Juliette BOUCHERY

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Billet de blog 1 octobre 2017

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La question des frontières

Je lis dans un commentaire : « ...la Catalogne veut recréer des frontières là où il n'y en avait plus depuis le 18e siècle. » C'est un reproche. « N'empêche que l'Europe avait aboli les frontières, au moins dans l'espace Schengen et hélas surtout pour le monde des affaires. ». « Frontières », c'est forcément un mal. Presque un gros mot.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'Europe, ce fabuleux malentendu ! L'Europe-c'est-l'espoir. L'Europe-qui-aura-tout-de-même-aboli-les-frontières. On semble réellement penser que parce qu'on n'a pas besoin de formalités pour passer d'un espace à l'autre, il n'y a plus de frontières. « On » a juste oublié un petit truc : descendre au niveau du quotidien, je dirais même de la réalité. Bien sûr qu'il y a toujours des frontières, parce que les frontières n'ont jamais été seulement administratives ! La langue, la façon d'appréhender le monde, la façon d'organiser la cité et surtout l'intérêt égoïste font que cette Europe est une énorme fumisterie. La soi-disant abolition des frontières n'a pas du tout amené la coopération. La guerre qu'on ne se fait plus ouvertement, youpi, est remplacée par une guerre économique larvée et complètement implacable.

L'Europe, cet énorme gâteau. Les nations ne coopèrent pas, elles cherchent à tirer la couverture à elles. Normal : nous sommes sous le règne du libéralisme et la solidarité est exclue du logiciel. Si, tout là-haut, on avait voulu que les populations se sentent « un seul peuple », on s'y serait pris tout autrement.

Dans cette Europe, il n'a jamais été question des populations. Ou seulement pour Parquer tous les troupeaux dans un seul enclos/Pour mieux les tondre ».

Je vois trois options :

a) tout là-haut, le vécu des peuples n'est juste pas une donnée pertinente ;

b) tout là-haut, on a tellement intégré le renoncement au politique qu'on n'a pas l'impression d'avoir la main sur la question ;

b) tout là-haut, on casse délibérément les liens, classes, identités, parce que si nous gardions nos liens, notre conscience de classe et notre identité, nous serions très puissants et nous influencerions le processus.

Nous assistons à une belle réussite, les mots sont vidés de leur sens.

S'adresser au peuple ou se concerter avec lui, c'est du populisme.

L'identité, c'est du repli sur soi.

Nous fabriquons un monde sans repères, sans références, sans affect donc et nous infléchissons les mots pour que ces repères deviennent détestables.

Le même commentaire continue : « Franchement, vous croyez que c'est important, à un moment où au contraire les peuples européens doivent s'unir pour lutter contre le libéralisme ? »

Et je voudrais répondre : ce n'est pas parce qu'on abolit administrativement les frontières que les peuples se sentent plus solidaires.

Et ce n'est pas parce qu'il y a des frontières administratives qu'on peut moins s'unir pour lutter contre le libéralisme. Les frontières, sur ce plan, sont complètement anecdotiques. L'approche libérale nous a fragmentés davantage que n'importe quelle ligne dessinée sur une carte. La question est de réaliser que nous passons tous sous le même bulldozer. Et d'en tirer les conséquences.

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