Ce n’est pas pour nous vanter, mais faire défiler DJ Borloo et son tractomix le 4 décembre 2007 à Paris , en pleine euphorie post « Grenelle de l’environnement », était plutôt bien vu. Pendant les discours, le bulldozer avançait et cette semaine, l’autoroute A65 Langon-Pau a ouvert ses 150 kilomètres de bitume neuf au milieu de la forêt landaise.
«La destruction, c’est la protection »
« A65, test de sincérité du Grenelle » disions-nous en demandant l’abandon d’un projet rétrograde. Mais rien n’y fit : ni les dossiers, ni les pétitions, ni les manifestations, ni les courses de tracto-brouettes, ni les banderoles posées ça et là, ni les Planteurs Volontaires…

Tout ce que nous avons eu c’est l’infamie de « l’autoroute écologique », la politique de l’oxymore au secours de l’éclatement entre les discours et les actes. Nous avions beau avoir lu Orwell, nous n’avions pas imaginé voir les bétonneurs soigner leur image sur un des sites emblématiques de leurs forfaits et de la résistance au projet, celui sur lequel fut lancé par de nombreuses organisations locales et nationales, le 10 juin 2006, un appel à un moratoire autoroutier qui donna suite, au même endroit le 17 juin 2008, au premier rassemblement de la coordination nationale « Stop-Autoroutes ».

Site des 9 fontaines à Bostens (Landes) en 2006
C’est au milieu de cette zone humide, réserve naturelle et lieu de vie du village de Bostens, dans les Landes, entretenue bénévolement depuis des années par les habitants et aujourd’hui traversée par un viaduc qui a pris son nom, que sont à présent célébrés les mérites de la « première autoroute grenello-compatible ». C’est là que, devant la presse locale, le prefet de région a choisi de dire au seul maire s’étant opposé au projet d’autoroute que finalement pour son village, « l’autoroute est un plus » (Sud-Ouest, 18 sept 2010). L’offensive rhétorique jusqu’à l’humiliation… et jusqu’à la bêtise. Ce site va être emménagé en « base environnementale » au titre du 1% paysage. Les enfants des écoles des villages voisins viendront ainsi prochainement y découvrir la biodiversité des zones humides de bord d’autoroute.
Difficile de dire si cette propagande fonctionne, mais ce qui est certain c’est qu’elle occupe l’espace public, qu’elle vampirise le débat et les questionnements médiatiques :
« Bonjour monsieur, je suis journaliste au « bip », je voudrais savoir ce que les associations pensent des mesures de protection et de compensation sur la biodiversité mises en place par le concessionnaire autoroutier? D’après vous est-ce un vrai progrès, un moindre mal ?»
Toujours tout ramener à l’écologie de comptoir, aux visons, écrevisses et autres papillons fadais des laiches qui n’espéraient pas une mort aussi médiatisée, et oublier ce que ça signifie d’aveuglement et de gâchis que d’inaugurer une autoroute en 2010 (voir le communiqué de presse du 10 décembre 2010 : "Ils inaugurent une autoroute" ), voilà la grande victoire du « greenwashing » autoroutier.
Totems
Dé-zoomons un peu, le temps de quelques lignes, pour passer de la forêt landaise à la plaine Masaï, en Afrique de l’Est. Février 2009, alors que les bulldozers d’Eiffage créent le 4ème axe routier permettant de relier Bordeaux à Pau, deux villes françaises de province, des appareils de chantier chinois refont l’unique route permettant de relier Nairobi à Dar-es-Salaam, les capitales de deux pays réunissant 80 millions d’habitants. 700 kilomètres, une seule route, avec une voie dans chaque sens, coupée pour les besoins des travaux. Sur plusieurs centaines de kilomètres ses utilisateurs sont déviés sur des chemins de terre. Les bus, les camions et les rares automobiles qui assurent la liaison entre ces deux pays majeurs de la région sautent sur des nids de poules, mangent de la poussière. Un coût de 150 millions de dollars, 1,2 milliards d’euros pour l’A65.

Les besoins de route sont là-bas, la pensée magique est ici. 1,2 milliards d’euros pour un sacrifice rituel. C’est finalement tout ce qui reste, avec quelques dizaines de minutes gagnées, quand on a essoré les arguments des amoureux du bitume. Une poignée de minutes à 19€70 et un totem gris avec ses sacrifiés (ses « impactés »), ses incantations (le « désenclavement », le « développement »), ses prètres (les CCI, les barons politiques locaux) et ses dévots qui attendent l’emploi, la vie meilleure et la modernité. Ils auront du béton, du bitume, du CO2, de l’étalement urbain et du shopping dans des hangars de bord d’échangeurs qui ont quittés des bords de rocade. Les autoroutes déplacent et concentrent l’activité, mais l’illusion est là chez celui qui la reçoit.
Et il y a tout ce que nous n’aurons pas, toute l’énergie administrative, laborieuse, citoyenne, financière qui n’aura pas été mise ailleurs, à entretenir les services publics, à entamer la transition énergétique, à développer d’autres moyens de déplacement, à diminuer les transports inutiles, à donner un coup de main aux Tanzaniens et aux Kényans.
La fête continue
Nous avions décrypté le « A65-grenelle-mix » de DJ Borloo, mais nous n’avions pas pressenti la compilation à venir. Pour tout dire, nous avions même la secrète prétention d’être les derniers sacrifiés. Nous espérions au moins avoir l’honneur d’être les derniers écrasés par le dinosaure autoroutier et de pouvoir revendiquer - qui sait ? - le coup fatal. Mais c’est raté : 1092 kilomètres de nouveaux projets autoroutiers viennent d’être adoptés par le gouvernement et nous rejoignons simplement la longue cohorte des impactés anonymes. Que restait-il à dire ? Ceci, peut-être :