Au pays du mensonge déconcertant*, le fascisme était à nos portes et l’on nous a expliqué qu’il fallait voter pour le candidat arrivé en tête du premier tour, afin de sauver la démocratie, que ses idées nous plaisent ou non.
Au pays du mensonge déconcertant, la démocratie que nous devions sauver n’a pas tenu compte de notre vote en 2005, ne connaît ni les émeutes de banlieue ni les révoltes nocturnes verticales mais nous laisse manifester autant qu’on veut en toute inutilité, contre les réformes des retraites ou les lois travail.
Au pays du mensonge déconcertant, devant la menace fasciste, le candidat arrivé en tête du premier tour avait l’air joyeux et est allé boire des coups avec ses copains, mais c’était son moment du coeur alors on lui a pardonné.
Au pays du mensonge déconcertant, le candidat arrivé en tête du premier tour a pour programme sa jeunesse et son inexpérience, la transcendance des rapports sociaux par l’intérêt commun des patriotes et progressistes, le rejet des partis et du parlement, mais ce n’est ni un populiste ni un fasciste.
Au pays du mensonge déconcertant, le candidat arrivé en tête du premier tour est le candidat du renouvellement. Pour cela, il a dans son équipe deux hommes, Jacques Attali et Alain Minc, qui ont précédemment conseillé tous les présidents depuis 36 ans.
Au pays du mensonge déconcertant, le renouvellement est porté par Gérard Collomb, député puis maire depuis 36 ans, François Bayrou, ministre il y a 24 ans, Dominique de Villepin, premier ministre il y a 12 ans, Daniel Cohn-Bendit, « révolutionnaire » il y a 49 ans ou Robert Hue, patron du Parti Communiste il y a 23 ans.
Au pays du mensonge déconcertant, un ancien révolutionnaire maoïste trouve que les jeunes peuvent travailler bien plus que 35 heures par semaine et un ancien président du Parti Communiste peut soutenir un programme qui propose de se débarrasser des acquis sociaux.
Au pays du mensonge déconcertant, la Pravda n’est pas le quotidien officiel mais le Monde est celui de référence. Quand il envoie à ses abonnés des alertes sur leurs boîtes mail ou sur leurs téléphones, il précise le sujet de l'article : « sciences », « affaire Nabilla », « cinéma », etc… et pour nous guider en toute objectivité, pendant l’élection présidentielle, le sujet n’était ni « élections », ni « politique », mais : « Emmanuel Macron » , histoire qu’on ne se trompe pas.
Au pays du mensonge déconcertant, la liberté de la presse est en chute libre, mais ce n’est que parce que certains brise-joies internationaux estiment que les journaux ne devraient pas appartenir aux plus grosses entreprises du pays, ou qu’il serait malsain que les patrons de ces entreprises et de ces journaux soutiennent quasi unanimement le candidat arrivé en tête du premier tour.
Au pays du mensonge déconcertant, un candidat qui se fait offrir des costumes par des gens riches et embauche sa femme à ne rien faire est très mal vu, mais la femme du candidat arrivé en tête du premier tour peut se faire prêter ses vêtements par l’homme le plus riche du pays et poser pour tous les magazines.
Au pays du mensonge déconcertant, le candidat arrivé en tête du premier tour nous a expliqué qu’il ne pouvait être pénible de travailler, parce que « le travail est libératoire ». Ceux à qui cette maxime en rappelle une autre, écrite en fer forgé au-dessus de l’entrée d’un lieu funeste, sont priés de plus regarder la télévision.
Au pays du mensonge déconcertant, certains craignent que le candidat arrivé en tête du premier tour ne soit un évadé fiscal, car il a gagné beaucoup d’argent qui semble s’être envolé. En réponse à ces rumeurs infondées, on nous explique qu’à son niveau il n’est pas tellement surprenant de dépenser un SMIC par jour, et l’on voudrait que nous trouvions cela plus rassurant.
Au pays du mensonge déconcertant, une fois élu le candidat arrivé en tête du premier tour a marché seul dans l’ancien palais royal. Puis son équipe l’a filmé faire un discours, en contre-plongée, seul au-dessus de la foule, l’oeuvre monumentale et pyramidale derrière lui semblant à peine le dépasser. Si vous vous dites que Leni Riefenstahl aurait beaucoup aimé cette image, nous avons quant à nous passé depuis longtemps l’idée qu’une image pouvait faire sens. Nos journalistes ont seulement trouvé qu’il prenait de la hauteur.
Au pays du mensonge déconcertant, le lendemain de la victoire du candidat arrivé en tête du premier tour on a pu voir un beau documentaire, qui les filmait lui et sa femme sous tous les angles, toujours en train de conquérir et de rassembler, sans qu’une minute le réalisateur de cette hagiographie filmée n’évoque un quelconque programme dudit candidat.
Au pays du mensonge déconcertant, maintenant qu’il est élu, la Pravda, pardon, le Monde nous explique que nous ne sommes pas censés discuter un président si bien élu. Notre quotidien officiel, qui nous sermonnait hier sur l’importance de voter contre le fascisme nous dit aujourd’hui : « Quelque 40 % des électeurs qui ont voté Macron l’ont fait, disent-ils, pour faire barrage à la candidate du Front National. La belle affaire ! Comme si la victoire de François Mitterrand en 1981 ne résultait pas, pour une bonne part, du rejet de Valéry Giscard d’Estaing. Et tout autant celle de François Hollande face à Nicolas Sarkozy en 2012. »
Au pays du mensonge déconcertant, il est possible après tout que Valéry Giscard d’Estaing et Nicolas Sarkozy aient été eux aussi des fascistes sans qu’on ne l’ait su, car l’Histoire change sans cesse et le Monde ne peut tout de même pas ignorer ses propres appels au front républicain de la semaine dernière.
Au pays du mensonge déconcertant, preuve que nous sommes des ignorants, nous avions cru que l’ancien président avait été trahi par le nouveau, mais le 8 Mai, défilant ensemble, ils avaient l’air heureux et bons camarades.
Au pays du mensonge déconcertant, on a oublié que Pier Paolo Pasolini nous avait prévenu que « sous couleur de démocratie, de pluralité, de tolérance et de bien-être, les autorités politiques, inféodées aux pouvoirs marchands, ont édifié un système totalitaire sans pareil » et que « le centre s’est assimilé tout le pays… Une grande œuvre de normalisation parfaitement authentique et réelle est commencée et elle a imposé ses modèles : des modèles voulus par la nouvelle classe industrielle, qui ne se contente plus d’un « homme qui consomme » mais qui prétend par surcroît que d’autres idéologies que celle de la consommation sont inadmissibles. » On a oublié qu’il appelait cela, par défi, le nouveau fascisme.
Au pays du mensonge déconcertant, on ne regrette pas Pier Paolo Pasolini, parce qu’il faut être populiste ou fasciste ou réactionnaire ou insoumis pour craindre un fascisme qui ne fait peur à aucun de nos chers dirigeants et un arriéré archaïque pour dire qu’on nourrit une haine viscérale, profonde, irréductible, contre la bourgeoisie.
Au pays du mensonge déconcertant, nous n’avons plus besoin des lucioles dont Pier Paolo Pasolini pleurait la disparition, la publicité éclaire nos villes et nos vies. C’était un poète, et nous n’avons plus de langue ni de mot, simplement des chiffres.
Au pays du mensonge déconcertant, j’ai voté Macron le 7 Mai, la peur au ventre et la queue basse. Depuis, - me croirez-vous ? - une luciole me tournicote autour en répétant que j’ai fait quelque chose de bien vilain. Je ne sais que lui répondre, mais je crains qu’elle ne disparaisse vite.
*En hommage à Ante Ciliga, fondateur du Parti Communiste Yougoslave et opposant résolu à Staline, détenu 3 ans en URSS.
Billet de blog 11 mai 2017
Au pays du mensonge déconcertant, rien n'arrive jamais
Chez nous, la lumineuse démocratie a définitivement triomphé du fascisme rampant. Rien ne saurait questionner cette vérité, qui nous emplit de joie depuis la victoire d’Emmanuel Macron à la présidence de la République. Souhaitons que notre président soit à la hauteur des attentes qui pèsent sur ses mâles épaules, et que vogue notre pays sur une mer de félicité.
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