Nous étions prévenus. C'est ça le plus terrible : nous étions prévenus ! Cette élection arrivait après l'avertissement de la Grèce, et la réaction de l'Europe (pour faire court) à une proposition de gauche. Proposition qui a vite montré ses limites. L'élection arrivait aussi après que Macron, ministre de l'économie, ait commencé à mettre nos infrastructures à l'encan (merci à Mediapart d'avoir si bien expliqué les dessous de la vente de l'aéroport de Toulouse).
Personnellement, même prévenue, je n'imaginais pas jusqu'où allait l'incompréhension de Macron sur ce qu'est une société ou un gouvernement. Il ne conçoit, littéralement, de rapports que commerciaux. Sa décision de défaire l'exit tax et la façon dont il la défend sont hallucinants : il compare l'impôt à un mariage (donc un choix libre et non contraignant de partenaire) et tout de suite après à un « investissement », avec pleine et entière liberté d'aller investir ailleurs (corollaire, il faut être plus séduisant, dans tous les sens du terme, pour garder son partenaire). Aucune notion de la mise en commun d'une juste quote-part par chacun des habitants d'un territoire pour financer ce qui sert à tous, hôpitaux, écoles, route, justice, bref, vous connaissez. Vous, vous connaissez. Lui, ça ne l'effleure pas.
Si Mélenchon était devenu notre président, nous sommes bien d'accord que l'Europe (toujours pour faire court) et « la finance » auraient fait donner l'artillerie lourde. Ils ne sauraient tolérer qu'une nation, une économie, cherche à se soustraire au diktat no-alternative de la pensée dominante. Nous aurions pu nous retrouver mis à sac comme la Grèce, au pied du mur comme la Grèce, en souffrance comme la Grèce avec son chômage, son manque de soins, ses situations désespérées…
Nous aurions pu… voir vendre toutes nos infrastructures pour assurer le service de la dette. Sauf qu'on est en train de vendre nos infrastructures sans le prétexte du service de la dette.
Nous aurions pu… voir privatiser notre sécurité sociale. Sauf que c'est plus ou moins en projet, non ?
Nous aurions pu… voir éclater le Code du travail (euh…) baisser nos retraites (c'est fait), les indemnités de chômage (la réforme est en route), brader nos autoroutes (ѵ), notre chemin de fer (ѵ), déglinguer le système de santé…
Bref, disons que nous avions le choix. Nous pouvions affronter la curée en face, en endurant un assaut à visage découvert, en sachant clairement ce que nous voulions et ce qu'on cherchait à nous faire. Ou subir la même curée sous son masque de business-as-usual, en état de sidération, en se rebiffant de notre mieux, souvent de façon partielle, en achoppant sur un truc sans voir que chaque attaque est un simple pan d'un programme très complet.
Nous pourrions aussi décider, mais vraiment décider, que nous voulons autre chose.