poursuivons le fil narratif tissé par notre « philosophe » et constatons avec lui que la tribu des Lévi est décidément très composite et qu’elle comporte dans ses rangs des grands comme de tout petits hommes. Parmi les grands, il y eut Primo Levi, écrivain universaliste, survivant d’Auschwitz et auteur du prodigieux Si c’est un homme. Et il y en eut de petits, tel Moïse Lévy, parlementaire français de la Gauche Démocratique qui, en 1938, fut l’auteur d’une proposition de loi destinée à restreindre les droits des « naturalisés de fraîche date » parmi lesquels la plupart étaient des juifs polonais et allemands fuyant leurs pays et les persécutions nazies. Ce même Moïse Lévy vota les pleins pouvoirs au maréchal Pétain en 1940. Dans quelle catégorie se situe donc Bernard-Henri ?

Un esprit du judaïsme construit sur des clichés racistes

Bernard-Henri Lévy est un patriote dont le patriotisme fonctionne – processus classique que ne renierait pas Jean-Marie Lepen – par emboitement successif. Avec un profond sens de la hiérarchie, il se veut le meilleur des Lévy. C’est ainsi que, se prenant pour le Solal de Belle du Seigneur d’Albert Cohen, il écrit : « (…) mes petits oncles Maklouf, Messaoud et Hyamine, ces « Valeureux » qui, à la fin de leur vie, m’envoyaient des lettres, dictées à un voisins, sauf l’enveloppe où ils s’obstinaient à écrire, d’une écriture d’enfant, « Monsieur Lévy, France » »[4]. C’est un des rares passages du livre où Lévy évoque une origine familiale « orientale », mais pour Lévy, l’oriental doit être « petit », « humble », illettré, enfantin et obséquieux à l’égard du « Monsieur Lévy » qui, lui, incarne la France. Toujours, selon la même règle des emboitements, les Lévy sont les meilleurs des juifs, leur nom figure dans la Torah. Les juifs sont les meilleurs des Français, le talmudiste Rachi de Troyes est un inspirateur de la langue française. Les Français, héritiers des Lumières, sont les meilleurs des « occidentaux ». Les « occidentaux », engagés contre les barbares musulmans, sont les meilleurs du monde … Risible jeu de poupées russes qui fait de la phrase de William Johnson que Stanley Kubrick fait dire à Kirk Douglas dans Les Sentiers de la gloire[5] un costume sur mesure pour notre « philosophe » : « Le patriotisme est le dernier refuge pour une crapule ». Son patriotisme est d’autant plus ridicule qu’au fond, Bernard-Henri Lévy n’est pas très juif. Il est bien davantage parisien. On pourrait aisément dire qu’être historiquement juif, cela signifie ressentir de manière plus ou moins nette ce que c’est que d’être une minorité opprimée. En ce sens, cela devrait aujourd’hui conduire à une solidarité et à une fraternité avec les musulmans. Or, Lévy est bien éloigné de tout ça, c’en est même l’antithèse, c’est un héritier mégalomane, bête et méchant. En se contemplant dans ses livres, il contemple sa classe de grand bourgeois et méprise les humbles. Lui-même l’exprime d’ailleurs étrangement : « (…) l’idée même d’un privilège, d’une dignité plus grande, l’idée même d’une sacralité particulière s’attachant au simple fait d’être juif, de mère ou de nom, est parfaitement étrangère au génie profond du judaïsme »[6]. Evidemment, cet axiome idéaliste et essentialiste est stupide, mais si Bernard-Henri Lévy y croit, alors il devrait en bonne logique en conclure qu’il n’est ni génial, ni profond … ni juif.Mais au fond, qui est juif pour Bernard-Henri Lévy ? Nulle part, il n’est fait mention de pratiques religieuses, de cultes, de dogmes, de structures sociales ou familiales. Autant d’éléments importants si l’on veut exposer un « esprit du judaïsme ». Mais non, les juifs réels n’existent pas dans ce livre. Seul subsiste un « esprit » déconnecté du corps social et que seul Bernard-Henri Lévy sait interpréter, et pour cause : il est de rang prophétique. Restent néanmoins les clichés et, en l’occurrence, les clichés racistes. Lévy écrit : « L’assimilation des Juifs à l’argent et la diabolisation pavlovienne qui s’ensuit ne sont pas, elles non plus, histoire complètement ancienne. »[7].  C’est juste. C’est même peut-être l’une des rares phrases justes du livre.  C’est juste et, pourtant, c’est précisément ce que fait Lévy en permanence. Le juif par excellence pour BHL est un notable, un « choter ». Pour lui, la « figure du juif » est celle du choter que défend Moïse en tuant l’Egyptien, ainsi que le rapporte la Torah : « Un choter, c’est une sorte d’huissier, peut-être de policier, en tout cas un notable »[8]. La figure du juif pour Bernard-Henri Lévy, c’est celle du notable garant de l’ordre, voire du policier. Les raflés du Vel d’hiv de l’été 1942 auraient sans doute été ravis de savoir que leur « figure » était celle du policier, identique à celle des agents français venus les arrêter. Quant à l’Egyptien tué par Moïse, quelle est sa « figure » si ce n’est celle de l’« oriental » qu’il faut éliminer ? Tout comme l’Arabe anonyme sur lequel tire Meursault dans L’Etranger de Camus. Le texte de Bernard-Henri Lévy n’est pas que risible, il est aussi infect.Tout aussi infecte fut sa défense de Dominique Strauss-Khan dans La Règle du Jeu où le philosophe de pacotille n’hésite pas à faire le parallèle entre l’affaire DSK et l’affaire Dreyfus[9]. Pourtant il est faux de considérer que BHL voit de l’antisémitisme partout. BHL ne voit de l’antisémitisme que lorsqu’il s’agit de défendre le pouvoir et les puissants, qu’ils soient juifs, supposés juifs, ou pas juifs du tout … ça n’a aucune importance. L’hostilité à l’encontre d’Emmanuel Macron est-elle due à ses projets de destruction du code du travail ? Non, trop facile. Elle est plutôt à mettre sur le compte de son passage « par une banque dont le nom patronymique était (…) l’une des cibles de la France juive (de l’auteur antisémite Edouard Drumont) »[10]. L’affaire dite du sang contaminé est-elle due à une défaillance des services de l’Etat en matière de santé publique ? Non, pas davantage. Elle est une « obscure affaire (…) où il est difficile de ne pas voir la resucée des accusations de crime rituel qui furent l’un des grands classiques de l’antisémitisme traditionnel »[11]. Autrement dit, BHL ne cesse de faire lui-même l’association entre juifs, pouvoir des élites et argent. Le soi-disant combat qu’il mène contre l’antisémitisme est en réalité un combat en défense d’une classe qui n’a à voir avec le judaïsme que dans l’esprit des antisémites et dans celui de Bernard-Henri Lévy. En témoigne une phrase étrange : « Je me dis que les nations ne pardonneront jamais à ces Juifs, à ces jaunes, à ces briseurs de grève anti-Dieu (…) »[12]. A l’instar des antisémites Bernard-Henri Lévy, qui associe mécaniquement juifs et pouvoir, associe ici juifs et briseurs de grèves, juifs et alliés du patronat-Dieu. Il pense en grand patron. Si les juifs jouent le rôle des « jaunes » et des briseurs de grève, alors un gréviste est quelque part un antisémite … Le juif est du côté du Capital. Bernard-Henri Lévy s’approprie parfaitement le discours des socialistes antisémites du XIXème siècle. Son judaïsme est un écran de fumée idéologique où il emploie les mêmes ressorts que ceux des antisémites. Fasciné par la force et par la violence martiale, il se souvient - ou reconstruit le souvenir - qu’on l’exhortait « enfant frêle et rêveur » (sic) à pratiquer les sports de combat, et il rappelle qu’il se rendit au consulat d’Israël afin de se porter volontaire pendant la guerre des Six jours … Mais on croit comprendre par la suite qu’il ne fut pas retenu. L’armée israélienne n’est pas une armée d’amateurs. Il partage cette fascination pour la force autoritaire avec son ami Claude Lanzman auquel il fait référence à propos de son film Tsahal, vibrant hommage à l’armée israélienne et à l’ordre par les armes.

L’« immense » Louis-Ferdinand Céline et le « talentueux » Bagatelle pour un massacre

Le combat de Bernard-Henri Lévy contre l’antisémitisme est sélectif. Tout dépend par qui il est porté. Notre homme aime la culture et la littérature, ce qui l’autorise à de bien curieuses bienveillances. Il est tout prêt à se faire indulgent avec les antisémites des belles lettres françaises, mais assimile sans ambages antisionistes et nazis et fait des pays arabes engagés dans la guerre de 1967 (déclenchée par l’Etat israélien) des continuateurs du génocide hitlériens[13]. Les antisémites estimés talentueux sont ainsi préservés, ils sont en somme patrimoniaux et labellisés : « L’antisémitisme des années trente était porté par de vraies voix. Il pouvait compter sur des hérauts qui étaient des premiers rôles de la littérature et de la pensée »[14]… Qu’il était beau le temps des années trente où l’on pouvait être antisémite avec style … Il y a décidément quelque chose de pourri au royaume de la nostalgie de BHL. L’appartenance à une élite littéraire équivaut pour lui à une licence qui donne droit à être respectable. Une licence délivrée par lui-même et qui permet tout pourvu que vous apparteniez à un monde, ou plutôt à une mondanité, à laquelle il s’identifie. Parmi ces « hérauts » qu’il admire avec quelques réserves formelles se trouve bien entendu l’« immense Louis-Ferdinand Céline »[15]. Si un écrivain, fût-il un antisémite notoire et brutal, est enseigné sur les bancs des classes préparatoires et sur ceux de l’Ecole Normale Supérieure, il a droit à toutes les clémences. Il fait partie des pairs de BHL qui, dès lors, excuse. En revanche, si vous êtes opposés à la politique colonisatrice de l’Etat israélien, toute la bienveillance dont Bernard-Henri Lévy fait preuve à l’égard d’un Céline, d’un Drieu-La Rochelle ou d’un Bernanos disparait. Vous êtes dans le camp du « nouvel antisémitisme ». Mais jetons un instant un œil sur l’un des pamphlets de Céline que le « philosophe » qualifie d’« abjects mais encore talentueux »[16] de Céline : Bagatelle pour un massacre, publié en 1937.Céline, homme mesquin et méchant, à la plume surestimée, effrayé par tout ce qui l’entoure et obsédé par le bolchévisme écrit à propos de la mort de la famille tsariste Romanov, qu’il attribue aux juifs : « Un très mauvais impair de dégueulasses sales Juifs … Ça ne me faisait pas plaisir du tout de voir comme ça les assassins en train de faire des plaisanteries … dans la crèche de leurs victimes (…) » Puis, plus loin « Révolution ? … Bien sûr ! … Certes ! Pourquoi pas ? … Mais mauvais goût, c’est mauvais goût … Le mauvais goût du Juif, la bride sur le cou, c’est le massacre du blanc, sa torture. C’est la torture du blanc et le profond instinct du Juif, le profond instinct du nègre. Toutes les saturnales révolutionnaires d’abord puent le nègre, à plein bouc, le Juif et l’Asiate. »[17]Voilà donc ce qui est si talentueux pour Bernard-Henri Lévy, un contenu si répugnant et un style si pauvre. A l’époque, Céline plaçait les juifs dans le camp des nègres, contre les blancs. Bernard-Henri Lévy inverse les choses et place les juifs dans le camp des blancs, contre les nègres et les Arabes. Mais au-delà de cette inversion formelle, Céline et Bernard-Henri Lévy partagent la même vision raciste du monde.La manière dont il dresse juifs et noirs les uns contre les autres aux Etats-Unis est significative. Il y pointe une ingratitude des noirs à l’égard des juifs dans une construction historique farfelue.

Une « nouvelle alliance » contre les Arabes et les musulmans

Qu’attend donc Bernard-Henri Lévy ? Il le dit clairement : il appelle de ses vœux une « nouvelle alliance » avec les chrétiens[18]. Il appelle à cesser de rappeler que c’est au cœur de la chrétienté européenne que la judéophobie a été la plus violente et la plus sanguinaire. Oublions tout cela et faisons alliance … Oui mais contre qui ? Dans le monde fantasmagorique du cuistre « philosophe », il s’agit de faire alliance contre les Arabes, les noirs, les musulmans et tous ceux qui aurait l’outrecuidance de s’opposer aux politiques interventionnistes des Etats occidentaux ou à la politique colonisatrice israélienne. Tous ceux-là sont irrémédiablement rangés dans le camp des antisémites et des révisionnistes. Et pour le grand inquisiteur, ce jugement est sans appel. De la même manière que le judaïsme n’intéresse Bernard-Henri Lévy que dans la mesure où il lui permet de parler de lui, l’antisémitisme ne l’intéresse que dans la mesure où il lui permet de voler au secours de la politique israélienne ou des politiques occidentales. Il énonce (de manière totalement arbitraire) des propositions afin d’identifier le nouvel antisémitisme. Elles sont au nombre de trois et reposent toutes sur trois amalgames[19]  : amalgame entre antisémitisme et antisionisme, amalgame entre négationnisme et critique de ce qu’il appelle le « Shoah business », amalgame entre mise en perspective historique et compétition mémorielle. Dans les trois cas, l’antisémitisme décrit par Bernard-Henri Lévy ne se définit qu’en fonction de l’Etat d’Israël. Il ne suffit pas de dire qu’il voit des antisémites partout. Il en voit partout où il n’y en a pas, et il n’en voit plus dès qu’il y en a. Les manifestants contre les bombardements israéliens sur Gaza de 2014 seraient ainsi des « antisémites qui sont là pour casser du Juif ». En revanche, sur la place Maidan, BHL ne voit pas les drapeaux du parti d’extrême-droite – authentiquement antisémites - Svoboda qui flottent sous son nez. A propos de son séjour ukrainien, il déclara : « Je n’ai pas vu de néonazis, je n’ai pas entendu d’antisémites. »[20]. Car seul le prophète Bernard-Henri proclame qui est antisémite et qui ne l’est pas. Si le cœur du livre n’est pas le judaïsme, en revanche les musulmans sont dans sa ligne de mire. Dans sa pensée étroite, tout comme antisémitisme et antisionisme, c’est la même chose, islam terroriste et islam en général, c’est tout de même très proche, on va pas chipoter … Ils sont « presque homonymes » écrit-il avec un étrange sens du vocabulaire ... « Qu’il y ait, d’une manière générale, un lien, forcément un lien (et que ce lien doive être dénoué, voire tranché, sans tarder) entre cet islam terroriste, jihadiste, radical et l’islam en général, il est difficile de le nier »[21]. Manifestement, il est encore plus difficile de le démontrer et d’ailleurs, l’auteur ne prendra pas cette peine. Il préfère les abstractions confuses à l’analyse de la réalité, évoque des « signifiants », des « agencements de signifiants », de « montage de noms », bref tout un galimatias superficiel qui enfume le lecteur et masque l’essentiel, à savoir sa profonde islamophobie. C’est d’ailleurs une vraie phobie, probablement du ressort de la psychanalyse, voire de la psychiatrie. Le soudain spécialiste ès-religion divise l’islam en deux catégories : « Entre les deux islams enfin, entre l’islam des égorgeurs et cet islam des Lumières qui date au moins d’Averroès (…), entre les affidés de la nouvelle secte des assassins et les émules, pêle-mêle, d’Izetbegovic et de Massoud, de Sheikh Mujipur Rahman, le père de la nation bengladeshie et de Mustapha Barzani (…) »[22]. Des assassins et des égorgeurs … l’engeance musulmane selon BHL, à savoir un groupe monolithique, immuable et sanguinaire allant de la secte des Assassins jusqu’à Daesh. Car pour Lévy, les meurtriers de l’histoire sont le plus souvent arabes ou musulmans. Mais il y aussi un « islam des Lumières », l’islam d’Izetbegovitch … L’islam d’une élite pro-européenne ou pro-occidental. C’est l’islam qui fait allégeance et respecte la force. Car en bon soldat colonial, Bernard-Henri Lévy sait que l’indigène oriental fanatique ne respecte que la force. C’est ce qui imprègne ses appels aux interventions militaires, comme c’est ce qui imprègne son évocation de sa rencontre avec des émirs radicaux libyens. Notre Tartarin philosophe bombe le torse lorsqu’il se souvient alors de la forte impression (dont il est le seul à témoigner) qu’il fit à ses interlocuteurs : « Ces hommes savaient à qui ils avaient affaire – et au-delà. »[23]. Le reste, tout le reste, c’est l’islam des égorgeurs … BHL a peut-être lu Averroès, mais il n’y a vraisemblablement pas compris grand-chose. Une autre thématique est au cœur du livre : le problème de la démocratie. N’oubliez pas, l’ouvrage est un fourre-tout. Quel est le problème des démocraties ? Un taux de chômage élevé ? Des politiques monétaires hasardeuses ? La crise économique ? Une montée des organisations d’extrême-droite, du militarisme ? … Eh bien non : le « casse-tête » des démocraties, c’est « celui de l’impureté, non plus de leurs origines, mais du mélange qui les constitue »[24]. Bernard-Henri Lévy - qui quelques lignes plus loin qualifie les Roms immigrés en France de « voleurs de poules » - en vient à s’interroger sur la « pureté » ou l’« impureté » ethniques des sociétés dans les démocraties … Quel lamentable intellectuel … Toutefois, il existe, selon lui, un contre-exemple au « casse-tête » des démocraties. Il s’agit de l’Etat israélien : « (…) je sais que cette société (israélienne) est ainsi faite que la minorité en question (les Arabes israéliens) jouissent, à l’exception du service militaire obligatoire, de l’entièreté des droits civiques reconnus à tous les citoyens »[25]. Le fait que le droit du sang prime en Israël sur le droit du sol, que la religion soit mentionnée sur des papiers d’identité, que les mariages mixtes soient impossibles sur le territoire israélien, que la politique d’aménagement du territoire favorise ouvertement des candidats juifs à l’accès à la propriété immobilière et foncière au détriment de candidats arabes, que les crédits d’équipement soient largement inférieurs dans les municipalités arabes, que le système politique israélien exclut de la compétition électorale toute formation dont le programme met en cause le caractère juif de l’Etat d’Israël, c’est à dire qui conteste que l’Etat d’Israël est « l’Etat des Juifs »[26], tout cela, Bernard-Henri Lévy ne veut pas le voir ou plutôt, comme il le répète souvent, « n’y croit pas ». Or ce en quoi le prophète Bernard-Henri ne croit pas n’existe pas. Sa parole construit l’existence des choses … A titre d’exemple, Bernard-Henri Lévy fait référence aux Arabes israéliens et à l’arrêt Qa’adan de mars 2000 :  « (…) quand une famille arabe de Baqa al-Gharbiyye décide de s’établir dans une de ces fameuses « colonies » de Galilée que l’on voulait réserver aux seuls Juifs, elle voit la Cour suprême lui donner raison par quatre voix contre une, au motif (arrêt Qa’adan de mars 2000) que « l’égalité est une des valeurs fondamentales de l’Etat », que « chaque autorité doit y traiter également les individus dans l’Etat » et que « Juifs et non-Juifs sont des citoyens avec des droits et des devoirs égaux dans l’Etat d’Israël » »[27]. Observons à nouveau le sérieux du travail de Bernard-Henri Lévy qui prend soin de ne pas dire que l’arrêt de la Cour Suprême israélienne n’a jamais été suivi d’effet. Il ne précise pas davantage que depuis 2011, une loi autorise les collectivités rurales à majorité juive à rejeter les demandes de résidence présentées par des citoyens arabes palestiniens d’Israël.

Le révisionnisme de BHL ou comment faire des Arabes les responsables du génocide juif

 Le rapport de Bernard-Henri Lévy aux sources et aux citations est très particulier. Il construit des raisonnements alambiqués sans démonstrations, sans preuves, sans sources, sans bibliographie, en posture d’autorité unique. Il tronque et coupe des citations non référencées. Il retranscrit d’hypothétiques conversations privées avec Albert Cohen ou Romain Gary[28], citant scrupuleusement leurs propos mot à mot, entre guillemets, avec une exactitude suspecte, leurs dialogues ayant plus de quarante ans et on doit le croire sur parole. Il n’est pas anodin de voir BHL nommer La France juive l’un des sous-chapitres de son livre. En empruntant ce titre au célèbre best-seller antisémite d’Edouard Drumont paru chez Flammarion en 1886, il s’en approprie l’esprit autant que la méthodologie.Comme Drumont, il a la manie des typologies et, dans un style hautain et médiocre, construit des mythologies historiques, toujours sans preuves et sans sources, en mondain superficiel.Ilfait naître la France avec Clovis, retraçant un roman national à la Lavisse sans rapport avec le réel. Car on ne peut évidemment pas parler de France au Vème siècle. Quant au baptême du roi mérovingien, on ne sait ni où, ni quand, ni s’il eut vraiment lieu[29]. Mais pour BHL, le récit tient toujours lieu d’histoire. Pour lui, l’un des personnages centraux de la construction nationale française est le talmudiste Rachi de Troyes, né en 1040. « L’un des plus grands génies de l’histoire de France » et le premier à user d’une langue française qui … n’existait pas au XIème. Au mieux aurait-on pu dire que Rachi employait un dialecte champenois. Il ne s’agit pas de minimiser les textes de Rachi, mais en faire un des principaux propagateurs de la langue française est une thèse plus qu’hasardeuse.  En outre, Rachi ne fut pas un philosophe original, de la stature de Spinoza ou du Maïmonide, il fut un exégète des textes bibliques et du Talmud qui, tout en critiquant la théologie chrétienne, employait les mêmes méthodes répétitives et scolastiques. Il ne pouvait être le porteur d’une « culture française » qui n’existait pas encore à une époque où la notion de culture nationale n’existait pas davantage. Il était au moins aussi « germanique » que « français » et tenait ses connaissances talmudiques de sa fréquentation des écoles de Rhénanie. Sa langue n’était pas le français. Le plus ancien texte que nous ayons conservé de lui est une édition imprimée tardive datant de 1475, écrite en caractères cursifs séfarades. Mais Rachi employait sans doute dans ses manuscrits – en germanique qu’il était - les caractères cursifs ashkénazes et s’exprimait en yiddish occidental. Il n’a probablement jamais employé l’« écriture Rachi » qu’on lui prête et ce sont plus vraisemblablement ses filles qui inventèrent le « style Rachi séfarade ». Tout aussi hasardeuses sont les évocations des hypothétiques judéités de Chrétien de Troyes ou de Jean Bodin. Admettons qu’ils aient eu des origines juives ou qu’ils furent des convertis. Ce qui reste une supposition et non une probabilité. Il n’empêche que pour atteindre la place à laquelle ils sont parvenus, ils ont dû abandonner leur judéité. Ce qui relativise la portée de l’influence du judaïsme dans l’« invention de la France » et confirme la coercition à l’encontre des juifs. « J’observe sa situation (celle de Rachi) », ajoute Lévy, « dans ce monde féodal où il n’est pas exceptionnel de voir un Juif accéder à la seigneurie (…) »[30] Quel juif du XIème siècle - ou des siècles suivants - est-il jamais parvenu à la tête d’une seigneurie ? Rachi fut un homme du XIème siècle, époque des premières croisades, c’est-à-dire au moment où, loin de pouvoir accéder à des seigneuries, les juifs d’Europe furent confrontés aux violences chrétiennes les plus brutales du Moyen-Âge. « Dans ce monde féodal » les juifs étaient clairement projetés en dehors des frontières de l’organisation prémoderne européenne. Autant d’efforts et de tours de passe-passe intellectuels visent à construire le mythe d’une France judéo-chrétienne qui fait échos à la « nouvelle alliance » avec les chrétiens évoquée précédemment. L’idée est saugrenue, certes, mais elle ne prête pas à rire. Car Lévy falsifie l’histoire. Cette nouvelle alliance tend à enterrer l’histoire des persécutions à l’encontre des juifs dans le monde chrétien européen. D’ailleurs, il n’en parle quasiment jamais. Pour lui, les persécutions à l’encontre des juifs ne sont, ne peuvent être le fait que des Arabes. La fascination pour la force et le pouvoir, le mépris pour les humbles traversent chaque ligne du livre. Le peuple est forcément antisémite, les riches, les puissants et les représentants de la « haute-culture » sont forcément des alliés. On comprend décidément l’amitié qui le lie à Claude Lanzman avec qui il partage ce trait de caractère. Comme Lanzman, il veut nettoyer l’histoire de France et de l’Europe de sa responsabilité dans l’antisémitisme génocidaire et faire porter cette responsabilité sur les Arabes et sur les musulmans. L’analyse du film Shoah par l’historien Shlomo Sand s’applique aussi à l’entreprise de BHL : « Il était d’autant plus facile à l’intelligentsia française de révérer le travail de Lanzman que le film non seulement écartait délibérément tout lien entre la France et l’extermination des juifs, mais aussi parce qu’il posait une coupure totale entre le monde de la haute culture et la « solution finale » »[31]. La tâche qu’il s’assigne est celle de redéfinir une histoire occidentale sur la base d’une mythologie : celle de la civilisation « judéo-chrétienne » née d’une « nouvelle alliance » dont on peut supposer qu’il est lui-même le prophète. Il s’agit de disculper l’Europe chrétienne des persécutions à l’encontre des juifs tout en accablant le monde arabo-musulman. C’est l’ « Orient » tout entier qui provoque chez Lévy une aversion altière. Comment comprendre ce bref passage au sujet des communautés juives de Kaifeng en Chine ? : « D’autres (juifs) qui, dans les shtetls déshérités de Galicie comme dans les ghettos perdus de Kaifeng où ils avaient été jetés là, depuis le temps du roi Salomon, coupés de tout savoir, de toute mémoire (…) »[32]. Remettons les choses au point, cela permettra de rendre compte à nouveau du sérieux de son travail en matière historique : Il n’y a pas eu à Kaifeng de ghetto où les juifs auraient été « jetés là » comme ils ont pu l’être à Venise ou à Varsovie. Et encore moins « depuis le temps du roi Salomon » car le judaïsme s’est implanté dans cette région de Chine vers le IXème siècle et la première synagogue y a été construite autour de 1170. Ce judaïsme n’est pas venu par l’intermédiaire d’une tribu dispersée après la destruction du temple de Salomon, mais de Perse via la route de la soie. Enfin, loin d’être « coupés de tout savoir » - Coupés de quoi et d’où d’ailleurs ? - ces communautés ont construit un judaïsme original intégrant des principes du confucianisme. Cela, BHL ne peut le voir, aveuglé tant par son mépris à l’égard de tout ce qui n’est pas européen que par sa vision essentialiste du judaïsme.

Il y a plus grave. Bernard-Henri Lévy écrit : « Je n’ai jamais cru à la fable d’un monde arabe qui, à l’inverse de la méchante Europe réputée seule responsable de la Shoah, aurait fait régner une fraternité millénaire entre les fils ennemis d’Abraham, et je n’ai aucune raison d’y croire dans ce pays plus que dans un autre. »[33]. Peu importe ce qu’il croit, arrêtons-nous sur ce qui est : où donc s’est déroulé le massacre de masse des juifs ? Est-ce dans le monde arabe ? Non. Ce fut en Europe. Dans l’Europe du si « talentueux » Céline et du si « essentiel » Heidegger, cette Europe dont BHL veut si farouchement prendre la défense contre un monde arabe et musulman qu’il méprise tant qu’il est ici pris en flagrant délit de révisionnisme.

Julien COHEN-LACASSAGNE

Post-Scriptum :

J’ajoute à mon patronyme courant celui – Cohen - de ma mère, pour deux principales raisons. La première est celle de faire la démonstration de la nullité de la méthodologie de Bernard-Henri Lévy. Je vais utiliser ainsi le même procédé intellectuel narcissique que lui afin de lui infliger une défaite finale. Car si je m’en tiens à son raisonnement, je dois dire que, moi aussi, je suis le descendant d’une très ancienne tribu. Il doit alors admettre avec moi que, dans la tradition hébraïque, les Cohen (ou plutôt les Cohanim au pluriel) assuraient les services du culte les plus élevés du Temple et étaient de rang supérieur à celui des Lévi. J’entends donc que Bernard-Henri opine à mes paroles comme les vénérables libyens de la Montagne Verte opinaient aux siennes … La deuxième raison est celle de saluer l’éducation que me donna ma mère qui m’a appris à détester le conformisme des préjugés et à me situer du côté de ceux qui sont injustement discriminés et non en soutien systématique au pouvoir. Spéciale dédicace à BHL …


[1] Bernard Henri-Lévy, L’esprit du judaïsme, Grasset, 2016, p. 10

[2] Bernard Henri-Lévy, op. cit. p. 11

[3] Bernard Henri-Lévy, op. cit. p. 332

[4] Bernard Henri-Lévy, op. cit. p. 68

[5]Les Sentiers de la gloire (Paths of glory), Stanley Kubrick, 1957

[6] Bernard Henri-Lévy, op. cit. p. 251

[7] Bernard Henri-Lévy, op. cit. p. 28

[8] Bernard Henri-Lévy, op. cit. p. 61

[9] Bernard-Henri Lévy, Les leçons de l’affaire DSK, La Règle du Jeu, 3 juillet 2011.

[10] Bernard Henri-Lévy, op. cit. p. 29-30

[11] Bernard Henri-Lévy, op. cit. p. 65

[12] Bernard Henri-Lévy, op. cit. p. 58

[13]« (…) cette guerre juste d’Israël contre une coalition d’Etats ligués pour apporter la dernière touche au génocide inachevé des nazis », Bernard-Henri Lévy, op. cit. p. 124

[14] Bernard Henri-Lévy, op. cit. p. 105

[15] Bernard Henri-Lévy, op. cit. p. 105

[16] Bernard Henri-Lévy, op. cit. p. 106

[17] Louis-Ferdinand Céline, Bagatelle pour un massacre, Denoël, 1937

[18]« Avec les chrétiens, la nouvelle alliance », Bernard Henri-Lévy, op. cit. p. 112

[19] Bernard Henri-Lévy, op. cit. pp. 31-37

[20] 9 février 2014, interview sur Euronews

[21] Bernard-Henri Lévy, op. cit. p. 46

[22] Bernard-Henri Lévy, op. cit. p. 47

[23] Bernard-Henri Lévy, op. cit. p. 332

[24] Bernard-Henri Lévy, op. cit. p. 92

[25] Bernard-Henri Lévy, op. cit. p. 94

[26] Article 5 de la loi sur les partis politiques et article 7 de la Loi fondamentale sur la Knesset.

[27] Bernard-Henri Lévy, op. cit. p. 94-95

[28] Un Romain Gary auquel il fait dire qu’il s’inquiète de voir Jean Seberg sur le point d’épouser un « Arabe mytho et dealer » (Bernard-Henri Lévy, op. cit. p. 62), deux qualificatifs pourtant peu voire pas du tout employés dans les années 70, mais qui permet à BHL d’exprimer son arabophobie par auteur interposé.

[29] Voir sur ce sujet le livre remarquable de Jean-Paul Demoule, On a retrouvé l’histoire de France. Comment l’archéologie raconte le passé, Robert Laffont, 2012

[30] Bernard-Henri Lévy, op. cit.p. 147

[31] Shlomo Sand, Le XXème siècle à l’écran, Seuil 2004, p. 331

[32] Bernard-Henri Lévy, op. cit. p. 262

[33] Bernard-Henri Lévy, op. cit. p. 312

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