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Billet de blog 27 novembre 2025

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Biopolitique de la psychanalyse : pourquoi tant de (R-)haine ?

Un projet d’amendement, pour l’instant remisé, visait non à interdire mais à asphyxier les psychothérapies d’orientation analytique. Qu’est-ce que certains experts reprochent à la psychanalyse ? Et qu’a-t-elle à nous dire, par ailleurs, sur le néo-fascisme ?

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La politologue Asma Mhalla imagine, dans un futur dystopique plus ou moins proche, des "neurocamps" de redressement cognitif pour réguler les troubles mentaux... ou faire taire les dissidences1. Relire Philip K. Dick pour comprendre l'avenir que Musk et Thiel nous préparent ? Interdire de fait certaines orientations psychothérapeutiques en France, ce n'est certes pas encore la mise au pas de l'Université et l'interdiction de pans entiers de recherches comme sous Trump, mais les libertés sont plus faciles à détruire qu'à reconstruire.

A vrai dire, la psychanalyse n’est pas, n’a jamais été, remboursée par la Sécurité Sociale. Ce qui était nouveau dans ce « ballon d’essai » qu’est le projet d’amendement centriste, c’est de dérembourser tout soin s’inspirant de la psychanalyse, ce qui reviendrait à sortir un certain nombre de professionnels (psychologues, psychiatres) de l’assurance-maladie, mais poserait aussi le problème du dépistage : il faudrait traquer les références à Freud ou à Lacan, inspecter les prises en charge, voire, comme c’est déjà le cas dans certaines bibliothèques universitaires, étiqueter certains ouvrages comme subversifs.

Mais pourquoi ce sujet déchaîne-t-il autant les passions ? Loin de n’être qu’une affaire d’experts ou un débat entre professionnels du soin, on voit bien qu’il se nourrit de polémique : comme pour le débat sur l’euthanasie, par exemple, les interventions (y compris, pour ce qui nous occupe, de la sénatrice à l’origine du projet d’amendement, Jocelyne Guidez) s’appuient très souvent sur une « histoire personnelle », des affects, sinon un règlement de comptes. Même la presse dite « de gauche » n‘y échappe pas : quand l’Obs consacrait, en août 2024, un dossier à Caroline Goldman, c’est une véritable démolition en règle, bien plus qu’un débat serein. Le degré d’énervement qui saisit chacun-e dès qu’on touche à ces questions (un peu comme au sujet de l’école) est un assez bon indicateur du caractère « biopolitique » de la chose.

On ne peut donc pas dire que la psychanalyse soit seulement un bouc émissaire de la droite, même si celle-ci manque rarement une occasion de la discréditer, comme au Sénat ; les choses sont bien plus compliquées. D’ailleurs, il ne manque pas d’esprits progressistes pour reprocher justement aux successeurs de Freud et Lacan leur « conservatisme ». Et il est vrai que certains tendent le bâton pour se faire battre, que ce soit naguère à propos du mariage pour tous, aujourd’hui avec la question des transgenres ou d’un certain féminisme, et plus généralement à propos de la fameuse « fonction paternelle », qui paraît un peu « gênante », comme disent les jeunes, en 2025.

De l’autisme aux « syndromes »

En 2012, la HAS “a exclu la psychanalyse de ses recommandations pour le traitement de l’autisme”. Une vieille histoire, qui remonte en réalité au siècle dernier, à l’époque où l’autisme était présenté comme une maladie psychique, et les mères de patients autistes mises en accusation (les fameuses « mères réfrigérateurs » de Bruno Bettelheim). Cette culpabilisation, et cette assimilation de l’autisme à une forme de psychose, sont aujourd’hui ressenties comme insupportables, notamment par les familles. C’est d’ailleurs à l’initiative d’associations de patients et de leurs familles que l’approche analytique a été rejetée, bien avant que les instances de pilotage telles que la HAS entreprennent d’« exclure » celle-ci.

A mesure que l’autisme prenait plus d’importance, devenant une véritable « épidémie »2, la France s’est progressivement alignée sur les pays anglo-saxons et scandinaves pour promouvoir des approches jugées plus scientifiques, et considérer l’autisme comme un « trouble neurodéveloppemental ». Mais dans la foulée, la psychanalyse, déjà sur la sellette, s’est retrouvée dans une position inconfortable à propos des autres affections psychiques : névroses et psychoses, rebaptisées « troubles » et éclatées en un grand nombre d’entités cliniques (plus de 300).

La plupart des gens n’ont évidemment pas une connaissance très précise des tenants et aboutissants de cette évolution. Le simple fait de se réclamer de la « science » suffit généralement à garantir le respect et la considération, et en outre un diagnostic précis et caractérisé semble un gage de scientificité : par exemple parler de « syndrome dysphorique » ou de « dysrégulation perturbatrice » plutôt que de malaise existentiel inspire la confiance et rassure. Qu’importe si la théorie sous-jacente est fragile ou inexistante : dans bien des cas, le terme de « syndrome » revient à dire que l’on n’est pas vraiment capable de l’expliquer, mais au moins on a un langage médical à quoi se raccrocher, et un bon espoir de trouver, un jour? des marqueurs biologiques. Que bon nombre des catégories nosographiques du DSM3 aient été accouchées au forceps sous l’impulsion de l’industrie pharmaceutique4, entre autres, et/ou d’une demande sociétale, passe complètement au-dessus des radars5.

Pourquoi un tel succès de l’approche empirique américaine, pourtant cocasse lorsqu’elle définit comme « deuil pathologique » une tristesse de plus de six mois ou invoque un « syndrome de possession » (par des esprits maléfiques), sans parler du « disruptive mood dysregulation disorder » (3 accès de colères par semaine) et de la "syllogomanie", trouble d’accumulation compulsive ? L'idée que ce "syndrome" puisse faire signe vers autre chose, cacher autre chose, être interprétable, est exclue : tout est là, dans ce sens littéral.

La psychanalyse, pas soluble dans la « neuromania6 » ?

C’est que le DSM s’adosse aux neurosciences, et, bien que le manuel en soi ne revendique aucune théorie, puisqu'il se veut empirique et statistique, ses prétentions sont ouvertement de parvenir, un jour, à une explication « scientifique », c’est-à-dire cérébrale et/ou génétique, de tous ces « dys »fonctionnements qui nous empoisonnent la vie, de plus en plus il faut bien le dire. Comme le mentionne radicalement l’article « échec scolaire » de l’encyclopédie Wikipedia : « L'échec scolaire est l'un des motifs de consultation le plus fréquent en pédopsychiatrie. Il y a donc un lien entre une origine médico-psychologique et les difficultés scolaires ». Hum… Il est vrai que, désormais, un élève sur six environ est réputé porteur de « handicap » ou de « troubles » que, faute de mieux, faute parfois d’avoir le temps d’écouter l’enfant ou l’adolescent, on attribue ses difficultés à un « trouble neurodéveloppemental ».

Mais pourquoi non seulement accorde-t-on foi aussi facilement à cette interprétation, mais s’oppose-t-on, de plus, avec autant de virulence à celles et ceux qui contestent le caractère neurologique, pourtant si peu établi ? Est-on si confiant dans l’origine biologique de ces troubles ? Qui a pris la peine de lire les innombrables études ou (pour gagner du temps) méta-études sur ces questions ? Pense-t-on que ce n’est pas nécessaire ? En ce qui concerne la scientificité des différentes thérapies, rappelons au passage que selon les dizaines de méta-études ou synthèses disponibles, les effets des thérapies psychanalytiques ou d’inspiration psychanalytique sont comparables à ceux des autres thérapies (type TCC) : en voici une liste non exhaustive7.

L’avènement de l’intelligence artificielle générative, malgré toutes les réserves que l’on peut avoir à son encontre, a cette utilité qu’elle évite de passer un temps infini à lire des thèses scientifiques absconses. Même si l’on ne saurait s’y fier, voici ce que répond l’IA : « la majorité des difficultés scolaires ne sont pas exclusivement biologiques : elles résultent souvent d’une interaction complexe entre facteurs neurologiques, cognitifs, environnementaux et éducatifs. Dire qu’une difficulté scolaire a une origine purement biologique serait inexact scientifiquement ». Pour des difficultés de comportement telles que l’agitation, l’inattention, « elles peuvent aussi provenir de la fatigue ou du manque de sommeil, de l’ennui ou de méthodes pédagogiques inadaptées, du stress ou de l’anxiété, d’un manque de motivation ou d’intérêt pour la tâche ». Bref, pas de quoi enthousiasmer les fabricants de méthylphénidate, mais il est sans doute moins simple de motiver un jeune ou de trouver des méthodes pédagogiques adaptées. Ou encore de se pencher sur les origines du stress, qui n’ont peut-être rien à voir avec l’école, ni avec un « trouble ». Ou alors, il faudrait se demander d’où vient le trouble...

En réalité, le système est ainsi fait qu’un adolescent qui ne va pas bien, s’il veut pouvoir bénéficier d’une aide, doit impérativement remplir un dossier, et dans ce dossier, cocher des cases, en nombre limité, et donc se rattacher à un des « troubles » reconnus comme tels8. Est-ce pour cela qu’on se retrouve avec une telle inflation de « TDAH », encore inconnus ou regardés avec suspicion en France il y a quelques années, voire de bipolaires et de « dys » en tout genre. Roland Gori parle de « surmédicalisation de l’existence », d’autres supposent que ces troubles étaient sous-diagnostiqués auparavant ; en tout cas ils ont augmenté dans des proportions absolument effarantes9. Mais pour ce qui est des marqueurs biologiques, la plupart du temps, on les cherche toujours.

Par exemple, concernant la dyslexie. L'un de ses plus grands spécialistes français est Franck Ramus, expert en sciences cognitives et fervent partisan de la génétique comportementale. Il écrit ceci, qui devrait inquiéter : "le lien entre statut socio-économique et QI est au moins en partie génétique (...) Les personnes les plus défavorisées socialement sont elles aussi les plus désavantagées génétiquement". Et donc, logiquement (selon lui) : "La réussite scolaire est influencée par des facteurs génétiques à hauteur de 30 à 50%" (interview au Point de 2018), propos disqualifiés par bon nombre d'autres chercheurs qui les jugent simplement dépourvus de sens. Fait-il partie de ces scientifiques qui survalorisent le poids des gènes, quand la recherche depuis 20 ans tend a contrario à surligner l'épigénétique et les facteurs environnementaux ? Car ce serait tellement plus simple si tout était dans l'ADN. Comme le voudraient par exemple ces auteurs de The Bell Curve, célèbre fake pseudo-scientifique de 1994 tendant à montrer que les Noirs avaient un QI inférieur aux Blancs. Cette étude aurait été financée par un think tank libertarien, selon Stéphane Foucart, Stéphane Horel et Sylvain Laurens10. Justement Franck Ramus a volé au secours des auteurs de The Bell Curve, indiquant qu'il s'agissait de "faits bien établis", indépendamment de toute "idéologie". Mais Ramus finit par avouer, si on lit son article jusqu’au bout, que seuls 5 % des élèves en difficulté de lecture seraient, en réalité « dyslexiques »11...

La psychanalyse, la biologie et le fascisme : un vieux débat redevenu actuel ?

Pas question ici de tomber dans le piège qui consisterait à dire que la psychanalyse a toujours raison ; c’est précisément cette arrogance insupportable qui a fini par agacer tout le monde ; notamment Popper qui, fort de sa gloire d’épistémologue, a réussi en son temps ce tour de force de dézinguer d’un même tir et la psychanalyse et le marxisme, alors en pleine gloire, au nom de la non-« falsifiabilité »12. Resterait à se demander si les analyses de Popper, pourfendeur du dogmatisme chez les autres, n’étaient pas elles-mêmes entachées par son idéologie libérale.

Et surtout, si la psychanalyse a besoin du statut de science. Pourquoi faudrait-il absolument être scientifique ? Le problème n’est peut-être pas du tout là : c’est ce que pensait Ricoeur, qui rattachait plutôt la psychanalyse à l’interprétation. De grandes voix aujourd’hui, comme Bernard Golse, plaident pour une réconciliation de la psychanalyse et des neurosciences : dont acte. Mais on pourrait préférer une posture de retrait, à l’heure où la neurobiologie a atteint un tel degré d’hégémonie qu’elle finit par vouloir annexer l’ensemble du savoir, jusqu’à l’analyse littéraire (Jean-Marie Schaeffer) et la sociologie (Gérald Bronner, entre autres). Certes, il est de bon ton d’être du côté du « progrès » et des Lumières : il n’est pourtant pas interdit de se demander si le fait de tout ramener à des fonctions cérébrales est en soi un progrès. Le terme même de « sociobiologie », qui il y a quinze ans sentait encore fortement le soufre, est désormais de nouveau utilisé sans honte, voire porté en étendard13.

Génétique, évolutionnisme, localisations cérébrales : si ces trois avancées majeures de la science sont bien évidemment précieuses, en faire le trépied des sciences sociales peut apparaître contestable14. Dire, par exemple, que la colère, la jalousie ou l’arrivisme ont un substrat cérébral est une chose, les y réduire en est une autre, qui appauvrit singulièrement l’explication. Le circuit de la dopamine est une réalité, mais en quoi cela nous aide-t-il à comprendre le plaisir et l’addiction ? Sauf à déresponsabiliser un peu plus les sujets : « c’est pas moi, c’est ma dopamine ». Quant à Gérald Bronner, il ne pense guère les phénomènes sociaux qu’en termes de « marché » (cognitif), étonnante naturalisation du libéralisme, chez un disciple de Boudon ? Et voit la démocratie participative comme un biais cognitif (le « théorème de Condorcet »). La démocratie, encore un syndrome ?

On comprend bien que la psychanalyse, avec ses vieilles lunes humanistes, dérange ce bel édifice où les sciences sociales sont en ordre de marche derrière la biologie et la génétique, le petit doigt sur la couture du pantalon. Curieuse coïncidence : le retour triomphant de la sociobiologie et du behaviorisme skinnerien d’autrefois (rebaptisé « thérapie comportementale ») va de pair avec la résurgence de régimes ou de partis qu’on n’ose qualifier ouvertement de « fascistes », même lorsqu’ils s’en réclament eux-mêmes, et où la référence à des origines « natives » ou « naturelles » n’est sans doute pas totalement fortuite.

Comme le point Godwin est vite atteint, empressons-nous de citer derechef Asma Mhalla qui voit, dans les partis illibéraux d’aujourd’hui, non pas le retour du fascisme d’autrefois, mais un « post-fascisme » ou un « hyper-fascisme » qui, à être plus ou moins dans le simulacre, n’en a pas moins quelques effets hélas bien réels. La psychanalyse a certainement quelque chose d’important à dire à ce sujet, comme elle a pu le faire au siècle dernier, quand Freud écrivait Psychologie des foules et Malaise dans la culture.

Pour un sociobiologiste, qu’une nation veuille en annexer une autre, rien de plus normal : c’est dans la « nature » des choses, et même les géopolitologues qui défilent à longueur de plateau TV ne disent pas autre chose quand ils pourfendent la naïveté des pacifistes et font de la Realpolitik une donnée immédiate des relations internationales. Pour un psychanalyste, la fièvre conquérante de Poutine, Xi et Trump (entre autres) est plutôt le symptôme d’un narcissisme de toute-puissance contre lequel il faut continuer à élever, autant que possible, les digues de la raison.

Balayer devant sa porte : un relent de patriarcat

Ce qui ne veut pas dire, encore une fois, que les psychanalyses soient au-dessus de tout soupçon : les refrains insistants autour de la « fonction paternelle », opportunément confondue, par ceux-là mêmes qui devraient le mieux les distinguer, avec le patriarcat, devraient nous alerter. Certains se sont fait un nom en popularisant l’idée d’une « perversion généralisée » qui toucherait l’ensemble des sujets des sociétés capitalistes avancées. Le « déclinisme » de ces penseurs porte sur une désubjectivation, voire une déshumanisation, qui concernerait les individus, hédonistes et « sans gravité », en mal d’autorité et de loi, refusant les contraintes et toute forme de perte.

Le succès de ces thèses clairement réactionnaires n’a pas peu contribué au discrédit qui semble frapper, dans une partie de l’opinion et des medias, le champ psychanalytique, désormais associé à un discours passéiste et réducteur, globalement congruent avec les thèses de la droite et de l’extrême-droite. Critiques de la société de consommation, mais aussi parfois, d’une certaine manière, des principes « horizontaux » de la démocratie ou en tout cas nostalgiques d’un certain élitisme, leurs propos flirtent parfois dangereusement avec l’homo- et trans-phobie, voire le rejet de l’assistance médicale à la procréation ; quant à leurs théories éducatives, elles rappellent étonnamment celles du conservatisme le plus autoritaire.

Le malentendu provient peut-être de la confusion regrettable entre « perversion » organisationnelle, celle que nous observons malheureusement à un niveau systémique dans le « bio-pouvoir » managérial, et une perversion généralisée par le bas, un peu cette incurie populaire que Platon reprochait déjà à la caste des « producteurs », et les gérants de la mine, aux ouvriers des corons de Germinal. Il serait intéressant de creuser l’hypothèse inverse d’une perversion qui arriverait par le « haut », celle des élites : n’est-ce pas l'organisation du travail elle-même, avec ses impératifs devenus catégoriques d’efficacité, de rentabilité, de productivité, qui impose un cadre incompatible avec l’éthique15 ? Mais nul doute qu’une telle entreprise essuierait des accusations virulentes de « populisme », de la part de ceux qui jugent que la taxe Zucman est d’extrême-gauche. La psychanalyse pourrait tout à fait être utile à ce genre d’ambitions : c’est déjà le cas16.

Quant aux « pères », il semble convenu que la psychanalyse serait définitivement has been, comme le rappelle le philosophe queer Paul Preciado. Certains groupes lacaniens en particulier, par-delà l’hyper-sophistication théorique, sont perçus comme réduisant le psychisme à un schéma finalement simpliste, celui de la triangulation père-mère-enfant, où le rôle du Père est central. « Pas de père », ou un père absent, signifie entrée dans la psychose. 0/1 : on-off. Le père, on l’a ou a l’a pas : si tu ne l’as pas, prends garde à toi. Tout ça, tous ces efforts théoriques, toute cette richesse clinique pour ça, ce discours zemmourien du « c’était mieux avant » ? 

Pourtant, dès le début,Lacan disait que « toute l’interrogation freudienne se résume en ceci – Qu’est-ce qu’un père ? ». Comme si, au fond, ce n’était pas du tout évident pour lui. Questionner « l’imago paternelle », comme le fait Lacan, est-il réellement synonyme de restauration patriarcale ? Ou de déconstruction de celle-ci ? Fascistes et conspirationnistes fantasment comme des fous sur cette toute-puissance patriarcale. D’un côté, le patriarcat néo-entrepreneurial des GAFAM, de l’autre le patriarcat populiste des autoritaristes, les deux figures se rejoignant tendanciellement dans la figure improbable d’Elon Musk, comme dans celle de Poutine, Erdogan ou Xi Jinping. Un père, çà ? Non, le patriarcat n’est pas mort, hélas, mais la fonction paternelle, justement détachée par Lacan du « père » réel et du père fantasmé, mérite mieux. La psychanalyse aussi.

Clause de revoyure ? On en reparle, comme dirait le père Freud.

*

1Asma Mhalla, Cyberpunk, Le Nouveau système totalitaire, Seuil, 2025

2Les taux de prévalence de TSA (troubles du spectre autistique) aux États-Unis seraient passés d’environ 3 cas pour 10 000 dans les années 1980‐90 à environ 30 pour 10 000 aujourd’hui, soit une augmentation de 900 %.

3Le « manuel diagnostique et statistique » des troubles mentaux américain, largement utilisé en France, même si nous nous basons officiellement sur la CIM-11 (classification Internationale des Maladies de l'OMS)

4 Nombre d’experts ayant prêté leur concours à la rédaction du DSM étant en collusion avérée avec l’industrie pharmaceutique. Les critiques de membres de l’American Psychiatric association, notamment d’anciens rédacteurs du DSM-IV comme le Pr. Allen Frances, ou les révélations faites à la suite d’enquêtes parlementaires ou journalistiques, ont été reprises notamment par LANE, Ch., Comment la psychiatrie et l'industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions; MORIN, C., Comment les labos nous rendent fous : tous malades ?, ou encore par ANDERSON, V., GODBER, T., (dir.) Rethinking ADHDou LANDMAN, P., Tous hyperactifs ?.

5 Un grand nombre de professionnels de la santé mentale, notamment ceux réunis dans l’association Stop DSM, sont en réalité assez critiques de l’approche du DSM-V : voir Roland Gori, La Fabrique des imposteurs et La santé totalitaire ; Philippe Pignarre, Le Grand secret de l'industrie pharmaceutiqueMaurice Corcos, l'Homme selon le DSM...

6Le terme est emprunté à Albert Moukheiber, neuroscientifique critique qui considère qu’on a tendance à abuser des explications neurologiques, souvent des « neuromythes » (Neuromania, le vrai du faux sur votre cerveau)

7https://www.linkedin.com/pulse/voici-une-liste-des-%25C3%25A9tudes-probantes-de-lefficacit%25C3%25A9-par-dimitriadis-h0xse/?trackingId=p59hSTiDjgN6Ask375Kzug%3D%3D

8 Les catégories du dossier sont : « Agoraphobie, dépression ou migraine » ; « Autisme » ; « Dyslexie, dysphasie ou dyspraxie » ; « Trouble déficit de l’attention (TDA) » ; voire, sous condition, « troubles anxieux scolaires »

9Par exemple aux USA , le nombre d’enfants diagnostiqués avec TDAH a quasiment doublé en 20 ans, selon les statistique des CDC.

10Les Gardiens de la Raison, enquête sur les nouvelles formes de lobbying et la désinformation scientifique, souvent motivées par des intérêts économiques et idéologiques. 

11 RAMUS, F. 2005. « De l’origine biologique de la dyslexie », Psychologie & Education, 2005-1, pp 81-96, Paris, Afpen.

12 Logik der Forschung, 1935 : les sciences dites « humaines » de l’époque n’étant pas « falsifiables » puisque, trop dogmatiques selon Popper, elles ne laissent pas la place à des hypothèses contradictoires

13Depuis une dizaine d’années environ, les références à ce terme ont explosé : il suffit de consulter un moteur de type Cairn pour s’en persuader. Mais bon nombre de psychologues, notamment, préfèrent l’appellation moins connotée de « psychologie évolutionniste ».

14On peut revenir avec profit à la critique qu’en faisait Monique Chemillier-Gendreau en 2001 dans la revue anticapitaliste Mouvements (n.17(4), 88-98)

15Voir par exemple les travaux de Vincent de Gaulejac (notamment La société malade de la gestion, 2005) et de Bénédicte Vidaillet, entre autres.

16Le Réseau International de sociologie clinique (RISC) œuvre en ce sens : Vidaillet est à la fois chercheuse en sciences de gestion et psychanalyste, et Gaulejac travaille avec un référentiel inspiré en partie par la psychanalyse.

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