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Billet de blog 20 sept. 2022

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Pour le droit de vote des mineur.e.s

Pourquoi 15 millions de personnes en France n'ont-elles pas le droit de voter ? Les personnes les plus jeunes ne sont-elles pas les plus concernées par les décisions prisent aujourd'hui? Plus généralement : pourquoi les personnes mineures sont-elles privées d'exercer leurs droits ?

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Oui, je suis pour le droit de vote des personnes mineures. Et pourquoi pas? Si je pose la question au débotté la première réaction c’est la surprise. Hein ? Ha ? Heu… Je n’y avais jamais pensé ! Etonnant comme il peut sembler naturel que plus de 15 millions de personnes en France côtoyées quotidiennement soient dépourvues de ce droit d’élire et d’être élu.e, de peser d’une voix dans les décisions les concernant.

Attendez un peu que cette revendication soit portée par les personnes mineures iels-mêmes et/ou prenne de l’ampleur. On passerait de réactions de surprise, ou d’amusement teinté de paternalisme, à une levée de boucliers. Mais enfin, vous n’êtes pas sérieuses ? Que peuvent piger des enfants à des enjeux de grande politica ? Ces petites créatures ignorantes, intenables et adorables à protéger ou à dompter[1] : on ne va quand même pas les laisser nous foutre le bordel, nous qui étions bien vissé.e.s  sur notre siège.

Ce à quoi on pourrait répondre :

 1/ Ces discours : iels sont bêtes, iels sont des animaux, iels sont naturellement incapables/faibles, on doit les protéger de tout ce qu’énoncé précédemment ou les punir pour qu’iels intègrent quelle est leur place etc. C’est du déjà vu et revu pour constituer un groupe social à dominer et le priver de droits. Exemples : contre les personnes noires américaines qui obtiennent finalement le droit de vote le 4 août 1965 aux Etats-Unis. Contre les personnes femmes qui obtiennent finalement le droit de vote en France le 21 avril 1944 dans le cadre du Comité français de la Libération national qui devient à Alger le Gouvernement provisoire de la République française. (Pour un gouvernement en quête de reconnaissance, sous la menace d’une administration américaine provisoire, et aspirant à conserver une politique coloniale ; était-il plus opportun par ailleurs de céder à ce moment aux femmes blanches sur le droit de vote ?). Un siècle donc après l’instauration du suffrage «universel » masculin en 1848. Universel comprenez : homme blanc de plus de 21 ans.  

Quand je tape sur google « droit de vote femmes france » il est intéressant que google m’explique pourquoi elles l’ont obtenues (c’est dans le menu déroulant je n’ai rien demandé) : « c’est pendant l’occupation que les mentalités ont changé, dans la résistance que les femmes ont gagné le droit de voter et d’être élues ». Je n’ai pas le temps de relever tout ce qui est problématique dans cette phrase. Je reviens néanmoins là-dessus parce qu’il se trouve que les fameux mineur.e.s, innocentes créatures imprévisibles et naïvement co-connes, ont été des acteurices de premier plan dans la résistance. Daniel Cordier, l’ex secrétaire de Jean-Moulin, affirmait en 2004 : « l’armée des ombres est une armée d’enfants ». Roger Faligot parle de ces mineur.e.s résistant.e.s oublié.e.s dans son livre «  La rose et l’edelweiss ». Ainsi,  le premier groupe résistant qui commettra les premiers attentats d’envergure contre les nazis en France, la Main noire, est constitué d’adolescent.e.s alsacien.ne.s complètement autonomes. Ou encore, les piccoli partigiani  pour la moitié âgé.e.s de moins de 18 ans sont celleux qui reconquirent l’Italie. Ou encore, Les Pirates de l’edelweiss. Un mouvement fort de plusieurs dizaines de milliers de garçons et de filles agé.e.s de 12 à 20 ans qui se sont relayé.e.s pendant une douzaine d’années pour tenir tête à Adolf Hitler. Du début à la fin du nazisme.

Pas si incapables de discernement politique donc ces mineur.e.s.

3/ Iels seraient sous influence de leur milieu social. Certainement ! Qui ne l’est pas ?

4/ Iels n’auraient pas les capacités pour voter ? Mais où est le test que les citoyen.ne.s consacré.e.s passent pour avoir le permis de voter? Ce dernier devient-il caduque à un certain âge ? Aurais-je raté un épisode ? J’aimerais bien voir le barème juste pour rire. Du coup quel est-il ? (bon courage pour sortir de ce bourbier). Qu’est-ce qu’il faudrait pouvoir comprendre pour avoir le droit de vote ? Un M2 en économie gestion? Ça laisserait la majorité de la population votante sur le carreau. D’ailleurs c’est un peu le but n’est-ce pas, ce jargon ?

 Au fond désolé mais les lignes qui guident les décisions des élu.e.s ne sont-elles pas très très simples à comprendre ? J’ai eu le privilège de faire beaucoup d’études et en sciences politiques (en accord avec la sélection sociale programmée : je suis blanc.he , valide et enfant de profs) et il m’apparait pourtant que mes choix en la matière sont toujours éclairés par des directions assez évidentes : pas le programme des étrangers et des personnes racisées dehors - pas le programme de tout pour ma gueule et ma merde ruissèlera sur vous - plutôt le programme de peut-être on pourrait ramener de l’égalité, partager les richesses et prendre en compte les enjeux écologiques. Du coup à partir de quel âge on peut comprendre ça ? A 18 ans seulement, vraiment ? Selon une étude scientifique publiée le 8 décembre 2021 dans The Lancet Planetary Health 75% des adolescent.e.s qualifient l’avenir « d’effrayant » du fait du changement climatique. Alors les enfants sont minés par l’éco-anxiété mais ne seraient pas capable de voter pour un programme écolo ?

5/ Enfin et au vu de l’état du monde, il est assez manifeste que les personnes qui décident aujourd’hui ne sont pas les bonnes. Que les personnes qui décident aujourd’hui ne seront pas celles qui devront assumer le poids de leurs décisions demain. N’est-ce pas précisément aujourd’hui et maintenant qu’il faut ramener le poids politique d’électeurices plus jeunes ? C’est évident pour moi que je veux remplacer Macron par des petites pelures de clémentine[2] mais aussi par Vanessa Nakate et Greta Thunberg.

Quels sont les dispositifs à mettre en place pour l’accès à l’information et aux débats pour les personnes mineures ? Pour la formation à la prise de décision collective ? Ne peut-on pas dire à l’instar du mouvement Zapatiste : prend part également à la décision toute personne qui ne s’endort pas pendant les débats ?

Si je prends l’exemple du droit de vote c’est que j’y crois mais c’est aussi qu’il est parlant et concret. Si je prends cet exemple c’est parce que c’est celui qui rencontrerait encore le moins d’opposition mais qui pose les enjeux qui se retrouvent de manière transversale dans la question de la domination des personnes mineures par les adultes. Le droit de vote pourrait commencer à redonner un peu de pouvoir aux personnes mineures : on est obligé de considérer un électorat même si c’est d’une manière intéressée.

Cette domination des personnes mineures en France a une histoire qui remonte au moins aux calendes romaines où le patriarche est propriétaire des femmes et des enfants. Ce sont des biens meubles dont il peut disposer, qu’il peut céder, acquérir, utiliser, exploiter.

Les personnes femmes n’ont acquis qu’en 1907 le droit de disposer de leur salaire dans le cadre du foyer et en 1965 le droit d’avoir un emploi et un compte en banque sans autorisation de la part du mari.

Les personnes mineures n’ont rien. Iels sont complètement dépendantes émotionnellement, affectivement, intellectuellement et matériellement des adultes de la famille. Iels n’ont pas de personnalité juridique, de ressources propres, de droit de vote, la possibilité de choisir où habiter et quoi apprendre. Iels sont souvent abusé.e.s au sein de cette même famille dépeinte comme le lieu de l’amour et même devant la qualification des abus les droits de visite ne sont pas retirés, les mineur.e.s ne sont pas extrait.e.s.  

Ajoutons que les personnes mineures ne sont pas entendues dans leur volonté de vivre avec tel ou tel parent après un divorce (juridiquement iels devraient à partir de 13 ans mais c’est rarement le cas)[3]. Ce qu’on octroi aux mineur.e.s c’est le droits d’être protégé.e.s par celleux qui précisément sont en pouvoir de les abuser! La sacrosainte autorité parentale n’est que très rarement remise en question (sauf concernant  les familles précaires et racisées dont on remet en question la « bonne » parentalité).

Cette état de fait et de non droit est justifié et permis par :

1/ La constitution de cette catégorie d’ « enfants » et de classes d’âges. Tout au long du 20e « la psychologie du développement a proposé une formalisation plus fine de ce schéma de développement à partir de la délimitation de stades séquentiels, qui définiraient l’acquisition de capacités rationnelles et/ou morales. On peut qualifier cette représentation du développement de l’enfant de téléologique, en ce que le point d’arrivée est l’adulte, érigé en modèle achevé. » Tal Piterbraut-Merx[4] . Au XIIe siècle par exemple les enfants étaient beaucoup plus mêlés aux adultes, il n’y avait pas de classes d’âge définies avec autant de précision. Par exemple, l’université était ouverte tout âge confondu. C’est à la Renaissance qu’apparaissent deux classes d’âge à l’université : de 0 à 17 ans et plus de 17 ans[5] comme l’écrit Yves Bonnardel.

Progressivement ces catégories d’enfance, puis d’adolescence[6] sont soutenues pas des discours scientifiques biologisant afin de naturaliser leur existence et accolées à des valeurs morales pour  justifier la mise sous tutelle et l’exploitation des mineur.e.s.

Ainsi, Tal Piterbraut-Merx parle du mythe de la famille chaleureuse et bienveillante[7] et du mythe  de l’innocence de l’enfant, pour les enfants blancs du moins[8].  A partir de là, pourquoi les enfants auraient-ils besoin de droits puisque la famille est amour et que leur innocence ne peut appeler que la protection par un tiers ?

Le pourquoi de cette domination relève de la possibilité d’exploiter affectivement, émotionnellement, physiquement, sexuellement et matériellement les mineur.e.s. Affectivement et émotionnellement ce sont pour beaucoup des doudous à qui on donne des ordres et qui procurent une sécurité émotionnelle absolue vu qu’ielles, quoi qu’on leur fasse, ne peuvent aller nulle part (on pourrait se pencher cependant sur les quelques 70 000 fugues par[9]). Ce sont aussi souvent des punching balls à rage. Sexuellement l’inceste et la pédocriminalité sont structurel.le.s : 1 personne mineure sur 10 en est victime[10]. C’est également l'endroit où on est « formé.e » aux dominations. Comme l’explique Dorothée Dussy dans son livre « le berceau des dominations, anthropologie de l’inceste »[11].

Pour ce qui est de l’exploitation matérielle : les travaux affectifs, émotionnels et domestiques ne sont évidemment pas rémunérés. On pourrait tout à fait penser la charge mentale des enfants car bien souvent iels ne se consacrent pas à leur enfance mais à régler des conflits ou faire du care à leurs parents ou à maintenir les apparences quand tout s’écroule.  C’est assez fou qu’on disqualifie les enfants quand on voit ce qu’iels peuvent porter. Plus communément en tout cas, on peut parler d’exploitation matérielle car quand les enfants travaillent iels le font pour des rémunérations au rabais et dans la clandestinité. Les organisations d’enfants et de jeunes travailleurs à travers le monde ne demandent pas de ne plus travailler car cela peut être également vecteur de valorisation et d’émancipation,  mais de pouvoir choisir de travailler ou non et d’avoir des droits au travail et des rémunérations décentes[12].  

En 1996 les organisations des enfants et jeunes travailleurs nicaraguayennes et allemandes se déclarent : contre la Convention Internationale des Droits de l’Enfant et pour : le droit de vote, la participation aux décisions politiques, pouvoir décider librement de travailler, la redistribution d’un revenu mensuel pour les mineur.e.s, le droit de décider de rester ou non dans sa famille en cas de maltraitance.

En France et en occident on a déclaré que les enfants n’étaient pas en train de travailler quand iels allaient à l’école…. Ça se discute, ce qui est sûr c'est qu'iels ne sont pas payé.e.s. C’est quand même pas mal d’heure passées le cul sur une chaise sans avoir le droit de se lever et pisser alors qu’on en a pas envie. L’allongement de l’école ne s’est d’ailleurs pas fait sans heurts comme l’explique Yves Bonnardel, en 1911 par exemple des dizaines de milliers de jeunes anglais.e.s , écossais.e.s et irlandais.e.s se révoltent avec des grèves dans 62 villes. Iels revendiquent une limite d’âge fixée à 14 ans pour l’école, des sous, stop aux coups et des congés. En France à la même époque, un tiers des élèves fait l’école buissonnière.

Si je dois appeler quelque chose de mes vœux, au-delà de cette question importante du droit de vote, c’est la constitution d’organisations de personnes mineures autonomes et puissantes qui permettent de réfléchir la naturalisation de ce groupe social, sa mise en dépendance, la privation de droits actuelle qu’iels subissent et leur conquête.

Je n’invente aucun concept, les faits étayés sont le fruit des travaux cités, je rends particulièrement hommage au travail de Tal Piterbraut-Merx dont la thèse qui était en cours sera je l’espère bientôt publiée et disponible.

On peut également lire Christiane Rochefort, Les enfants d’abord, Gallimard, 1983

John Holt, S’évader de l’enfance, éd l’Instant Présent, 1974

Merci à Lauren Bastide pour sa relecture

[1] « La famille est-elle une institution protectrice ? […] l’enfant est tantôt cet être innocent et fragile dont la sécurité serait sans cesse menacée par un monde extérieur agressif et malsain, tantôt un agent perturbateur, proche de l’animal turbulent […] »Tal Piterbraut-Merx, texte Oreilles cousues et mémoires mutines, L’inceste et les rapports de pouvoir adulte-enfant, dans La culture de l’inceste, éd. Seuil, 2022

[2] « Remplacer Macron par des petites pelures de clémentine » est l’une des affiches du « Grand Soulagement » : un programme de relaxation politique à objectif tendrement insurrectionnel lancé par Quentin Faucompré et Cyril Pedrosa

[3] La domination des adultes : l’oppression des mineurs, Éditions Le Hêtre Myriadis, 2015 de Yves Bonnardel

[4] Dans l’ouvrage collectif « La culture de l’inceste » dans le texte de Tal Piterbraut-Merx « Oreilles cousues et mémoires mutines : l’inceste et les rapports de pouvoir adultes-enfants. », éd. Seuil, 2022

[5] La domination des adultes : l’oppression des mineurs, Éditions Le Hêtre Myriadis, 2015 de Yves Bonnardel

[6] L’  « adolescence » apparait courant 19e siècle au début réservée aux jeunes garçons bourgeois puis étendue à toustes vers 1880. Yves Bonnardel dans La domination des adultes

[7] Dans l’ouvrage collectif « La culture de l’inceste » dans le texte de Tal Piterbraut-Merx « Oreilles cousues et mémoires mutines : l’inceste et les rapports de pouvoir adultes-enfants. », éd. Seuil, 2022

[8] Comme l’explique Fatima Ouassak dans son ouvrage « La puissance des mères, pour un nouveau sujet révolutionnaire, éd La Découverte, 2020 » qui a forgé la notion de « désenfantisation », les enfants racisés et/ou issus de familles précaires sont  traités aussi mal que les adultes de leur groupe sociaux.

[9]  selon la fondation pour l’enfance

[10] sondage Ipsos de 2020

[11] Dorothée Dussy, Le Berceau des Dominations, anthropologie de l’inceste, 2013, rééd Pocket en 2021

[12] La domination des adultes : l’oppression des mineurs, Éditions Le Hêtre Myriadis, 2015 de Yves Bonnardel

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