Juliette BOUCHERY

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Billet de blog 2 mars 2014

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Démocratie, comment faire ?

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Démocratie ? Hmm... Je cherche à y voir clair, à saisir ce qui serait possible.

La démocratie, c'est un mot sur lequel on ne revient plus, c'est forcément positif. Si on cherche à le décortiquer, on est forcément suspect... mais je me demande sérieusement comment la démocratie peut fonctionner.

Déjà, pour avoir un vote lucide, il faut être informé. Je ne sais pas si c'était mieux avant, quand la presse papier n'était pas aux mains des oligarques et la télé aussi radicalement orientée (ou l'était-elle ? Je n'ai pas les éléments) – mais aujourd'hui, un électeur peut difficilement obtenir les informations dont il aurait besoin pour faire ses choix. Dans beaucoup de cas, il est impossible de savoir si l'information est fiable. Voir la cacophonie sur la Syrie, par exemple, ou l'Ukraine.

En commentant l'Ukraine vue d'ici, des gens parfaitement sincères soutiennent que la révolte était forcément terroriste puisque le gouvernement était démocratiquement élu, ouille, encore ce mot. Personne ne conteste un niveau de corruption faramineux, mais il faut qu'il y ait d'un côté les bons, d'un autre les méchants...

Oui, ce gouvernement était élu – mais quand on n'a le choix qu'entre des corrompus... ? Quand les élections sont maquillées... ?

Les candidats mentent, c'est parfaitement acquis et intégré : ils disent n'importe quoi pour se faire élire – ça ne choque même plus.

Quelles que soient les formules appliquées par les différents États, la majorité des citoyens des pays démocratiques, une fois le vote consommé, n'a strictement aucune influence sur les décisions prises par ceux qui les gouvernent. Sauf s'ils ont du pouvoir, de l'influence (ou de l'argent) à mettre sur la table : sauf s'ils sont des lobbies. Les citoyens ne sont pas représentés. Nous sommes de plus en plus nombreux à nous rendre compte qu'on ne nous convoque que pour nous mettre en rangs, nous faire défiler dans l'isoloir et nous renvoyer à la niche.

Alors il y a des propositions, comme par exemple l'obligation de rendre des comptes, et remettre son élection sur la table à mi-mandat. Une bonne idée... seulement, si on a su enfumer les gens une fois pour se faire élire, ou si la société est verrouillée, combien de fois ne remettra-t-on pas en selle un mauvais dirigeant ? L'Angleterre a réélu Thatcher ! (Quoique chez nous, je ne donnerais pas gros des chances de Hollande à mi-mandat...)

Et tous ces gens qui savent, et qui nous assènent leur vérité, et qui cherchent juste à exister dans le poste, ou qui ont intérêt à faire valoir telle version plutôt que telle autre...

Non, décidément, tout tourne autour de l'information, Thatcher a su convaincre avec son TINA, d'autres chefs d'Etat ont su faire passer des bobards immenses, la communication est partout, l'art ou plutôt la science de présenter les choses de façon à emporter l'adhésion. Non pas pour appeler à la réflexion, la lucidité, non : juste vendre. Vendre son candidat comme on vend son produit, d'autres en ont parlé mieux que je ne pourrais le faire mais j'ai été très troublée, il y a quelques années, en traduisant un papier de recherche sur les sciences du comportement : on expliquait, et c'était très intéressant et même assez rigolo, comment induire des comportements. Une manipulation qui, rétrospectivement, m'a semblée effroyable. On pouvait pousser le quidam à acheter, bien sûr, c'était plus ou moins l'objectif... mais aussi à avoir un réflexe solidaire, altruiste... L'humain réduit à une marionnette.

On nous révèle par ailleurs que des agents de l'intelligence (!) américaine (mais si eux le font, les autres ne s'en privent sûrement pas) ont infiltré le Net pour influer sur des groupes de discussion, démolir des réputations... Le Net, c'était un peu notre chance de discuter vraiment, de faire passer des informations, de se concerter – même s'il circule beaucoup de bêtises sur le Net, et même si les bêtises des uns sont les convictions des autres...

Il suffit de voir avec quelle facilité on peut assener Maïdan = Nazis (je reprends l'exemple de l'Ukraine), pour voir combien il semble presque impossible d'établir une démocratie. Oui, parce que, encore une fois, pour voter, il faut pouvoir se faire une idée des enjeux, des propositions, et tout est terriblement compliqué, et on s'accroche très vite à un mot d'ordre comme Maïdan = Nazis. Nous sommes fatigués, notre vie est difficile, nous n'avons pas beaucoup d'espoir de voir s'améliorer les choses, et peu d'entre nous ont l'énergie de chercher à comprendre. Et encore moins de continuer à remettre en cause ce que l'on croit avoir compris.

Autre proposition : que les politiciens soient des gens véritables, je veux dire par là qu'ils ne vivent pas ailleurs, sur la planète politique, mais dans un quotidien qui ressemble au nôtre. Je trouve également que c'est une bonne idée. Tirer au sort nos responsables, les limiter à un mandat unique, et les laisser rentrer dans le rang une fois leur mandat terminé. Promouvoir une notion de service public à la place de l'ambition personnelle.

À moins que les élus ponctuels ne soient encadrés par des assistants qui seraient là à vie, eux, parce qu'il faut bien mettre le nouveau en selle, parce qu'ils connaissent bien les dossiers ? Quelle personne tirée au sort pourrait connaître tous les dossiers ? On voit bien que nos élus, qui n'ont que ça à faire, sont souvent absurdement peu au courant ! Résultat, ce seraient les assistants qui gèreraient tout, qui orienteraient les décisions du petit élu de passage. Petit élu qui n'aurait de fait pas grand chose à dire sur les décisions prises pendant son passage. A moins qu'il/elle ne rassemble des gens de confiance ? Des gens qui ont une expérience dans chaque domaine sur lequel l'élu(e) peut être amené à intervenir ? Oui, peut-être.

Je me fais tout de même du souci. Les gens ne sont pas forcément intègres, ils ne sont pas forcément de bonne volonté. Ce n'est pas parce qu'on a été tiré au sort qu'on ne cherchera pas à profiter au maximum, s'enrichir au maximum, se faire bien voir auprès d'intérêts puissants pour se ménager une petite place à la sortie. Placer ses copains ou sa famille.

Plus je vois ce qui se passe aujourd'hui, puis je suis en admiration devant la structure mise en place par le Conseil national de la résistance. Mais aussi, tout était par terre, et quand tout est par terre, on fait l'expérience de la solidarité.

C'est peut-être là la solution : le système dans lequel nous vivons craque de toutes parts, il semble vraisemblable qu'il va s'effondrer. Et quand tout sera par terre, il y se passera sûrement des choses très difficiles, mais il y a aussi de grandes chances que nombre d'entre nous réagissent par la solidarité. Et là, nous verrons bien ce qui se construira. Un temps au moins, quelques décennies, peut-être plus.

Il faudra être très malins, très sûrs des valeurs qu'on veut promouvoir ; il faudra poser des règles en béton. Parce qu'on peut être sûrs d'une chose : la part prédatrice qui est en nous sera là à guetter la moindre faille. Qui a mesuré, sur le moment, à quoi nous mènerait l'abrogation du Glass-Steagall Act (le rempart de la séparation des banques qui, une fois abattu, a libéré la démence de la spéculation qui est en train de balayer toutes nos institutions) ? Cette part profiteuse sera toujours prête à reprendre la place.  

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