Une façon intéressante de lire l'avenir, c'est de regarder ce que font nos voisins. Ce qu'on a réussi à faire passer, par exemple, en Angleterre, par exemple pendant l'ère Thatcher.
L'une des grandes écoles européennes de lutherie se trouve à Newark, en Angleterre. L'un des professeurs vient de démissionner, un autre envisage de le faire ; l'école pourrait perdre une grande part de sa valeur et de son expertise. Et tout ça pour quoi ? Le contrat zéro heures, très répandu en Angleterre et qui existe déjà en France.
Un contrat zéro heures, voilà ce qu'en dit wikipédia : Pensé pour promouvoir la flexibilité du marché du travail, le zero-hours contract prévoit que le salarié se rende disponible à n'importe quel moment de la journée. De son côté, l'employeur n'est pas tenu de garantir une durée de travail minimum. Dans ce contrat, tous les avantages sont du côté de l'employeur. Il ne l'oblige pas à fixer un temps de travail minimal et un salaire minimum. L'employé, lui, doit s'engager à être disponible pour travailler selon les besoins de son employeur. Il n'est bien souvent averti du travail qu'il doit effectuer que quelques heures avant sa prise de service. Il pourrait théoriquement refuser les heures de travail proposées. Seules les heures travaillées sont rémunérées. Le nombre d'heures rémunérées étant très variable, les travailleurs ne peuvent pas prévoir un budget mensuel précis ou organiser leur emploi du temps.
Actuellement, en France, ce mode de contrat existe surtout pour les « petits boulots » ; il semble que McDonald's l'ait introduit dans les années 70. Alors ce n'est pas grave, n'est-ce pas ? C'est juste pour les petits boulots étudiants, les gens qui n'ont pas de vrai métier ? Ça ne pourrait pas toucher les vrais travailleurs qualifiés ? Outre que ce raisonnement est répugnant, il est faux. En France, ce contrat existe pour les vacations à l'université... et le truc réellement hallucinant, c'est qu'il est LA NORME pour les "colleges" anglais.
Si j'ai bien compris ce que m'explique ma fille (qui est étudiante à l'école de lutherie de Newark), en Angleterre, l'éducation est "publique", donc gérée par l'Etat jusqu'à la fin du secondaire. Ensuite, au niveau supérieur, il y a les facs d'un côté et les "colleges" de l'autre. Et côté college en tout cas, les postes sont gérés par une sorte d'agence, qui offre l'avantage (!) d'envoyer un remplaçant aussitôt si un prof' est défaillant (et il y a de quoi défaillir) et le désavantage de ne leur faire que des contrats zéro heures. Et le problème pour l'école de lutherie, c'est que les professeurs ne se trouvent pas sous le pas d'un cheval. Ils sont très peu nombreux, plus difficilement interchangeables (re !) et ce genre de contrat ne devrait en fait pas s'appliquer. Pour personne, en fait.
Dans la Loi Travail proposée actuellement (pour nous protéger, évidemment, le gouvernement n'a que ce mot à la bouche), on renvoie l'employé à la négociation directe avec son patron. Ces gens doivent tout de même être capable de s'entendre, n'est-ce pas ? Nous ne sommes pas des sauvages ! Voici un aperçu du dialogue tel qu'il a actuellement lieu à Newark. Face à tous les arguments de savoir-faire irremplaçable, de dignité du travail, de qualité de l'école, la réponse est très simple et cohérente : « Non. »
Résultat... Il y a encore quelques années, l'école était gratuite ; aujourd'hui, les frais d'inscription sont en augmentation constante, £ 2500 atuellement (dans les 3230 €). Le budget alloué aux fournitures est descendu à un zéro franc et massif ; s'ils ont encore du bois pour travailler, c'est grâce à la clairvoyance et prévoyance d'écureil du technicien des lieux. Le bois ne sera plus gratuit à l'avenir. Les professeurs achètent leurs propres feutres. Où vont l'argent que versent les étudiants puisque la somme dépasse largement ce qui est versé aux professeurs ? Mystère.
Si, comme moi, vous trouvez cette situation détestable, si vous souhaitez que survive cette école remarquable (qui indicemment accueille beaucoup d'étudiants français), vous pouvez mobiliser les contacts que vous avez forcément dans le gouvernement British. (Une pétition sera vraisemblablement lancée dans les jours qui viennent).
Et si, comme moi, vous redoutez que ce type de contrat se répande comme la peste, d'abord dans l'Education où il est déjà fermement implanté, puis dans tous les autres domaines, faites clairement savoir que vous refusez qu'on démolisse notre Code du travail.