Traducteurs, nous sommes à la merci des éditeurs. Nous signons un contrat. Selon ce contrat, nous recevons une sorte d'avance (un réglement à la page pour notre travail), puis un pourcentage sur les ventes si elles dépassent cette avance. Je reçois périodiquement de petites rallonges de 100 €, 200 €, mais dans les romans de grande distribution sur lesquels je travaille, je n'ai aucun moyen de savoir quelles ont été les ventes réelles.
Une traduction = un contrat. Rien ne garantit qu'il y en aura d'autres. J'ai du travail ce mois-ci mais le mois prochain ? Nous sommes au droit d'auteur, nous ne cotisons pas au chômage donc, évidemment, nous ne touchons pas d'indemnités. Un trou entre deux livres, c'est vraiment un trou.
C'est relativement peu payé. Pour que ce soit rentable, il faut travailler vite (et ne pas avoir trop de trous). L'écriture des auteurs est médiocre, l'éditeur est très exigeant sur la qualité de la traduction. C'est une situation qui a des avantages, on travaille chez soi, aux heures que l'on veut, on s'organise à sa façon, pas de chef sur le dos. Pas non plus de collègues, ça peut être un avantage ou un désavantage, et ce n'est pas évident pour tout le monde de s'astreindre à faire son boulot seul et sans horaires imposés. Bref ! C'est une situation qui m'arrange, globalement… du moment qu'on me paie.
Car récemment, mon éditeur a cessé de payer. L'explication donnée était la mise en place d'un nouveau logiciel comptable ; au bout de six semaines (comme dans la chanson « au bout de six semaines, les rats l'avaient mangé »), l'explication semble un peu courte. On ne met pas six semaines à rendre opérationnel un logiciel, ou alors il faut aller au collège le plus proche demander à un petit geek d'aider le service informatique à dépatouiller les bugs.
Alors on téléphone – le service comptable ne répond plus. À l'accueil, les filles sont soit très désinvoltes, soit très désolées, mais elles n'ont aucune réponse à nous donner. La directrice de collection ? Tout se décide en dehors d'elle et elle a probablement des consignes pour ne pas communiquer sur ce genre de questions. Et elle aussi, on peut supposer que si elle la ramène trop, il y a plein de monde pour prendre sa place.
Alors on surveille son compte en banque. Non, toujours rien aujourd'hui. Deux mois de retard de loyer – ah, un livre est enfin payé, alors qu'on m'en doit deux, ça permet de régler le retard de loyer mais pas de rembourser les amis à qui on a tapé du fric, parce qu'on était sûr d'être réglé à telle date mais que finalement… Et les trucs à payer, les lettres de la banque parce que tel ou tel virement a été rejeté. Et telle autre échéance qui approche, quel suspense, l'argent arrivera-t-il avant, ne ratez pas notre prochain épisode.
Heureusement, là, j'ai eu du boulot qui est tombé d'autres sources. Des gens qui paient. Je n'ai pas encore touché les sous mais je sais qu'ils vont arriver. Cette fois, j'ai eu trois autres boulots, mais ce n'est pas si souvent.
Les fournisseurs, les sous-traitants sont régulièrement soumis à ce genre de fantaisie. Pas mal de boîtes en crèvent. Si j'en parle aujourd'hui, ce n'est pas uniquement pour vous raconter ma petite cuisine ou pour râler : c'est que les salariés, ces êtres plutôt protégés jusqu'ici, s'apprêtent à se trouver dans une situation équivalente. Pas de garanties. Flexible, ça veut dire que rien n'est fixe, que tout peut changer à tout moment, les heures, la paie. Les jours de travail, les attributions. Un salarié, cela se respecte peu ; la seule protection concrète et réelle est dans le Droit et le droit du travail va se détricoter façon puzzle.
Vous, salariés, allez vous retrouver dans ma situation, on pourra vous dire : « ah, désolé, ce mois-ci, on ne vous paie pas, on vous dira quand on pourra reprendre les versements ». « On vous tient au courant, promis ».
Les contrats zéro-heures, vous connaissez ? Vous êtes lié par un contrat de travail mais ce contrat ne garantit pas de nombre d'heures : vous devez donc être disponible quand le patron fait appel à vous mais rien ne vous dit qu'il fera suffisamment appel à vous pour que vous ayez de quoi vivre. Mais vous ne pouvez pas prendre un second boulot parce que vous êtes lié par un contrat de travai qui dit que vous devez être disponible quand… C'est circulaire. En Angleterre, c'est courant. C'est vraisemblablement une des choses qui adviendra bientôt en France. Ça existe déjà, chez MacDo.
On nous dit que la France a voté Macron, l'a bien élu, par adhésion, en toute connaissance de cause. Il a annoncé la couleur. Quelque chose ne sonne pas juste dans cette équation.