En fait, nous n'avions rien compris.
Nous n'avions pas cerné le réflexe unique à faire jouer dans les négociations avec ce gouvernement.
Pour obtenir tout, et absolument n'importe quoi, il suffit de se servir du mot magique.
On présente une réforme, quelle qu'elle soit, et on dit très fort : « Il s'agit tout de même de soutenir LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES ». Et tac, ils sortent leur stylo et ils signent. Tout ce qu'on veut.
Ça se répète encore et encore, avec la fuite devant le vol des Pigeons, le recul sur la taxation des riches, le cadeau fiscal aux entreprises, et maintenant la transition énergétique. Le site Novethic Info m'apprend ce matin que Mme Parisot fait valoir qu'il faut continuer le nucléaire et forer le gaz de schiste, au nom de LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES. Et vous allez voir que ça va marcher, à tous les coups.
Qu'attendons-nous pour reprendre le flambeau ? Il suffit de prononcer l'incantation, haut et fort, en articulant bien. Tout le monde peut jouer. Quelle que soit la cause qui vous tient à coeur, présentez-la sous ce jour et vous verrez des résultats immédiats.
Taxer les transactions financières ? Mais oui, bien sûr, car cette somme permettra de financer les grands projets d'investissement qui créeront des EMPLOIS, donneront une bouffée d'air frais aux consommateurs étouffés par la crise, relanceront la demande et feront un bien fou à LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES.
Le mot EMPLOIS, c'est bien, aussi. On a tout intérêt à le glisser dans la discussion.
Soutenir la culture ? Voyons, cela coule de source : un pays épanoui est un pays dont la culture est vivante, pleine de vitalité, multiforme. Une population qui a accès à la culture s'éclate davantage et travaille mieux, ce qui fait merveille pour LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES.
Obtenir enfin un vrai contrôle des poisons distillés par les laboratoires pharmaceutiques et l'industrie agroalimentaire ? Élémentaire, mon cher Monsanto, une simple question de Recherche & Développement qui mettra la France à l'avant-garde du nouveau courant moralisé, pour un monde plus sain, plus propre, et propulsera LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES dédiées au top mondial.
Et les banques, tiens, les banques ? La séparation des activités de dépôt et de spéculation, le retour à une véritable mission de soutien de l'économie, au lieu de son activité actuelle qui consiste à parier sur qui va s'écraser et quand – alors là, les arguments sont si évidents qu'il n'y a même pas besoin de les énumérer. C'est même surprenant que cette équipe au pouvoir, qui jure haut et fort qu'elle fera tout pour l'emploi, qui trépigne de toutes ses petites chaussures cirées en criant : « ne me dérangez pas pour ça, je suis occupé à relancer la croissance » alors qu'on cherchait juste à lui proposer un café – c'est même surprenant qu'elle ne semble ne pas voir tout ce qu'elle gagnerait, à museler les banques, au niveau de LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES. Mais bon, il y a certaines choses qu'elle n'a pas saisies.
Par exemple, que la compétition se fait forcément en enfonçant quelqu'un d'autre, et qu'à force d'enfoncer les pays voisins, on paupérise ses clients, qui ne peuvent bientôt plus acheter ce qu'on a à vendre. Le souci, au fond, c'est le malentendu total, la misconception qui veut que ce truc très flou qu'on appelle croissance profite vraiment aux populations, ce qui n'est pas démontré. Que la C.... DES E.... profite vraiment à l'emploi, ce qui l'est encore moins. Incantations, je vous dis ! Mots magiques, au sens caché ! Mots réflexes qui mettent celui qui les entend au garde-à-vous, mots si évidents qu'on ne discute pas de leur contenu !
Mais bon, ne nous perdons pas en considérations oiseuses, je vous propose un exercice pratique.
Invoquez LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES pour justifier :
• Le prix d'entrée des musées de France (hors tarifs étudiants) ;
• La disparité de forme des verres dans lesquels on sert les différentes marques de bière ;
• L'instauration du revenu universel (non, ça, c'est trop facile, on oublie) ;
• L'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ;
• L'Union Européenne ;
• Faites ici votre propre proposition.
Vous avez bien retenu le mot magique ?