Dans son dernier ouvrage Vivre à fleur de peau. Allergies et politique[1], préfacé par Alain Caillé, chef de file du mouvement convivialiste[2], Frédéric Spinhirny, philosophe et directeur d’hôpital, nous livre une analyse pertinente qui prolonge la notion d’allergie au-delà du classique cadre médical. Dans la lignée de Roberto Esposito[3] qui étend le concept d’immunité à la sphère politique, l’auteur développe ce qu’il nomme la « condition allergique ».
L’allergie, véritable fléau contemporain, toucherait à ce jour 20 à 30% des individus et, en 2050, affecterait 50% des personnes. Fruit du productivisme et de la société thermo industrielle capitaliste, « les allergies sont comparables à une maladie de civilisation ». Mais si « le monde devient allergisant », et c’est ici que l’analyse de l’auteur est originale, c’est que l’homme moderne vit désormais « notre monde comme autant de points d’agression » qui ne permettent plus « concrètement de lutter politiquement pour destituer l’hégémonie actuelle ». La « condition allergique » constitue « un rapport douloureux de notre condition humaine, sociale et surtout biologique ». Ce rapport allergique au monde, tend à isoler les individus les uns des autres comme autant de potentiels irritants, entraînant alors « une pathologie du rapport à l’extérieur » résultant en une « altération et non plus une altérité ».
Dans ce climat de défiance totale, on assiste à une « érosion de la capacité d’attachement » à l’origine d’une « difficulté d’établir une relation sincère à autrui », l’autre étant vécu comme un potentiel allergène à exclure. « Petit à petit, nous constituons autour de nous, une frontière immunologique artificielle » sans « contact organique ». Nous sommes devenus irritables, et notre apaisement personnel passe désormais par la « satisfaction individuelle qui nous concerne » empêchant de fait toute « puissance colérique d’ampleur qui pourrait remettre en cause le fonctionnement et les objectifs de l’Etat tel qu’il fonctionne depuis l’hégémonie libérale de la fin du XXe siècle ».
Alors comment lutter contre « la faillite des institutions » ayant capté ces mouvements d’humeur et qui les laisse « retomber sur la vie quotidienne et terrestre » ? En somme quel histaminique contre cette « condition allergique » ? L’auteur nous propose de nous inspirer du mouvement convivialiste qui prône l’établissement d’une communauté politique permettant de « s’opposer sans se massacrer » basée sur les principes de commune naturalité (avec la nature), de commune humanité (entre les humains), de commune socialité (rapports sociaux plus justes), de légitime individuation et de liberté politique. Il s’agit en somme d’élaborer « immunologie politique » grâce à une forme de désensibilisation politique de notre « condition allergique » en « réintroduisant l’autre comme altérité » pour constituer « un véritable rapport au monde collectif ». Pour lui, « seule la tolérance progressive permettra de quitter l’intolérance ».
Cet ouvrage stimulant sur le plan intellectuel, et sur le plan du système immunitaire politique, par une métaphore puisant dans un thème cher à l’auteur[4], se termine par une invitation à renouer avec la symbiose immunitaire de la future mère enceinte, dont le système immunitaire s’adapte à ce nouveau corps étranger, offrant « une dimension de l’immunité pour la vie et le symbole de la possibilité d’une immunité commune ».

Références :
[1] Fréderic Spinhirny. Vivre à fleur de peau. Allergies et politique. Editions Sens&Tonka, 20256
[2] International convivialiste. Second Manifeste convivialiste. Pour un monde post-néolibéral. Actes Sud, 2020
[3] Roberto Esposito. Communauté, immunité, biopolitique. Repenser les termes de la politique. Editions Mimésis Visages, 2019
[4] Frédéric Spinhirny. Naître et s’engager au monde. Pour une philosophie de la naissance. Editions Payot, 20206/