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Billet de blog 20 décembre 2015

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L’obsolescence programmée du Parti Socialiste

C’est un sous-produit idéologique propre au capitalisme que d’appliquer sur les personnes et les collectivités des logiques propres à la production standardisée de biens et de services. Le champ politique n’est pas épargné et si l’expression n’est qu’une métaphore car l’histoire n’est jamais linéaire, on peut percevoir combien le Parti Socialiste fait l’expérience de l’obsolescence programmée.

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« There is no alternative » : au début des années 80, Margaret Thatcher avait fait de cette phrase un slogan qui perdura durant tout son mandat. La recomposition en cours des lignes politiques françaises depuis les élections régionales donne tout son sens à l’expression. Il s’agirait de faire enfin le deuil du clivage droite-gauche au profit … de la droite. Et pour cela, il n’est qu’un moyen, celui de faire exploser le cadre des organisations historiques de la gauche, aussi dénaturées fussent-elles devenues. Après le moribond Parti Communiste, c’est au Parti Socialiste d’en faire les frais. La première étape fut de se charger du Parti Communiste Français. Né en 1920 au Congrès de Tours sur la base de l’adhésion à la troisième Internationale, premier parti de France à la Libération, il a fini par entamer un lent déclin. Sa doctrine s’est vue décrédibilisée par les régimes et les dirigeants qui s’en réclamaient et l’implosion de l’URSS lui fut fatale. Les tentatives réalisées pour donner un nouveau souffle au communisme se sont révélées jusqu’à présent peu concluantes, alors même qu’on aurait pu espérer construire une perspective marxiste nouvelle enfin débarrassée de ses casseroles staliniennes et bureaucratiques. Mais après tout, l’histoire est longue.

Reste le Parti Socialiste. Né SFIO en 1905, sa fonction politique non exclusive s’est toutefois vite ramenée à celle d’huiler les rouages d’une domination capitaliste sur la défensive. Certes, le Parti Communiste a parfois lui aussi pris cette charge sous sa responsabilité, mais auprès de couches sociales différentes, en se couvrant d’une apparence plus radicale et à des périodes différentes. Terni par l’expérience du molletisme, le socialisme français renaquit en 1969 sous le nom de Parti Socialiste et en même temps qu’il s’imposait dans la vie politique, ses dirigeants l’enferraient dans une logique d’appareil. La vague de mai 68 et de ses vies ultérieures (voir Kristin Ross, Mai 68 et ses vies ultérieures, Ed. Complexe 2005), portée par une jeunesse politisée et exigeant des transformations profondes lui imposa l’adoption d’une conduite idéologique plus ferme tenant compte des aspirations populaires. C’est là que va s’affirmer le rôle de François Mitterrand, en particulier au cours du Congrès d’Epinay de juin 1971. On est encore surpris par la teneur de l’intervention de François Mitterrand à la tribune du Congrès. Les socialistes aguerris s’en souviennent sans doute encore ne serait-ce qu’en raison du trouble provoqué par les accents révolutionnaires auprès de petits notables en costume trois pièces qui bien qu’émoustillés semblèrent tout étonnés de se voir applaudir à tout rompre à ce discours : « Celui qui n’accepte pas la rupture, la méthode ça passe ensuite, celui qui ne consent pas à la rupture avec l’ordre établi, politique, ça va de soi c’est secondaire, avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peut pas être adhérent au Parti Socialiste ». Bien entendu, le parcours sinueux de François Mitterrand permet de penser qu’il ne croyait pas un traître mot de ce qu’il racontait, c’est assez perceptible à travers ses petits apartés au fond rassurants envers ce que l’époque appelait encore la domination bourgeoise (une méthode qui « passe ensuite » … un ordre politique « secondaire » …). Mais il n’empêche, les mots sont lâchés comme une meute affamée et ils ont un sens. Prise au pied de la lettre, cette injonction imposerait aujourd’hui une purge sans précédent au sein du Parti.

L’étape suivante fut en 1972 celle du programme commun avec le Parti Communiste. Tout artificiel qu’il fût, ce tournant en inquiéta plus d’un qui craignaient un emballement difficile à maîtriser. Guy Mollet en faisait partie, en 1971 il avait déjà quitté la salle lorsque Mitterrand était venu saluer le Congrès (son « on a bien le droit d’aller pisser » est resté dans les mémoires). Malgré son entrée au Parti Socialiste en 1974, Michel Rocard demeura lui aussi réservé quant à la direction prise. Très tôt, trop tôt, il s’est opposé au programme commun, aux nationalisations à outrance et se montrait favorable à une économie de marché. Aussi sincères que furent ses divergences, elles apparaissaient sans doute comme stratégiquement prématurées pour François Mitterrand, partisan de la manœuvre devenue classique qui consiste à faire campagne à gauche et à gouverner à droite.

Après l’échec des élections présidentielles de 1974, les débats internes se prolongèrent au PS, marqués par la mise à l’écart du Ceres et par l’arrivée des Rocardiens. 1981 sonna bien entendu l’arrivée de l’alternance et suscita un réel élan d’espérance qui sera de courte durée. En 1984, la chaîne de télévision Antenne 2 diffusa le documentaire Vive la crise ! à la réalisation duquel participa le jeune journaliste Laurent Joffrin. Présentée par un Yves Montand quittant la route du Parti Communiste dont il avait été compagnon pour rejoindre la deux fois deux voies beaucoup plus confortable du libéralisme à la française, l’émission était une apologie sans nuance de l’économie capitaliste. L’année précédente, le gouvernement avait entamé son tournant de la rigueur, nouveau nom de l’austérité, le patron se faisait entrepreneur et Bernard Tapie devenait un chevalier des temps modernes, modèle de réussite pour des Français « privilégiés » invités à « se bouger » au lieu de se comporter comme des « assistés ». La défiance vis-à-vis du Parti Socialiste se vérifia en 1986 après l’échec des législatives. Pour autant, le cap fut peu modifié et, en 1988, François Mitterrand nommait Michel Rocard premier ministre. Au-delà des inimitiés personnelles, les rapports désastreux qu’ils entretenaient reflétaient sans doute les hésitations politiques entre dérives en direction de la droite et manœuvres tactiques en direction de la gauche. Le bateau socialiste tanguait jusqu’à l’écœurement de son équipage. En 1991, alors qu’Edith Cresson venait d’être nommée premier ministre, la période offrit la possibilité d’en finir avec le marxisme dont la chute était confondue avec celle de l’Union Soviétique et d’abandonner les analyses de type « lutte des classes ». La première femme nommée à Matignon s’embourba dans des maladresses pesantes et, au fond peu soutenue par son propre entourage politique, fut l’objet d’un déchaînement d’attaques souvent explicitement sexistes. Mais il était encore trop tôt pour envisager une transformation radicale du Parti Socialiste protégé par une vieille garde qui conservait des bastions.

En 1997, à l’issue d’une malhabile dissolution de l’Assemblée Nationale, Lionel Jospin arrivait à Matignon dans le cadre d’une cohabitation avec Jacques Chirac. La question du socialisme allait être soulevée au grand jour au moment de la campagne présidentielle de 2002. Le 21 février de cette année, le présentateur David Pujadas demanda au chef du gouvernement-candidat s’il se situait dans le courant d’une gauche « moderne », une « troisième voie » qu’incarneraient Gherard Schröder et Tonie Blair. Lionel Jospin, dont la presse avait révélé le secret de Polichinelle de sa jeunesse trotskiste, injecta immédiatement une solide dose de tranquillisant aux téléspectateurs : « Je suis socialiste d’inspiration, mais le projet que je propose au pays n’est pas un projet socialiste ». En repenti du marxisme, Lionel Jospin soulagea sa conscience en suggérant que c’en était fini de la lutte des classes et autres vieilleries, il fallait s’adapter à l’ordre établi – pour reprendre l’expression de François Mitterrand à Epinay – désormais baptisé du très technique terme de « mondialisation ». A défaut de socialisme, ce fut un second tour Chirac-Lepen qui advint trois mois plus tard. Le piège politique se referma avec force. Lionel Jospin se retira de la vie politique et le PS appela à voter Chirac, Dominique Strauss-Kahn fut le premier à le faire, suivi par tous les caciques de Solferino. L’occasion se présentait enfin de neutraliser le socialisme ou ne serait-ce que son apparence en érigeant Jacques Chirac en rempart contre l’extrême-droite. Ce choc brutal dont il faut faire l’examen froid fut un piège à double entrée. Il imposa une incohérence politique en appelant à voter pour la droite contre le Front National, mais en même temps cette même incohérence politique nourrit durablement le Front National qui fera son fonds de commerce de la dénonciation de l’establishment « UMPS ». En outre, cette séquence historique permit en fin de compte au Front National de rentrer dans l’establishment en endossant la fonction quasi-officielle de seule alternative envisageable … Puisque plus personne n’avait de projet socialiste.

En 2012, l’élection de François Hollande à la présidence de la République avait encore permis à ses électeurs d’utiliser le Parti Socialiste pour mettre en échec un Nicolas Sarkozy devenu homme le plus détesté de France. Elle permit aussi la fulgurante ascension de son clone politique, Manuel Valls, qui en adoptant un style quasi-identique (sa sortie contre les Roms de janvier 2013 semblait tout droit extraite du discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy en 2010) s’engagea dans le piétinement assumé du Parti Socialiste, avec le soutien de François Hollande. Sa nomination à Matignon fut un camouflet envers les militants qui avaient voté aux primaires de 2011 en n’accordant à sa motion que 5,63% des scores. En terme de liquidation du Parti Socialiste, Manuel Valls est allé à bonne école, cornaqué dans sa jeunesse par Michel Rocard, dont il fut l’attaché parlementaire, il peut réaliser ce qui fut sans doute le rêve de son mentor. Mais, à la différence de Michel Rocard, Valls arrive à point nommé. Rocard est arrivé trop tôt. La période actuelle fournit l’opportunité d’enfin creuser définitivement la tombe du socialisme. Le climat délétère et anxiogène consécutif aux attentats de novembre autorise un engagement sécuritaire et liberticide inédit depuis la guerre d’Algérie et les résultats des élections régionales permettent de faire exploser les lignes politiques. En appelant à voter pour les candidats LR au second tour, en imposant un retrait des listes PS que le bilan du gouvernement Hollande a largement discréditées et en retirant les investitures aux récalcitrants, Manuel Valls et Jean-Christophe Cambadélis à la direction du Parti Socialiste ont à nouveau poussé les électeurs dans un piège à double entrée sur lequel on peut voir inscrit : « There is no alternative ».

Depuis longtemps Manuel Valls envisage un changement de nom du Parti Socialiste et il y a fort à parier que ce n’est pas le terme « parti » qui le dérange le plus. Il s’agirait de mettre en place des coalitions composites de centre-gauche/centre-droit qui s’entendent sur l’essentiel : la destruction des statuts protégeant les salariés, l’allongement du temps de travail, une politique monétaire étouffante, la chasse aux immigrés, la mise au pas de la société au nom d’impératifs sécuritaires, on en passe et des pires. En finir avec le socialisme, ou de ce qu’il en reste, c’est priver les classes populaires de leurs racines et de leurs traditions politiques tout en interdisant aux classes intermédiaires, fragilisées en temps de crise, de s’en emparer. Reste encore la masse d’une population inquiète qui cherche une issue et qui croit, faute de mieux, la trouver en direction de l’extrême-droite. Car ce que montrent les résultats des dernières régionales c’est la recherche d’une alternative, quête qui précipite des électeurs dans la gueule béante du Front National. C’est d’ailleurs ce que Manuel Valls encourage ouvertement (plus les crises s’aggravent, plus les masques tombent, c’est une loi générale). A plusieurs reprises il l’a clairement exprimé comme en septembre 2014 à Bologne. Invité par Matteo Renzi à la fête de l’Unità, le premier ministre français avait déclaré : « Il n’y a pas d’alternative à gauche, la seule autre donne c’est le Front National. C’est ça et rien d’autre qui doit occuper l’esprit de tous les socialistes. ». Ou encore, au micro de BFM-TV :« A chacun de se dire : est-ce qu’il y a une politique alternative à ce que nous faisons ? Oui, il y en a, il y a ce que propose l’extrême-droite »

Pourtant, construire une alternative ambitieuse à gauche doit rester à l’ordre du jour. On ne peut pas se réjouir d’une disparition du Parti Socialiste qui sonnerait comme une défaite en clôturant le cycle historique ouvert par la fondation de la SFIO en 1905. Pour autant, il ne faudrait pas que ce bilan ne nous submerge de désespoir et on rappellera avec Antonio Gramsci qu’il faut pour affronter l’avenir garder à la fois le pessimisme de la raison et l’optimisme du cœur. Les bouleversements politiques en œuvre et qui placent la gauche en situation d’année zéro permettent de la refonder, de construire des alternatives efficaces et de nouvelles organisations combatives qui lui soient propres. Ce sera long, ce sera difficile mais à ceux qui pourraient perdre courage, qu’ils se souviennent du vers de Kipling : « Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie et sans dire un seul mot te mettre à reconstruire ».

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