Qu’est-ce que nous racontent les mégabassines sur nos réponses au réchauffement climatique ? D’abord, que nous sommes rentrés dans l’ère de l’adaptation : le climat change et la plupart de nos activités, en particulier économiques, vont devoir s’adapter. Nous allons notamment devoir faire avec moins d’eau. Dans ce contexte les mégabassines sont souvent qualifiées de maladaptation car ne répondant pas, ou mal, aux défis que posent la sécheresse aux productions agricoles. C’est juste, mais l’idée mérite d’être précisée pour comprendre les transformations similaires à l’œuvre dans de nombreux secteurs d’activité. Pour cela je propose de qualifier ce type de maladaptation de « syndrome du canon à neige ».
Les zones de montagne nous offrent en effet un laboratoire en miniature pour comprendre ce qui nous arrive. Là, comme ailleurs, malgré les alertes répétées des scientifiques du climat depuis plusieurs décennies, rien ou presque n’a été anticipé et la neige naturelle sur laquelle repose l’économie des vallées disparait inexorablement. La remontée de la limite pluie-neige et le raccourcissement des durées d’enneigement ont déjà provoqué la fermeture de nombreuses stations et pour reprendre les travaux de Vincent Vlès, urbaniste spécialiste de la question, seulement 20% des stations de ski françaises (pour la plupart dans les Alpes) pourront rester ouvertes à moyenne échéance (1). L’activité touristique organisée autour de l’« or blanc » depuis une cinquantaine d’années est tout simplement en train de disparaitre, emportant avec elle revenus et emplois.
Quelle réponse a-t-on apportée ? Le canon à neige, qui apporte aujourd’hui une part substantielle de la neige sur laquelle glissent les 17% de français qui ont la chance de partir aux sports d’hiver. Pourtant, cette solution technique ne permettra pas de repousser éternellement l’échéance[1], le climat continue à se réchauffer, et même plus rapidement en montagne qu’en plaine. Le canon à neige est ainsi un pis-aller de court terme qui maintient l’illusion que tout pourrait continuer comme avant. C’est également une solution coûteuse en argent public qui maintient, à grand renfort d’investissements subventionnés[2], la dépendance dans un modèle économique qui n’est plus viable. Pire, en s’appuyant notamment sur de l’endettement, cette stratégie rend encore plus coûteuse la sortie, pourtant inévitable, de ce modèle. Enfin le canon à neige a l’énorme défaut d’être destructeur pour les milieux et la ressource en eau, un seul hectare de neige artificielle consomme en effet en moyenne 4000 mètres cubes d’eau par an[3]. En voulant remplacer un processus naturel par un mécanisme artificiel il perturbe un peu plus les équilibres naturels. C’est, autrement dit, une réponse au changement climatique qui aggrave les crises écologiques.
Pour résumer, le « syndrome du canon à neige » est une maladaptation au réchauffement climatique reposant sur une solution technique inopérante à long terme, coûteuse en argent public et aggravant la situation environnementale. Cette technique n’apporte pas de solution pérenne, déplace le problème et a pour seule vertu de repousser les décisions difficiles et inévitables à demain, au mandat suivant où à la génération qui vient.
Les mégabassines peuvent ainsi être regardées comme les canons à neige de l’agriculture productiviste. Ces projets sont en effet :
- Une solution non pérenne. Ces grandes retenues d’eau prélevée dans les nappes phréatiques ne permettront pas de régler à long terme les défis que pose le réchauffement climatique à l’agriculture française. Les sécheresses hivernales, telles que celles que nous vivons, vont en effet se multiplier avec le réchauffement global, vont faire baisser le niveau des nappes souterraines et rendront impossibles le remplissage de ces réserves d’eau[4].
- Coûteux et largement subventionnées. Les projets de 16 mégabassines dans les Deux-Sèvres, dont fait partie celle de Sainte Soline, coûtent 76 millions d’euros, dont 70% financés par de l’argent public[5].
- Destructeur pour les milieux. Comme pour les canons à neige ces prélèvements d’eau perturbent le cycle de l’eau et les milieux naturels[6].
Ici, comme avec la neige artificielle, le problème posé par le réchauffement climatique n’est pas traité sérieusement, mais déplacé ailleurs pour maintenir en l’état une activité économique qui est condamnée à moyen terme. Cette activité est à Sainte Soline la production de céréales irriguées répondant aux standards de qualité de l’agro-industrie[7]. Les mégabassines dans les Deux Sèvres, comme les canons à neige dans les vallées pyrénéennes, sont pensées pour maintenir le statuquo. Une solution technique qui permet l’immobilisme, voilà ce qu’est le syndrome du canon à neige.
[1] Vincent Vlès, « Anticiper le changement climatique dans les stations de ski : la science, le déni, l’autorité », Sud-Ouest européen [En ligne], 51 | 2021, mis en ligne le 10 février 2022, consulté le 26 avril 2023. URL : http://journals.openedition.org
[2] Voir par exemple les subventions accordées par la Région Rhône-Alpes en 2016 et renouvelées en 2021 : https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/auvergne-rhone-alpes-va-investir-50-millions-d-euros-dans-la-neige-artificielle-989621.html
[3] Vincent Vles, 2019, Des territoires touristiques aux abords du point vertigineux, In Zélem M-C, Carrère G, & Dumas C, (dirs.), Dans la fabrique des transitions écologiques, Karthala, Paris.
[4] https://www.publicsenat.fr/actualites/societe/agriculture-les-mega-bassines-a-nouveau-remises-en-cause-par-une-secheresse
[5] http://www.coopdeleau79.com/le-projet/calendrier-et-concertation.html
[6] https://scientifiquesenrebellion.fr/textes/positionnements/les-mega-bassines-sont-une-maladaptation-aux-secheresses-et-aux-enjeux-agricoles/
[7] https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/120423/sainte-soline-enquete-sur-les-12-agriculteurs-qui-profiteront-de-la-megabassine